Les défis du terrorisme au Sahel. Aqmi,une menace stratégique?( Télécharger le fichier original )par Rodrigue NANA NGASSAM Université de Douala - Cameroun - Master II en science politique- option : études internationales 2013 |
PARAGRAPHE II : CONSEQUENCES DES MENACES SECURITAIRES SUR LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SOCIAL DANS LA REGION SAHELIENNELes défis de la sécurité au sahel ont des répercussions sur le développement de la région (A) qui par ailleurs se trouve confronté au problème de l'état de droit (B). A- Les répercussions sur le développement du sahelLes défis de la sécurité au sahel sont causes de recul de l'Etat en tant que prestataire de services publics (1). De même, ils entravent l'essor de l'activité économique (2). 1- Le recul de l'Etat en tant que prestataire de services publics De manière générale, l'Etat au sahel démontre une faible capacité à mobiliser les ressources matérielles, humaines et financières. Cet état de fait est en partie imputable à l'incivisme et à l'ignorance pour répondre à tous les besoins en services publics, tant en termes de quantité que de qualité. Au regard des divers menaces aussi bien internes qu'externes qui pèsent dans la région sahélienne, les agents de l'administration sont réticents à servir dans cette région. Parmi ceux qui sont affectés, certains se battent des pieds et des mains pour être mutés. Ce mépris pour la région est accentué par les idées reçues sur l'hostilité de la région. Ce faible attrait de la région a pour conséquence une faible dotation des services en ressources humaines, ce qui ne permet pas un fonctionnement optimal des services. L'insuffisance des ressources ne permet pas aux services publics de se rapprocher des populations. Cette situation contribue à maintenir, voire agrandir le fossé entre l'administration et les populations et réduit de ce fait la demande des services publics. La faible densité de peuplement et la forte mobilité des populations dans cette bande désertique rendent difficile et coûteux tout effort visant à réduire les distances d'accès aux services sociaux. A ceci s'ajoute le fait que l'analphabétisme, l'ignorance et l'incivisme amènent les populations à ne pas honorer leur devoir fiscal privant ainsi l'administration, notamment déconcentrée, de ressources pour investir. De manière générale, la mauvaise gouvernance ne permet pas de conduire des politiques économiques judicieuses et orientées vers le développement. Les menaces sécuritaires conjuguées à l'éloignement des services sociaux constituent un frein à la demande de services publics de la part des populations du sahel. En effet, au regard de l'éloignement des services publics et du fait de la montée du banditisme, les populations courent le risque de se faire agresser en s'y rendant. A cela s'ajoute les pesanteurs socioculturelles et les croyances qui constituent des obstacles à la fréquentation des services publics. L'intégrisme religieux qui tend à opposer l'enseignement public aux valeurs de la religion musulmane, amènent plusieurs parents à préférer l'école coranique non formelle où les enfants sont censés recevoir un enseignement conforme à la loi islamique. Les croyances et pesanteurs socioculturelles404(*) en conduisant à la déscolarisation prématurée405(*) contribuent aussi à réduire la demande en matière d'enseignement. La méconnaissance par les populations sahéliennes de leur droit, notamment socio-économique ne leur permet pas de les revendiquer et d'amener l'administration à déployer les efforts pour le respect de ces droits. De même, les prestations des services sociaux de base ont souvent aussi été la cause de la désertion de ces services par les populations. En matière de santé par exemple, il ressort que dans la région du sahel, les coûts sont l'un des motifs de la non fréquentation des services de santé. La corruption, en renchérissant les coûts d'accès aux services sociaux, en évince les plus pauvres qui n'ont pas les moyens pour en payer le prix. Par ailleurs, le sentiment de spoliation qu'ont les populations vis-à-vis de certains services les amène à s'en éloigner. Le faible développement des infrastructures rend inaccessible certains services dans certaines localités surtout en saison de pluie. Pareil pour le réseau routier qui, de part sa faiblesse entrave la communication, la connexion entre les villes, les localités et empêche de ce fait, l'essor du développement de la région. 