L'attachement au lieu peut être associé,
principalement, à l'attachement aux personnes qui y résident. On
peut être chez-soi « home » à n'importe quel
endroit, si on est avec des personnes qui partagent nos intérêts.
Cette réflexion occidentale, ne considère pas l'aspect physique
de l'expérience du lieu. Cependant, le lieu est cet
élément physique du territoire dans lequel ces personnes peuvent
partager leurs intérêts. Selon Minar et Greer, « les
contacts humains sur lesquels les sentiments de l'engagement et de
l'identité sont construits, sont plus susceptibles de se produire chez
les personnes qui partagent le même morceau de terre.
»37.
L'homme, en général, n'assiste pas
continuellement à son lieu, surtout quand il s'agit d'un environnement
urbain. Cela ne prive en aucun cas ce lieu de sa signification. Exactement
comme l'apparence d'un individu qui soit un élément pris pour
acquis, malgré son rôle fondamental à la construction de sa
propre identité personnelle. La relation de la société
avec le lieu est, donc, très importante. Chacun d'entre eux renforce
l'identité de l'autre.
La structure et l'hiérarchie sociales jouent un
rôle important dans l'organisation physique du lieu. A l'exemple de la
distinction qui existait entre la cité bourgeoise et la cité
ouvrière ou la ville de Ghardaïa, où la structure sociale,
la morale et la religion ont modelé l'espace urbain et l'unité
architecturale de base, la maison. Les éléments constituants
l'environnement artificiel, où la société réside,
qui soient physiques (bâtiments, rues, arbres...etc.) ou sociaux et
communautaires telle une équipe locale de football, ne sont pas
uniquement des éléments communs mais plutôt des codes et
symboles qui maintiennent ce que Aldo van Eyck appelle « la conscience
collective du lieu ». Cela veut dire que ces lieux participent à la
formation de l'identité de ces personnes, l'identité même
du lieu, et vice-versa. Les habitants sont leur lieu et le lieu est ses
habitants38.
Lieu et société sont distinguables
conceptuellement. Par contre dans l'expérience humaine du lieu, ils ne
sont pas facilement différenciés. L'un crée et identifie
l'autre. Dans cette perspective, le lieu est «public », connu et
perçu à partir des expériences et implications communes.
Mais tous les lieux sont-ils publics ? Ont-ils tous le même degré
de ce caractère public ?
37 RELPH E. «place and placelessness »,
London, 1976, Pion Limited, P33.
38 Ibid. P34.
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Le monument historique et ses abords, un lieu de
cristallisation de la mémoire CHAPITRE
collective DEUXIEME
A partir de cette question, un autre type de lieu public doit
être expliqué. C'est un lieu qui n'est pas compris, principalement
au terme de communauté, mais par son aspect physique et
emblématique, tel le patrimoine bâti. Le monument historique,
n'attire pas l'attention à sa présence matérielle mais
plutôt oriente le territoire en créant un lieu spécifique
et unique qui s'étend à ses abords où le caractère
est maintenu. Ces lieux significatifs ont une grande
imagibilité39.
Malgré leur importance dans le façonnement de
l'identité de la société, ces lieux d'imagibilité
peuvent être l'objet d'attachement de la société à
son territoire, même à l'ombre du progrès technique,
technologique et économique qui change complètement
l'architecture et donc tout le paysage. L'expérience humaine,
individuelle ou collective, de ces lieux peut être positive ou
négative. Ce jugement est, forcément, lié à la
mémoire collective de la société. On donne l'exemple des
oeuvres d'art ou bâties qui commémorent la période d'un
génocide ou d'une guerre, où la société a
vécu des temps de souffrances et de batailles. Ces oeuvres sont
importantes historiquement mais représentent des mémoires et des
souvenirs très négatifs.
Le rayonnement significatif de ces lieux peut dépasser
le seuil national par leur particularité universelle. Le fait de
considérer un lieu comme «public », implique l'existence des
lieux «privés ». Les deux sont significatifs, parcourus et
perçus individuellement, cependant la différence réside
dans l'interprétation du sens émis par le lieu, sa
propriété, sa qualité et sa vocation.
Dans ce cas, quelle identité du lieu ? I.3.
Lieu et identité
L'étude de lieu est très importante pour deux
raisons. Premièrement, elle constitue une expérience fondamentale
pour l'engagement de l'homme dans son monde. Deuxièmement, la
connaissance approfondie de la nature du lieu peut contribuer à la
maintenance et à la manipulation des lieux existants, ainsi à la
création de nouveaux lieux.
Cette notion du lieu, consiste à comprendre ses
limites, ses symboles, ses expression, sa fonction, son passé, son
avenir et donc son identité. Kevin Lynch définit
l'identité du lieu comme l'ensemble des éléments qui
offrent sa singularité et sa distinction des autres lieux et qui servent
à sa reconnaissance comme une entité séparée. Cette
définition peut être
39 LYNCH Kevin, op. cit. P11.
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LA BASILIQUE ST-AUGUSTIN ET SES ABORDS A ANNABA
Pour une reconnaissance politique et sociale des valeurs des
abords du patrimoine bâti en Algérie
réductrice, du fait qu'elle explique, tout simplement,
que chaque lieu a une adresse unique identifiable. L'identité du lieu
dépasse la localisation géographique. Il est nécessaire de
reconnaitre qu'il existe autant d'identités de lieu, que de personnes.
