Le terme « cyberdépendance » est apparu vers
le milieu des années nonante, au sens de « toxicomanie
sans drogue » : expression déjà
proposée par Otto Fenichel en 1949 (Minotte25, 2010 : 17).
Elles s'inscrivent dans le registre des dépendances comportementales.
L'addiction à Internet est apparue la première fois, en 1996,
dans les propos de Kimberly Young (psychologue) lors de la réunion
annuelle de l'Association Américaine de Psychologie (APA) qui se
déroulait à Toronto.
« Désignant à l'origine, toute
dépendance à l'ordinateur, ou plus largement à l'univers
informatique, ce terme est aujourd'hui utilisé principalement pour
désigner une dépendance qui s'instaure chez une personne faisant
un usage distordu des moyens de communication offerts par Internet. Cette
personne est dans la recherche constante de connexion au réseau
informatique afin d'y établir une communication, d'y trouver une
information, du sexe ou du jeu virtuel. Elle éprouve une
anxiété désorganisatrice si elle ne peut se connecter, et
sa vie personnelle et sociale s'organise autour de la connexion. A l'image
d'une toxicodépendance, le cyberdépendant manifeste un
phénomène de manque et peut recourir au mensonge pour
réduire l'importance de son addiction. » (Nayebi, 2007 :
14-15).
L'adolescence ainsi que la période d'études
sont réputées propices à l'apparition de la
cyberdépendance. Les mondes virtuels, du fait de la
malléabilité qu'ils proposent, peuvent servir à une mise
à distance des modèles parentaux et à échapper
à une réalité sociale mouvante qui ne propose plus des
repères fiables et sécures (Nayebi, 2007 : 25). Le risque de
dépendance est plus important pour les adolescents introvertis, qui ont
généralement une faible estime et une mauvaise image
d'eux-mêmes. Ceux-ci peuvent contourner leur questionnement identitaire
par la connexion à la Toile pour se mettre dans la peau d'un avatar fort
et vaillant s'il est un garçon ; quand il s'agit d'une fille, elle peut
jouir d'une meilleure réputation ou avoir davantage d'amies par le blog,
le forum ou le chat qu'à l'école (Nayebi, 2007 : 35).
Les parents ou éducateurs qui négligent la
surveillance d'un jeune devant l'écran informatique lui font prendre
beaucoup de risques. A cause de son manque de maturité, ce dernier ne
mesure pas les conséquences de ces risques. Nous savons tous qu'Internet
est truffé de contenus innombrables à caractère
indésirable. Il faut bien reconnaître aussi que les consoles et
« ordis » arrangent parfois les responsables de jeunes, surtout quand
ces médias servent de tendres nounous. Les adultes pensent alors -
à tort - que leurs protégés sont à l'abri des
dangers parce qu'ils ne « traînent pas » n'importe où en
dehors du giron domestique. En effet, à côté du risque pour
l'enfant de tomber dans l'une ou l'autre forme de dépendance par une
durée immodérée passée devant la machine, il y a
aussi d'autres menaces permanentes qui pèsent sur lui en ligne, en
dehors d'un regard adulte prévenant. Dans les blogs que les jeunes se
créent - y divulguant des informations personnelles voire intimes - ou
sur les forums juvéniles en ligne sur lesquels ils discutent,
rôdent possiblement des prédateurs mal intentionnés -
certains sous couverts d'une identité faussement juvénile. A
savoir que « près de 70 % des services de dialogue ne sont pas
modérés, ce qui n'empêche pas les adolescents de
fréquenter assidûment les "chats", les forums, les blogs,
n'hésitant pas à se confier à des interlocuteurs
cachés derrière un pseudo » (Nayebi, 2007 : 36).
Le cybersexe se répand le plus fréquemment par
les spams26 et autres SMS. Même un jeu en ligne, un
salon de chat (prononcé « tchatte ») ou un site de
films peut contenir des liens hypertexte à caractère
érotique ou pornographique. L'individu qui commence à s'y livrer
très tôt, finissant par en éprouver une appétence
sans limites, risquera vite plus tard de se détacher de son partenaire
sur le plan affectif et sentimental.
25Pascal Minotte est psychologue,
psychothérapeute et chercheur à l'Institut Wallon pour la
Santé Mentale. Il a réalisé, suite à une demande de
la Région wallonne, une recherche sur les usages problématiques
d'Internet et des jeux vidéo.
26Lorsqu'un internaute - par simple
curiosité, voire accidentellement - clique sur un cyber-lien
publicitaire apparaissant sur la page où il se trouve, il va
généralement devoir introduire son e-mail dans une barre de
fenêtre pour accéder au contenu de la nouvelle page. Cette
identification électronique est alors fichée chez le «
prestataire de service » qui pourra s'en servir pour relancer le
listé via des messages publicitaires « personnalisés »,
les spams, déposés dans la boîte e-mail de ce
dernier. Un fichier de consommateurs peut être partagé avec
d'autres cyber-marchands, même d'un autre secteur de
l'e-business. C'est ce qui explique qu'à un moment une
boîte à lettres électronique peut être truffée
de spams en tout genre, l'internaute étant fiché un peu partout
avec ses principaux styles de consommation.