2- L'essor de l'activité économique entravé La prédominance de l'analphabétisme au sein de la population active joue négativement sur l'offre de travail qualifié dans la région. De ce fait, plusieurs opportunités d'emplois qu'offrent les projets réalisés dans le sahel dans le secteur des mines par exemple ne peuvent pas être saisies par les populations. Les postes d'agents publics leurs échappent également. Or, dans plusieurs domaines, l'affectation d'agents originaires de la région qui connaissent les us et coutumes des populations aurait pu constituer un atout majeur et faciliter l'adhésion de ces structures par les populations. Elle aurait permis également de mettre en avant des hommes et femmes modèlent, ce qui serait très intéressant en termes d'incitation à la scolarisation. L'incapacité des populations locales à saisir les opportunités d'emplois dans l'industrie minière est cause de frustrations au sein de ladite population et constitue de ce fait une menace pour une exploitation sereine des ressources minières. La production minière est également très touchée par les problèmes sécuritaires dans la région du sahel. En effet, les sociétés industrielles sont le plus souvent entre l'enclume des revendications, vandalisme des populations et le marteau du banditisme et de la rébellion. Ces revendications, vandalismes sont exacerbés non seulement par l'analphabétisme ambiant et l'ignorance des populations mais aussi et surtout par la mauvaise gouvernance des acteurs locaux. Ainsi, dans certaines localités les ressources mises à la disposition par les sociétés minières ne sont pas souvent exploitées à bon escient. Et ceux-ci sont vus dans l'imagerie populaire comme des voleurs, des pilleurs qui exploitent les ressources sans contre partie. Le tourisme est l'un des secteurs qui souffre le plus des défis sécuritaires. En effet, la déclaration de cette bande sahélienne comme zone infréquentable a eu pour effet un abandon de la zone comme destination touristique. Aussi plusieurs guides touristiques ont-ils été contraints de se reconvertir dans d'autres domaines s'ils ne sont pas simplement retournés au chômage. Si jusqu'à aujourd'hui AQMI et d'autres groupes terroristes n'ont pas encore commis le moindre attentat aveugle dans aucun des trois pays sahéliens (Mali, Niger, Mauritanie) les plus exposés au menace, l'organisation s'est limitée à attaquer que des intérêts français dans la majorité des cas. Malgré le fait que les services de sécurité ont parfois su les déjouer à temps, les trois pays ont été classés en zone rouge pour la majeure partie de leur territoire et orange pour le reste. Le tarissement du tourisme qui a résulté des mesures prises par certains Etats a été une catastrophe économique et sociale pour les populations de la région qui en tiraient jusque là des ressources essentielles. Les actions de coopération au développement qu'assuraient certains ONG ont également été touchées à cause de la menace terroriste. Plusieurs ONG ont donc dû se retirées ou ont été amenées à réduire leurs activités au sahel. L'insuffisance des infrastructures hydro-agricoles et pastorales contribue aussi à inhiber l'essor des deux activités principales des localités qui font l'agriculture et l'élevage. La faiblesse des capacités financières de l'administration publique (centrale et locale) ne lui permettent pas de jouer son rôle d'impulsion du développement par la création des infrastructures nécessaires pour le développement des potentialités, nombreuses, de la zone. Les populations agricoles et pastorales sont menacées d'une part, par le banditisme mais aussi par les conflits internes (fonciers notamment) qui découragent certains exploitants à faire des investissements significatifs et durables pour valoriser le potentiel foncier. Les régions agricoles du Sud constituent depuis longtemps la zone utile des actuels Etats de la bande sahélienne, ce qui contribue à limiter l'intérêt des gouvernements pour les régions dépourvues et peu peuplés du Nord. Compte tenu de l'impossibilité d'augmenter les disponibilités hydrauliques et alimentaires, l'accroissement démographique des populations de la frange saharo-sahélienne engendre ou aggrave des pénuries. Les ressources limitées et aléatoires des Touaregs privent ceux-ci de toute possibilité de dégager des surplus leur permettant d'accumuler les capitaux, donc d'investir et de bâtir une économie plus efficace406(*). L'échange est en permanence inégal entre les Touaregs et les marchands du Sud (Mali, Niger), au détriment des premiers407(*). La rente des matières premières fait l'objet d'une redistribution inégale, insuffisante ou inexistante en direction des populations locales. Les trafics et activités terroristes accréditent les discours visant à criminaliser tout ou partie des habitants de la région. Surtout que ces derniers ne sont pas réellement intégrés dans les Etats dont ils sont ressortissants et qui se disent Etat de droit. * 404 Selon les perceptions, un mariage précoce protège des grossesses non désirées et partant des risques de honte pour les familles. * 405 Dans certains établissements, il a été enregistré au cours d'une année le retrait de plus d'une dizaine filles du CM pour cause de mariage. * 406 Patrice GOURDIN, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe », www.diploweb.com, le 11 mars 2012. * 407 Patrice GOURDIN, Ibid. |
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