Régime virtuel équilibré pour jeunes placés( Télécharger le fichier original )par Olivier SINTEFF Centre promotion sociale d' éducateurs ( C.P.S.E.) de Liège - Bachelier en éducation spécialisée en accompagnement psycho-éducatif 2013 |
I.- INTRODUCTION8 9 Ce qui jusqu'à la première moitié du XXème siècle est encore la place communale, où les amis de Georges se rencontrent et s'échangent des paroles - à travers l'air pur - « sur les bancs publics, bancs publics, ... », est devenu en l'espace d'un petit demi-siècle une agora à dimension planétaire où les interactions interpersonnelles se font via les pixels numérisés et l'écriture digitale. Avec l'évolution fulgurante des technologies de l'information et de la communication (T.I.C.), nous voilà aujourd'hui projetés dans une réalité digne de la série télévisée Star Trek de la fin des années septante. La prise d'assaut par les écrans de notre quotidien privé, comme public, est encouragée par les médias de masse largement imprégnés de l'idéologie néolibérale. L'opium actuel du peuple, c'est la transcendance matérialisée du dieu Internet. Depuis les années nonante, les moyens de communiquer via le Réseau se sont démultipliés : courriels, forums, blogs, téléphones cellulaires, tablettes numériques, jeux en ligne multi-joueurs et autres réseaux sociaux... virtuels. La toile d'araignée géante a fini par agglutiner dans ses filets beaucoup d'entre nous, dont de nombreux jeunes. Internet et les jeux informatisés deviennent la seconde - pour ne pas dire la première - famille au sein des foyers occidentaux. Ce coffre à trésor, recelant de réponses à tous styles de questions, peut parfois se révéler comme une véritable boîte de Pandore. S'il en est souvent ainsi pour les adolescents vivant sous le toit de leurs parents, comment n'en serait-il pas autant - voire davantage - pour les jeunes placés en institution, mis à distance ou parfois totalement privés de relations affectives de sang ? J'ai souvent été fortement interpellé, dans ma pratique professionnelle - successivement au sein de plusieurs S.A.A.E.10 - face à une manifestation particulière d'angoisse, de frustration, d'impatience ou encore de forte colère, émanant de jeunes bénéficiaires, par rapport à des besoins insatiables de consommer du virtuel. D'aucuns demandaient avec insistance, par exemple, s'ils pouvaient « aller sur l'ordi », alors qu'ils n'avaient même pas fini d'avaler leur quatre-heures lors de leur retour de l'école. J'aimerais aussi évoquer la conduite de ce bénéficiaire de douze ans, à qui j'avais demandé d'éteindre l'ordinateur - sur lequel il était « scotché » depuis une heure - parce qu'il était le moment pour lui d'aller se coucher. En réponse à ma demande, ce dernier avait d'un seul mouvement de bras tapé le casque d'écoute contre l'écran du moniteur et s'était acharné de ses deux poings fermés sur le clavier. Ce qui me pose encore question, c'est d'observer parfois certains adolescents enfermés dans une espèce de bulle hermétique, qu'il est difficile de franchir, quand les écouteurs de leur baladeur numérique sont enfoncés dans leurs oreilles, tandis qu'ils font convulsivement aller leur pouce sur le clavier de leur GSM. Enfin, je suis déconcerté lorsque j'apprends par une collègue qu'elle a découvert que l'une de nos résidentes, quatorze ans, dévoile sa vie intime sur un Skyblog11. Des situations relevant du rapport qu'entretiennent les jeunes quotidiennement avec ces technologies sont nombreuses. Toujours est-il que les cas, que je viens d'évoquer, sont suffisamment révélateurs pour illustrer leur besoin d'habiter prioritairement des espaces virtuels, comme si ces univers parallèles se résumaient à l'essentiel de leur épanouissement personnel. Loin de moi l'idée de vouloir stigmatiser les jeunes placés en institution (d'ailleurs je suis contre les étiquettes) en qualifiant leur comportement compulsif, à l'égard des TIC, d'abandonnique. Néanmoins, le manque ou l'absence de lien à leur famille ne constitueraient-ils pas la racine d'une quête existentielle se caractérisant par une relation passionnée avec les machines ? Dans ce sens, je m'inquiète le plus de savoir ce qu'il adviendra de leur rapport au Web lorsqu'ils vivront en autonomie, émancipés d'un cadre éducatif. Ou quand, au mieux, ils réintégreront leur milieu d'origine généralement plutôt « sous-équipé » pour cadrer correctement ce type de loisir. Une fois sortis du cadre contenant et « spécialisé » du milieu institutionnel, « nos » jeunes n'auront-ils pas tendance à se réfugier de façon vorace dans les doux bras du Réseau pour mettre du baume sur certaines blessures à peine cicatrisées, si pas suintantes, de leur histoire personnelle ? 10Service d'accueil et d'aide éducative mandaté par l'Aide à la Jeunesse pour des placements institutionnels. 11Skyrock.com est un site Web de réseau qui met gratuitement à disposition de ses membres enregistrés un espace web personnalisé. Il est notamment possible d'y créer son blog. Le Larousse définit le blog ou blogue comme un « site Web sur lequel un internaute tient une chronique personnelle ou consacrée à un sujet particulier ». Synonyme : weblog. 10 Ainsi, la question centrale qui me taraude l'esprit est la suivante : comment, en tant qu'éducateur de SAAE, construire une relation éducative porteuse pour prévenir les usages problématiques des interfaces numériques ? D'autres questions découlent de cette première interrogation. En voici les principales :
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