24
Toujours est-il qu'un jeune, même bien cadré par
ses tuteurs légaux, peut échapper à la vigilance de ces
derniers en fréquentant un cyber-café pendant ses heures de
fourche.
Par ailleurs, force est de constater le foisonnement des
expressions et termes relatifs aux fragilités humaines depuis une
vingtaine d'années. Lorsqu'un néologisme médical se
répand dans l'opinion, notamment par les médias, nous
l'intégrons progressivement pour finir par ne plus que percevoir
certaines conduites via le prisme de l'étiquette lexicale : «
Mon enfant est-il cyberdépendant ? Ou alors, a-t-il un haut
potentiel ? », « Pouvons-nous accueillir un
hyperkinétique dans cette classe ? », etc. Ainsi, «
il est essentiel pour les professionnels de la santé mentale de faire
preuve de sobriété et de prudence dans l'étiquetage, mais
aussi d'avoir à l'esprit que celui-ci construit autant qu'il
décrit une situation. La façon dont nous allons nommer les
problématiques de santé mentale [doit], avant de satisfaire nos
désirs de maîtrise et de classement, servir le bien être de
tout un chacun. » (ibidem, pp18-20).
Il s'agit de ne pas associer systématiquement «
cyberdépendance » à tout ce qui nous pose question en
matière de cyberconsommation des jeunes. La cyberdépendance
recèle en effet d'un éventail d'aspects diversifiés qui
vont jusqu'aux jeux de hasard et d'argent. Par prudence, « nous serons
plus efficients en termes de promotion du bien-être en parlant simplement
d' "usages problématiques" ». Et, dans ces
usages, il y a notamment le surinvestissement pour les jeux vidéo, dont
ceux on line27. Cet engagement excessif, pour lequel de
nombreux parents et éducateurs s'inquiètent, pourrait être
qualifié de « passion obsessive » selon l'expression de Robert
J. Vallerand (ibidem, pp 20-27).
Les adolescents jouent en moyenne une à deux heures par
jour. Cette moyenne n'est pas problématique. Par contre, il y aurait
vraiment lieu de s'inquiéter à partir de quatre heures
consécutives de jeu vidéo (ibidem, p28). A ce propos, une
étude statistique menée pour la Fédération
Wallonie-Bruxelles, sur un échantillon représentatif des 12-20
ans, révèle que 12,9 % des interrogés s'adonnent à
des jeux vidéo (sur console ou ordinateur) pendant au moins quatre
heures par jour, contre 12,5 % en 2008 et 7,3 % en 2002 (Favresse & al,
2013 : 84). Bien qu'elle est loin de se généraliser, force est de
constater que la tendance est en nette progression depuis une dizaine
d'années.
L'usage problématique des jeux interactifs concerne
davantage les garçons que les filles. Ces dernières ont tendances
à préférer les IRC28 où
elles peuvent « clavarder » (contraction de « clavier » et
« bavarder »29) en toute liberté et anonymat, mais
risquent toutefois de s'y perdre tout autant que les garçons le font
dans les jeux vidéo (Minotte, 2010 : 29).
Comme je l'ai désormais quelques fois
évoqué, un usage problématique des écrans
numériques peut s'expliquer par une fracture dans l'histoire de
certaines personnes. Mais cette cause ne doit pas s'envisager isolément
d'autres. L'interactivité dans la structure des MMORPG, par exemple, est
programmée pour l'établissement d'un lien fort entre joueurs
d'une même « guilde »30. Cette relation solide
serait de même nature que celle existant dans une coopération de
confiance « réelle » (ibidem, p31).
Toujours est-il que, au regard de l'état lieu dont je
viens de rendre compte, il est clair que les éducateurs ne doivent pas
négliger - pour prévenir toute dérive - d'entretenir un
dialogue aussi régulier que possible avec les jeunes dont la
responsabilité leur incombe, même à propos d'un domaine
dont certains aspects pourraient échapper à leurs maîtrise
et connaissance.
27Anglicisme signifiant « en ligne »,
c'est-à-dire connecté à Internet.
28L'Internet Relay Chat est un protocole qui
permet de dialoguer en temps réel avec d'autres utilisateurs en se
connectant grâce à un
logiciel (appelé un « client ») à
serveur IRC lui-même relié avec d'autres serveurs IRC. Toutes les
personnes ainsi connectées peuvent
discuter sur des forums publics ou privés en respectant
toutefois des règles d'utilisation.
Sources :
http://www.commentcamarche.net/contents/1155-irc.
29Néologisme que j'ai rencontré
à l'occasion d'une soirée d'information Webetic.
30Une guilde est un ensemble de joueurs formant une
équipe de « collaborateurs ». L'un des membres en est le
chef.