Le gouvernement et le processus législatif en Tunisie (avant la révolution de 2011)( Télécharger le fichier original )par Héla Boujneh Faculté de Droit et des sciences Politiques de Sousse - Mastère en Droit Public 2010 |
Paragraphe II : L'efficacité relative du Conseil ConstitutionnelLe rôle du Conseil Constitutionnel en matière de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi est limité, « plusieurs handicaps se reportant au mode de la saisine font obstacle à un contrôle efficace à cet égard 251(*)» C'est le Président de la République qui doit informer les députés en cas de saisine. Notons que le Conseil Constitutionnel exerce un contrôle de conformité et de compatibilité. « Le mécanisme mis en oeuvre en Tunisie depuis 1987, ne permet pas d'assurer une protection efficace de la Constitution...Il s'analyse beaucoup plus comme une participation par le Conseil Constitutionnel au processus législatif d'élaboration de la loi qu'un contrôle efficace de constitutionnalité de la loi252(*). » D'autre part, le moment même de la saisine du Conseil Constitutionnel par le Président de la République pose problème, puisque le texte juridique en question est juste un projet de loi qui n'acquière pas la qualité d'une loi objet d'un contrôle de constitutionnalité253(*). N'est-il pas judicieux de permettre la saisine une fois que le projet de loi est discuté devant les deux chambres aux risques que les parlementaires y apportent des modifications substantielles touchant à sa constitutionnalité ? Comme l'affirme Bruno Baufumé254(*): " Le Parlement participe à la confection de la loi non pas en l'initiant, mais en décidant de l'adopter ou de la repousser... en apportant au texte initial les modifications qui lui paraissent nécessaires et dont l'ampleur est très variable : de la correction grammaticale à la refonte complète du texte ". La nature du régime tunisien a fait qu'on a douté de l'efficacité de la consultation du Conseil Constitutionnel pour les projets de loi, la plupart des juristes ont ainsi critiqué son rôle se référant à l'auteur ainsi que de la nature de la saisine(A) en plus de la composition même du conseil (B). A-L'auteur et la nature de la saisineLa Constitution tunisienne permet seulement au président de la République (1) de saisir obligatoirement (2) le Conseil. 1- Le Président de la République : L'auteur unique de la saisine du C.C Conformément à l'article 72 al1 de la Constitution ; « Le Conseil Constitutionnel examine les projets de loi qui lui sont soumis par le Président de la République quant à leur conformité255(*) ou leur compatibilité 256(*)avec la Constitution.257(*) ». Le rang constitutionnel conféré au Conseil Constitutionnel «ne l'a pas débarrassé d'une conception bizarre qui considère cette structure comme un simple organe d'assistance au service du président de la république dans l'accomplissement de sa mission de garant de la protection de la constitution telle que prévue par l'article 41 de cette dernière 258(*)». De plus le Chef de l'Etat bénéficie d'un pouvoir discrétionnaire quant à la saisine du Conseil en ce qui concerne « toutes questions touchant l'organisation et le fonctionnement des institutions259(*) ». L'article 73 dispose que : « les projets du Président de la République sont soumis au Conseil Constitutionnel avant leur transmission à la Chambre des Députés ou leur soumission à référendum »260(*). D'après cet article le Président de la République est le seul à pouvoir saisir le conseil Conformément à cette disposition le conseil constitutionnel va vérifier le respect du projet de loi aux normes constitutionnelles sous réserve de la soumission du dit projet par le chef de l'Etat. Par ailleurs la Constitution exclue la possibilité de contrôle de constitutionnalité de tout projet de loi à caractère fiscal ou financier, qui est donc soumis, au libre arbitre du chef de l'Etat. Même si la loi adoptée a pour origine une initiative parlementaire, le Conseil Constitutionnel sera saisi par la chef de l'Etat, après adoption, dans les délais de promulgation et de publication prévus à l'article 52, dans les cas où la saisine du Conseil est obligatoire en vertu de l'article 72. Et dans tous les cas de figures, le président de le République est tenu d'informer le parlement de la saisine. 2- La portée de la saisine obligatoire du C.C La saisine du Conseil est obligatoire261(*) pour tous les projets de loi ou propositions de loi énumérés dans l'article 72 de la constitution tunisienne. Il faut remarquer que les projets de loi ayant un caractère financier et fiscal ne sont pas concernés par la consultation du conseil constitutionnel Il s'agit là d'une saisine facultative qui confère au président de la république un pouvoir discrétionnaire. La constitution a soigneusement exclu les projets de loi ayant un caractère financier et fiscal du domaine de la saisine obligatoire262(*). Cependant cela n'a pas empêché le conseil de soulever des cas d'inconstitutionnalité, spécialement via ses deux avis en 2004 et 2005263(*) Le présidant de la république va donc profiter de ce pouvoir pour décider de ne pas soumettre l'intégralité des projets de lois, il a par contre opté à la fragmentation des ces textes et le conseil quant a lui a accepté cette pratique en se déclarant compétent à la limite de la requête présentée264(*) . En France, « Le juge constitutionnel ne contrôle pas l'ensemble des normes au regard de la Constitution : - il s'est déclaré incompétent pour contrôler la conformité à la Constitution des lois référendaires - il refuse également d'exercer tout contrôle de conventionalité, qui l'aurait amené à s'assurer de la conformité des lois aux traités (décision numéro75-54 DC du 15 janvier 1975265(*) ; En revanche, le Conseil constitutionnel veille à la conformité à la Constitution des engagements internationaux, ce qui constitue une forte originalité en droit comparé ». Pour ce qui est de la conformité ou la compatibilité, le projet de loi doit respecter l'avis rendu par le