B - Le problème de l'Etat de droit : un
Etat de droit fragilisé
La promotion de l'Etat de droit aux niveaux national et
international s'inscrit au coeur de la mission de l'organisation des Nations
Unies. Il est indispensable de respecter l'Etat de droit si l'on veut instaurer
une paix durable au sortir d'un conflit, assurée efficacement la
protection des droits de l'homme et réaliser les progrès
économiques soutenus et le développement. C'est pourquoi les
Nations Unies ont déclaré 2012, année de l'Etat de droit.
Or, au sahel, il existe des obstacles à l'affirmation de
l'autorité de l'Etat (1) et une faible garantie des droits humains
(2).
1- Les obstacles à l'affirmation de
l'autorité de l'Etat de droit
L'Etat de droit est un système institutionnel dans
lequel toutes les personnes morales (publiques ou privées) et physiques
sont soumises à la règle de droit. Pour avoir une portée
pratique, le principe de l'Etat de droit suppose l'existence de juridictions
indépendantes, compétentes pour trancher les conflits entre les
différentes personnes juridiques en appliquant à la fois le
principe de légalité, qui découle de l'existence de la
hiérarchie des normes, et le principe d'égalité, qui
s'oppose à tout traitement différencié des personnes
juridiques. Dans un Etat de droit, l'Etat dont la fonction de régulation
doit être affirmée et légitimée, s'applique à
respecter les droits humains.
Dans le sahel ou du moins dans certains Etats du sahel,
l'insuffisance des ressources humaines et matérielles empêche les
services publics de fournir des prestations de qualité, d'être
proche du citoyen et de lui réserver un accueil satisfaisant. Les
ressources humaines et matérielles de l'Etat sont en deçà
de ce que celui-ci devrait mettre en oeuvre pour un meilleur fonctionnement des
institutions républicaines. Le personnel de l'administration publique
est en nombre insuffisant car, nombreux sont ceux-là qui ne souhaite pas
rejoindre le Nord. En effet, dans la mentalité de l'agent et même
de l'administration centrale, être affecté au Nord équivaut
à une sanction disciplinaire. Les agents en poste dans les
régions du Nord du sahel doivent faire face à des conditions
climatiques difficiles, au manque de moyens, et sans aucun avantage en retour.
En outre, ils éprouvent un complexe d'infériorité par
rapport à leurs homologues du Sud qui semblent nettement mieux
équipés. Les principaux défis en matière de
ressources humaines et matérielles sont la construction de routes et /ou
leur entretien, la dotation des services en véhicules automobiles
adaptées, l'affectation d'un personnel suffisant et adapté, et la
création des services compétents pour chaque administration.
L'autre fait majeur, est la faible participation à la
vie publique et la mauvaise gouvernance. Les populations du sahel ont le
sentiment d'être abandonner par l'Etat. Ainsi, celles-ci se sentent
insuffisamment ou pas du tout impliqués dans les politiques de
développement. De plus, les différentes politiques de
développement ne prennent pas en compte les aspirations des habitants.
Concernant les habitudes culturelles des populations de ces régions, les
populations du sahel sont assez réservées de nature et la
communauté joue un rôle primordial. Culturellement, la famille et
le groupe social sont sollicités en premier dans le règlement des
conflits. Ces habitudes culturelles et le souvenir toujours persistant du
passé colonial, avec tous ses traumatismes et violations des droits
humains, rendent les populations méfiantes et réticentes
vis-à-vis de l'administration publique qu'elles considèrent comme
une continuation de l'administration coloniale qui ne prend pas en compte leur
réalité culturelle. Cet ensemble de données explique cette
réticence ou même ce refus de collaboration avec l'administration
publique. Par ailleurs, les populations du sahel sont aussi réfractaires
à l'égard des étrangers. Les populations du Mali et du
Niger, ayant une même frontière commune et partageant les
mêmes habitudes culturelles et religieuses se sentent plus proches et
considèrent les autres (Mauritaniens, Burkinabè etc.) comme des
étrangers.
Le défi sera donc de travailler à instaurer une
confiance entre l'administration et les citoyens, de travailler à une
administration véritablement républicaine dans laquelle chaque
citoyen se sent concerné et pris en compte. Il faudrait également
travailler pour que la confiance naisse entre l'administration publique et les
populations en les impliquant davantage dans l'élaboration et
l'application des politiques de développement. Cela contribuerait
à diminuer la corruption des agents publics de l'Etat qui est une
réalité dans les régions du sahel et à garantir les
droits humains des populations sahéliennes qui restent
fragilisées dans cette région.
