Dans l'essai de comprendre le lieu, surtout que le centre
d'intérêt est le patrimoine, la notion de mémoire
était, directement ou indirectement, impliquée. Son implication
est faite sur les deux niveaux, individuel et collectif ou social. Les
expériences humaines du lieu, interpelle des mémoires et des
souvenirs stockés, qui aident à l'identification et à la
qualification de ce lieu, ainsi que ces expériences peuvent forger de
nouvelles mémoires. Il
43SCHULZ N. Christian, op. cit. P27
48
LA BASILIQUE ST-AUGUSTIN ET SES ABORDS A ANNABA
Pour une reconnaissance politique et sociale des valeurs des
abords du patrimoine bâti en Algérie
faut, d'abord, comprendre ce que la mémoire signifie
pour pouvoir passer à la mémoire collective, qui nous
intéresse le plus dans ce processus théorique, en aboutissant
à la commémoration qui marque son existence sur le lieu, dans le
paysage et dans l'esprit des individus.
La mémoire semble être l'obsession de la
période contemporaine, elle est devenue à la tête des
intérêts scientifiques, toutes disciplines et orientations
confondues. L'intérêt grandissant envers la mémoire peut
être expliqué par la surmodernité avec ses excès,
surtout événementiel, qui créent une certaine pratique de
l'oubli, associée au désengagement de l'homme à son lieu.
Une autre cause est celle des média, qui produisent des mémoires
artificielles loin d'être personnelles et donnent l'illusion
d'expérience des lieux. De plus, et vu l'exposition intense de
l'individu à ces média, particulièrement la
télévision et l'internet, les mémoires sont de plus en
plus individualisées et limitées à l'échelle de ce
que ces média transmettent comme informations, points de vue et
opinions. Cette situation exprime un regret de la perte de «
mémoire culturelle »44 à l'ombre
du progrès.
Si on parle de mémoire, on ne peut pas échapper
à la nécessité de parler de la relation entre
mémoire et oubli. Le couple ou la «toupie mémoire-oubli
»45 prouve que la mémoire a l'oubli
comme son envers, indissociable et indispensable, mais distinct. C'est comme
deux cotés dont leur opposition prouve leur existence. Une telle
figuration est trop statique, du fait que les technologies d'informations et
les média mettent la relation mémoire-oubli dans une dynamique
qui tend à effacer la possibilité même de les distinguer,
on mémorise et on oublie au même temps. La toupie tourne
très vite.
Comme la mémoire est très importante pour le
développement de l'individu, l'oubli n'est pas moins important. Parfois,
la capacité d'oublier représente un grand soulagement. Des
souvenirs pénibles et des mémoires négatives participent,
bien sûr, à la formation de personnalité et
l'identité de l'homme, mais le fait de les oublier épargne
l'individu d'être prisonnier de ses sentiments douloureux. Le fait
d'oublier est essentiel, même biologiquement, il est nécessaire
d'oublier pour céder la place à de nouvelles mémoires.
Cet
44 MOSER Walter, «la toupie mémoire-oubli
et le recyclage des matériaux baroque », in. HUGLO Marie-Pascale,
MECHOULAN Eric, MOSER Walter (dir.), passions du passé : recyclages
de mémoire et usages de l'oubli, Paris, 2000, l'Harmattan, P26.
45 Ibid., P25.
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Le monument historique et ses abords, un lieu de
cristallisation de la mémoire CHAPITRE
collective DEUXIEME
oubli ne peut être absolu, car il est relatif à
l'importance et la signification de la mémoire en question, même
si celle là est trop pénible.
Mais à quoi sert la mémoire ? La recherche de
la fonction de la mémoire rappelle, au premier lieu, la pensée
d'une longue tradition philosophique46 qui remonte à Saint
Augustin qui considère la mémoire comme le témoin de la
continuité temporelle de chaque individu. Ce sens est
résumé par la célèbre formule de Saint Augustin qui
définit la mémoire comme « le présent du
passé» et qui écrit : «L'impression que les
choses en passant font en toi y demeure après leur passage et c'est elle
que je mesure quand elle est présente, non pas ces choses qui ont
passé pour la produire». La mémoire peut, donc,
être différente de la réalité. Selon St-Augustin la
mémoire est la condition de l'unicité de l'expérience
temporelle, puisqu'elle assure le lien entre chacun de ces trois
présents47 (triple présent) : présent du
passé dans la mémoire, présent du présent
dans l'attention et présent du futur dans l'attente. La
mémoire a donc une fonction identitaire chez l'individu à partir
de deux types de mémoires48 ; la mémoire
implicite, qui constitue le processus des apprentissages non conscients,
et la mémoire explicite qui reconstruit subjectivement le
passé.
La mémoire est, donc, une essence personnelle et une
affaire individuelle. Cependant les mémoires des individus, partageant
le même lieu, peuvent se rencontrer par exigence d'appartenance sociale,
culturelle et territoriale. Le résultat est une mémoire
collective qui récite le passé, positif ou négatif, de la
société et qui projette son développement.