C) La Grande-Bretagne
La Grande-Bretagne est l'un des premiers pays à avoir
adopté une législation relative au mercenariat. Il s'agit du
Foreign Enlistment Act (« Loi sur l'enrôlement à
l'étranger ») adopté en 1870. Il rend illégal pour
les sujets de la Couronne le fait de rejoindre les forces armées d'un
pays en guerre contre un pays en paix avec la Grande-Bretagne. Toutefois, comme
le rappelle Aymeric Philipon (Le Mercenaire et le droit), du fait du
contexte historique (guerre franco-prussienne), « l'objectif principal de
cette loi reste la protection de la neutralité de la Grande-Bretagne
».
56 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux
entrepreneurs de la guerre : des mercenaires aux sociétés
militaires privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 47.
57 Collectif (sous la direction de Jean-Jacques
Roche), Des gardes suisses à Blackwater, mercenaires et auxiliaires
d'hier et d'aujourd'hui, IRSEM, Paris, Mai 2010, p. 59.
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S'agissant cette fois-ci des SMP britanniques et non des
mercenaires, aucun texte ne régit leur activité hormis ceux
relatifs au droit des sociétés. Cependant, les SMP ne devraient
pas être encadrées par le même droit que les autres
sociétés car elles peuvent faire plus facilement l'objet d'une
instrumentalisation à des fins illégales. Par exemple, en 1998,
la société Sandline passa un contrat de fourniture d'armes avec
Ahmad Tejan Kabbah, président de la Sierra Leone contraint à
l'exil le 25 mai 1997 suite au coup d'Etat de Johnny Paul Koroma, chef de
l'Armed Forces Revolutionary Council (AFRC). Or, il existait à
l'époque un embargo sur les armes en Sierra Leone58. Une
commission parlementaire fut donc mise en place pour enquêter sur cette
violation de l'embargo par la société Sandline. En février
1999, l'enquête fut rendue publique et il s'avéra que
l'opération avait reçu le soutien du Foreign Office et du
MI659. Ainsi, comme dans le cas français du coup d'Etat aux
Comores en 1995, il est rare que les services secrets ne soient pas
impliqués de façon plus ou moins directe dans les
activités de ces sociétés.
Enfin, il faut noter qu'un Livre blanc publié en
février 2002 a proposé de réguler les activités de
ces sociétés militaires privées en instaurant une
procédure d'autorisation pour leur exercice60.
D) Les Etats-Unis
S'agissant de la législation américaine, il
faut, comme dans le cas britannique, distinguer le mercenariat traditionnel de
l'assistance militaire privée.
Le mercenariat traditionnel est régi par la Section 959
du Titre 18 du United States Code (USC) qui affirme : « (a)
Quiconque, sur le territoire des Etats-Unis, s'enrôle ou s'engage, ou
invite autrui à s'enrôler ou à s'engager, ou à se
soustraire à la juridiction des Etats-Unis avec
58 En octobre 1997, le Conseil de
sécurité des Nations Unies adopta la résolution 1132 qui
établissait un embargo sur les armes en Sierra Leone. En juin 1998, la
résolution 1171 leva cet embargo mais en imposa un autre qui ne
s'appliquait pas cette fois-ci au gouvernement sierra-léonais mais aux
forces contrôlées par le Revolutionary United Front
(RUF). Au final, ce n'est qu'en septembre 2010, soit 13 ans plus tard, que
la résolution 1940 leva cet embargo.
59 DANIEL Jean-Philippe, La politique militaire
de la France au sud du Sahara, du discours de la Baule à
l'opération Hadès : du désengagement à la
privatisation ?, mémoire de DEA, Université de Paris I,
2000.
60 Voir le rapport du 12 février 2002
intitulé Private Military Companies : Options for Regulation
(2002). Ce rapport fut établi par le Foreign and Commowealth Office
à la demande de la Chambre des Communes.
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l'intention d'être enrôlé ou engagé
au service d'un quelconque prince, Etat, colonie, région ou peuple
étranger (...) se verra puni d'une amende ou emprisonné pour une
durée maximum de trois ans, ou les deux.