2- La garantie des droits humains : une mise en
oeuvre limitée
Les populations du sahel estiment globalement satisfaisantes
la garantie et l'effectivité des droits civils et politiques, même
si elles notent quelques insuffisances. Cependant, le véritable
défi réside dans la garantie par l'Etat des droits
économiques et sociaux, l'Etat ne mettant pas en oeuvre des politiques
publiques efficaces permettant aux populations de jouir de ces droits. De ce
fait, l'ensemble des droits économiques, sociaux et culturels ne sont
pas assurés aux populations du sahel. Or tous les droits humains sont
égaux et interdépendants. Un droit non garanti va avoir
nécessairement des répercussions sur les autres droits.
Au sahel, il existe un faible accès à la
justice. Le droit d'accès au juge dans les localités de cette
région n'est pas encore effectif pour tous du fait de
l'éloignement de celui-ci du justiciable ; d'autre part, les
juridictions n'ont pas de moyens pour tenir des audiences foraines. C'est un
fait que la justice est éloignée du justiciable dans les
régions du sahel et si elle existe, celle-ci n'offre pas aux
justiciables tous les services qu'elle est censée offrir. D'abord, les
distances à parcourir par les populations de ces régions pour
accéder à un tribunal sont importantes. Ensuite, l'accès
des populations des régions du sahel aux services d'un avocat est quasi
impossible ou très coûteux du fait qu'ils ne sont établis
que dans les grandes villes du pays. Il n'y a pas de cabinet d'avocat dans les
régions du sahel, ce qui constitue une entrave au droit de la
défense garanti par la constitution dans la mesure où
l'assistance d'un conseil est obligatoire pour certaines procédures
telles que les affaires criminelles, les mineurs poursuivis au pénal ou
le pourvoi en cassation. Cette situation a pour conséquence les
coûts trop élevés de la justice.
L'information juridique et judiciaire est inaccessible aux
populations des régions du sahel qui le plus souvent ne font pas
confiance en leur justice. Pour cette raison, les populations du sahel
recourent souvent aux services d'intermédiaires supposés à
tort ou à raison mieux connaître le système, une pratique
qui engendre la corruption et le trafic d'influence. La langue française
utilisée par exemple au Mali et au Niger lors des procès n'est
pas comprise des populations du Nord qui pour la plupart sont
analphabètes. Les décisions de justice rendues sont rarement
exécutées et les auteurs d'infractions ne sont pas souvent
sanctionnés. Le boom minier dans le Nord de certains Etats du sahel
comme le Niger avec l'exploitation minière a développé une
insécurité dans toute la région. Elle se manifeste par des
attaques à main armée, la vente et la consommation de
stupéfiants dans la région etc. La police judiciaire dispose de
peu de ressources pour enquêter efficacement sur les crimes commis et
arrêter leurs auteurs. De plus, par peur de représailles, les
populations refusent ou ont peur de dénoncer les criminels. La prison
rencontre par ailleurs de sérieux problèmes d'adaptation social
dans les régions du sahel. Institut méconnue dans les traditions,
la prison est considérée comme une importation coloniale et est
perçue comme un lieu d'humiliation et non d'insertion sociale. Et l'Etat
s'avère incapable d'assurer l'effectivité des droits des
détenus.
De même, les droits de la femme et de l'enfant restent
l'un des enjeux pour le sahel notamment dans les zones du Nord des pays comme
le Mali, le Niger et la Mauritanie. Les femmes et les enfants sont les
personnes les plus vulnérables dans les régions du sahel. Ainsi,
ils voient leurs droits fréquemment violés. La plupart de ces
violations sont le fait de personnes privées. Les mariages forcés
et précoces sont par exemples très courants. La jeune fille est
donnée en mariage à l'âge de 11-12 ans, parfois même
7 ans. Le mari est chargé de son éducation. Cette pratique
entraine une forte déperdition sur le plan scolaire et, chaque
année, on estime à plus de 60% les jeunes filles qui abandonnent
l'école primaire. La pratique du lévirat subsiste aussi obligeant
la veuve d'épouser le frère de son mari
décédé. A cela s'ajoute l'excision, couramment
pratiquée dans le Nord du Mali et du Niger. Les femmes participent peu
à la vie publique. Malgré la présence de femmes parmi les
élus locaux de la région sahélienne, le constat demeure
qu'elles restent peu représentées dans la gestion des affaires
locales. Cette situation est due aux pratiques culturelles et aux
mentalités des populations de cette zone.
Le défi sera donc de doter la région
sahélienne des moyens suffisants permettant de garantir la
dignité humaine, la sécurité et de permettre la
scolarisation et l'éducation des filles en particulier. En plus de tout
cela, le développement économique est un véritable
défi pour la sécurisation de cette région.
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