L'identité du lieu est donc liée à la perception
individuelle et à la configuration physique du lieu perçu. Chaque
individu peut assigner, consciemment ou inconsciemment, une identité aux
lieux. Ces identités sont combinées intersubjectivement pour
former une identité commune, ce qui peut être expliqué
selon le cadre culturel de la société, qui peut apprendre aux
individus une façon, plus ou moins, unie de percevoir les même
qualités, ou d'après une mémoire collective
provoquée par une interprétation commune d'un
événement ou d'une période historique.
Pour une meilleure compréhension de l'identité
des lieux, on accepte que celle là ait des éléments, bien
identifiables, qui la composent. L'expérience humaine des lieux est
directe, complète et souvent inconsciente. S'il y on a des
éléments composants de l'identité des lieux, ils sont
perçus à la totalité de leur combinaison, bien qu'une
perception moins immédiate peut distinguer des éléments
reliés ensembles mais identifiables, qui constituent l'identité
d'un lieu et structure l'expérience humaine au sein du même lieu.
Comme l'exemple d'un tableau de peinture, où la planche, la peinture et
les symboles sont distinguables mais inséparables.
Selon E. Relph, l'identité d'un lieu a trois
composantes4o :
La configuration physique :
la possibilité de visualiser une ville, uniquement, en
tant que topographie, bâtiments et tout objet physique et palpable, telle
une photo aérienne. Les activités :
qui se déroulent au sein du lieu, entre ses constituants
physiques. Une observation objective des activités des personnes,
distinguera leurs mouvements, ce qu'ils parcourent, ce qu'ils produisent, ce
qu'ils consomment, ...etc. Mais l'expérience humaine perçoit ce
cadre physique et ces activités avec une interprétation; ils sont
beaux ou laids, utiles ou inutiles, essentiels ou complémentaires. Ils
sont donc significatifs. Ces deux composantes sont facilement
appréciées, mais la signification est la composante la plus
difficile à saisir.
La signification (s) : elle
est extraite du cadre physique et des activités, mais elle ne constitue
pas une de leurs propriétés. Elle est, plutôt, la
propriété des intentions et des expériences humaines.
Malgré la complexité de l'étude des intentions, la
signification est plus complexe. Elle dépend, principalement, des
variations individuelles et culturelles qui reflètent une
particularité d'intérêts, d'expériences et de point
de vue.
40 RELPH E. op. cit. P47.
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Le monument historique et ses abords, un lieu de
cristallisation de la mémoire CHAPITRE
collective DEUXIEME
Ces trois composantes sont, peut être, distinguables
mais elles sont inséparables. Chaque composante peut être
divisée en sous composantes qui soient, en sorte, un détail
aidant, considérablement, à l'établissement de
l'identité d'un lieu. Donc, un cadre mentale d'expérience et
d'interprétations perceptives de ces trois composantes, est
l'élément clé de l'appréciation d'une
identité d'un lieu. Mais qu'est ce qu'il relie ces composantes ?
Du fait que l'identité du lieu est perçue en
tant que totalité, ces trois composantes ne peuvent constituer qu'une
partie. Elles représentent la matérialité de
l'identité du lieu. Une autre composante intangible joue le rôle
de liaison. Elle a plusieurs nominations : esprit du lieu, sens du lieu ou
génie du lieu (genius loci), toutes réfèrent au
caractère ou à la personnalité. L'esprit du lieu peut
persister même avec un changement radical des trois composantes. C'est
une valeur et une composante de l'identité du lieu la plus difficile
à mesurer et, en même temps, la plus évidente lors de
l'expérience humaine et qui constitue la singularité et
l'unicité du lieu. L'esprit du lieu contrôle le besoin humain
d'appartenance, d'attachement et d'engagement dans un lieu. L'homme doit
être dans son lieu.
Ce qui manque dans cette réflexion est la
société. L'identité du lieu est structurée par la
société, comme déjà mentionné, le lieu est
ses habitants et les habitants sont leur lieu. Les sociétés
produisent leurs lieus à leurs images, intuitions, croyances et besoins
et le lieu réunie, représente et donne aux sociétés
une référence physique et mentale avec laquelle elles peuvent se
développer.
Dans la même perspective, les identités des
différents lieux ne peuvent avoir la même valeur identitaire pour
la société. L'existence des «lieux publics» interpelle
une certaine interprétation collective d'un lieu sans d'autres. La
dynamique conceptuelle entre l'identité du lieu et le lieu
d'identité, prouve la distinction des intensités des
identités des lieux. La notion de lieu d'identité affirme que ce
lieu possède dans ses limites une identité qui représente
toute la société, exactement, comme le lieu que forment le
monument historique et ses abords. A la particularité de ces lieux, un
autre critère doit être analysé. Un critère qui
prend en considération la transmission du patrimoine bâti et ses
abords, un lieu, d'une génération à une autre. Il faut,
donc, comprendre l'authenticité du lieu.
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LA BASILIQUE ST-AUGUSTIN ET SES ABORDS A ANNABA
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