conseil constitutionnel. D'autre part les avis ne sont plus confidentiels et seulement communiqués au président de la République, puisque depuis la loi organique n°2004-52 relative au conseil constitutionnel, ils sont désormais publiés dans le journal officiel de le République tunisienne. Dans les deux cas de figure, la saisine du conseil a un effet suspensif sur la date de promulgation. Une fois le conseil tranche sur la constitutionnalité du projet de loi, L'avis du Conseil constitutionnel est adressé au Président de la République qui transmet le projet de la loi examiné à la Chambre des députés accompagné d'une copie de l'avis. Le conseil est censé jouer un rôle important dans le jugement de la constitutionnalité du projet de loi, cependant l'impartialité de ses membres pose un problème quant à la composition de ces membres. * 251Boubakri (A.). « Constitution et la préparation de la loi de finances », Constitution et administration, FSEPS et ATDC, page 165. * 252Tarchouna (L.).Le tribunal administratif et la protection de la Constitution, Mélanges à l'honneur du doyen Mustapha Filali, CPU, Tunis, 2010, page371-372 * 253 Contrairement au modèle français ; une loi peut, après son adoption par le parlement mais avant la promulgation, être déférée au conseil constitutionnel pour statuer sur sa constitutionnalité. * 254Baufumé (B.).Le droit d'amendement et la constitution sous la 5ième république , Revue Internationale de droit Comparé , année 1994, volume 46, numéro 1 , pp. 269-270* 255« Charles Eisenmann définit la conformité logique et rationnelle comme étant celle qui existe entre un objet et un type idéal, général, abstrait dont il constitue une réalisation concrète.il poursuit en affirmant que dans ce sens, poser qu'une norme doit être conforme à une autre norme c'est exiger que la norme contrôlée soit la réalisation concrète d'un schéma ou modèle pré dessiné dans la norme de référence », Tabei (M.). Les normes de référence du contrôle de la constitutionnalité dans les avis du conseil constitutionnel », Mémoire pour l'obtention du mastère en droit public et financier, faculté des sciences politiques, juridiques et sociales, Tunis 2, 2007, voir aussi Ajroud (B.), Le Conseil Constitutionnel Tunisien et les traités, Mélanges Mustapha Filali, CPU, 2010, page 51-57, aussi page 407-409. * 256 Le doyen favoreu énonce que la compatibilité se borne à exiger de la norme contrôlée le respect du cadre ou des orientations tracées par la norme de référence. Tabei (M.). Les normes de référence du contrôle de la constitutionnalité dans les avis du conseil constitutionnel , Mémoire pour l'obtention du mastère en droit public et financier, faculté des sciences politiques, juridiques et sociales, Tunis 2, 2007. * 257 la saisine du conseil est obligatoire pour les projets de lois organiques, les projets de lois prévus à l'article 47 de la constitution, ainsi que les projets de lois relatifs aux modalités générales d'application de la constitution, à la nationalité, à l'état des personnes, aux obligations, à la détermination des crimes et délits et aux peines qui leur sont applicables, à la procédure devant les différents ordres de juridictions, à l'amnistie, ainsi qu'aux principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels, de l'enseignement, de la santé publique, du droit du travail et de la sécurité sociale. De même, le président de la république soumet obligatoirement au conseil constitutionnel des traités visés à l'article 2 de la constitution. Il peut également lui soumettre toutes questions touchant l'organisation et le fonctionnement des institutions * 258 Ben Achour (R.). La protection de la constitution, Mélanges Sadok Belaid, Centre de Publications Universitaires, 2004, page 127. * 259 Al 3 de l'article 72 de la Constitution tunisienne du 1 juin 1959 . * 260 le président de la république soumet au conseil constitutionnel durant le délai de promulgation et de publication prévu à l'article 52 de la constitution, les modifications concernant le fond apportées aux projets de lois adoptés par la chambre des députés et qui ont été précédemment soumis au conseil constitutionnel conformément aux dispositions du présent article. Il en informe le président de la chambre des députés. Dans ce cas, le délai précité est interrompu jusqu'à communication au président de la république de l'avis du conseil constitutionnel, sans que l'interruption excède un mois. * 261 « Considérant que le projet de loi organique soumis à l'examen du conseil s'insère dans le cadre de la saisine obligatoire ». Avis n° 36-2010 du conseil constitutionnel sur un projet de loi organique modifiant et complétant la loi n° 72-40 du 1er juin 1972 relative au tribunal administratif * 262Boubakri (A.) Constitution et la préparation de la loi de finances, Constitution et Administration, FSEPS et ATDC, page 166 est suivantes. * 263 « Les articles 28 29 30 31 du projet de loi de finances pour 2005 et des articles 22 et 23 du projet de loi e fiances pour 2006 », Boubakri (A.) .Constitution et la préparation de la loi de finances, Constitution et administration, FSEPS et ATDC, page 168. * 264 Avis n°58-2008 u 15 octobre 2008 concernant certaines dispositions du projet de loi de finances pour l'année 2009, JORT, n°104, 26 décembre 2008, page 4384, « Considérant que la saisine se limite à certains articles du projet de loi de finances, cela ne fait pas pour autant obstacle à ce que le Conseil les examine ans ce cadre et dans la mesure où ces articles ou ensemble d'articles pris isolément constituent, en eux-mêmes , des dispositions autonomes vis-à-vis des autres contenues dans le projet de loi de finances. » * 265 Extrait du document relatif au Conseil Constitutionnel disponible sur le site : http :// www . conseil - constitutionnel . fr / conseil - constitutionnel / francais / les - decisions / acces - par - date / decisions - depuis -1959/1975/74-54- dc / decision - n -74-54- dc - du -15- janvier -1975.7423. Html, consulté le 23/11/2010. |
|