(b) Cette section ne s'applique pas aux citoyens ou sujets
d'un Etat en guerre avec un pays contre lequel les Etats Unis sont
eux-mêmes en guerre, à moins que ces citoyens ou sujets invitent
ou sollicitent un citoyen américain à s'engager ou à se
soustraire à la juridiction des Etats-Unis dans le but de s'engager ou
d'entrer au service d'un pays étranger (...).61 » En
d'autres termes, l'US Code interdit le mercenariat sauf si les
mercenaires interviennent contre un pays en guerre avec les Etats-Unis. Il y a
donc une volonté de criminaliser le mercenariat tout en autorisant ce
qu'on pourrait appeler le « volontariat international ».
En matière d'assistance militaire privée, la
section 8 de l'article 1er de la Constitution américaine du
17 septembre 1787 mentionne : « Le Congrès aura le pouvoir (...) de
déclarer la guerre, d'accorder des lettres de marque et de
représailles, et d'établir les règlements concernant les
prises sur terre et sur mer.62 » Bien évidemment, cette
clause sur les lettres de marque et de représailles doit être
restituée dans son contexte historique. En effet, il s'agissait pour le
Congrès d'avoir la possibilité d'autoriser des armateurs à
armer des flottes privées afin d'attaquer les navires de commerce
ennemis (notamment ceux battant pavillon anglais). Autrement dit, il s'agissait
de régir la guerre de course. A ce titre, certains juristes comme
Matthew J. Gau 63 ont vu dans cette disposition constitutionnelle la
base des textes réglementant les activités des SMP.
De manière plus contemporaine, la loi qui concerne
les Private Military Companies (PMCs) se trouve au chapitre 39 du
titre 22 de l'US Code64. Il s'agit de la loi sur le contrôle
des exportations d'armes. Comme le précise Aymeric Philipon, le Arms
Export Control Act concerne aussi bien les matériels de guerre que
les services. Dans un premier temps, la SMP désirant fournir un service
militaire doit se faire enregistrer auprès du State's Office of
Defense Trade Controls (ODTC) en tant que société
exportatrice. La SMP peut alors négocier avec le client,
c'est-à-dire le gouvernement étranger. Dans un deuxième
temps, le contrat final doit être soumis à l'approbation de
l'ODTC. Pour prendre sa décision, il consulte le ministère
61 18 USC § 959 - Enlistment in foreign
service.
62 U.S. Constitution - Article 1 - The Legislative
Branch, Section 8 - Powers of Congress.
63 GAUL Matthew J., « Regulating the new
privateers : private military service contracting and the modern marque and
reprisal clause », Loyola of Los Angeles Law Review, juin
1998, pp. 1489 et suivantes.
64 22 USC Chapter 39 - ARMS EXPORT
CONTROL.
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de la Défense et la représentation
américaine dans le pays du client potentiel. Finalement, comme
l'écrit Olivier Hubac, « les rapports qui lient l'Etat
américain à ces sociétés prennent la forme d'une
délégation de service public.65 »
Il faut toutefois noter que dans le cadre d'un contrat de plus
de 5 millions de dollars, l'autorisation du Congrès est obligatoire. Or,
il arrive assez souvent que les SMP multiplient les contrats afin de «
court-circuiter » ce vote parlementaire. Au final, le recours à des
SMP relève principalement du Departement of State66,
c'est-à-dire du pouvoir exécutif et non du pouvoir
législatif comme on pourrait s'y attendre. Cette situation qui perdure
encore aujourd'hui fait débat. Jan Schakowsky, membre du parti
démocrate et représentante du neuvième district de
l'Illinois à la Chambre des représentants soulève la
question suivante : « Est-ce que l'armée américaine
privatise ses missions pour éviter toute contestation ou critique en
soustrayant les cadavres au regard de l'opinion publique67 ? ».
S'il est vrai que le caractère démocratique du processus
peut-être remis en cause, il constitue en tout cas un formidable outil en
termes de politique étrangère.
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