Section 3. Standard and Poor's, fruit du
néolibéralisme ?
Si le néolibéralisme s'euphémise au point
de disparaitre, s'il est partout sans être pour autant distinctement
visible, il est pourtant certain que certaines choses le révèlent
de façon plus évidente. Le néolibéralisme n'est pas
une idéologie, de sorte qu'il n'épargne rien. Il s'infiltre dans
tous les domaines, même ceux que l'on croyait relever du naturel. Le
néolibéralisme a profondément modifié la
façon de gouverner ; il a modifié le pouvoir et la façon
de l'exercer. Dès lors, le pouvoir, à l'instar du
néolibéralisme lui-même, est de moins en moins perceptible
; il n'est plus centralisé28 comme il l'était sous
l'ère de la souveraineté29. L'effondrement de la
18 Dardot (P.), La nouvelle raison du monde, op.
cit., p. 5
19 Garapon (A.), La raison du moindre Etat, op.
cit., p. 17
20 Ibid., p. 225
21 Foucault (M.), Naissance de la biopolitique,
op. cit., p. 47
22 Jeanpierre (Laurent), Une sociologie
foucaldienne du néolibéralisme est-elle possible ?,
Sociologie et sociétés, vol. 38, n° 2, 2006, p. 90
23 Foucault (M.), Naissance de la
biopolitique, op. cit., p. 139
24 Garapon (A.), La raison du moindre Etat,
op. cit., p. 16
25 Jon Elster, « Les économistes
ont tendance à croire que le marché est aussi omniscient que Dieu
! ». Philosophie magazine, février 2012, n°56, p. 45
26 Garapon (A.), La raison du moindre Etat,
op. cit., p. 224
27 Ibid., p. 225
28 Ibid., p. 226
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souveraineté dans le génocide30 a en
effet mené à ce que les Etats ne soient plus les seuls à
être détenteurs du pouvoir. Le pouvoir n'est plus aussi entier
qu'il ne l'était auparavant : il ne s'illustre plus par la discipline,
l'injonction ou le statique. La souveraineté procède de la
croyance en une source unique du pouvoir31. Le
néolibéralisme, au contraire, procède de la croyance que
le pouvoir est partout si bien que « la raison du pouvoir n'est plus
recherchée dans une instance souveraine transcendant la
société, mais dans des règles de fonctionnement
inhérentes à celles-ci »32. Il n'y a plus
que des forces qui circulent ; le pouvoir n'est plus extrinsèque, il
n'est par là même pas réellement identifiable. Dès
lors, peut-être que le néolibéralisme a tout simplement
fait échouer la notion même de pouvoir, si bien qu'il pourrait
être remplacé par la notion de force33.
On l'a compris, le néolibéralisme, c'est le
règne de l'immanence contre la transcendance. Or, quoi de plus immanent
que Standard and Poor's ? Standard and Poor's, qui est née pour le
marché, dans le marché, pourrait presque d'instinct être
rattachée au néolibéralisme, dans la mesure où
celui-ci considère le marché comme modèle de la
société. Sentinelle des marchés financiers34,
les agences de notation pourraient ainsi être également
considérées comme la sentinelle de la raison
néolibérale, car les marchés sont le lieu même
où le néolibéralisme est le plus exacerbé. Si tel
était pleinement le cas, le pouvoir de Standard and Poor's ne serait
à peine visible, conformément aux présupposés
néolibéraux. Or, aux yeux de nombreux citoyens et dirigeants, le
pouvoir de Standard and Poor's est pleinement visible et parfois, condamnable
de sorte que la question de savoir si Standard and Poor's s'inscrit dans le
paradigme néolibéral peut se poser.
Si avènement du paradigme néolibéral il y
a, celui-ci se révèle surtout par rapport à l'Etat car
c'est celui-ci que le néolibéralisme bouscule en premier lieu. Ce
sont donc les rapports de pouvoir entre Standard and Poor's et l'Etat qui
seront le plus révélateur de l'avènement du paradigme
néolibéral. C'est donc non seulement dans le fonctionnement et la
pensée même de Standard and Poor's, mais également dans la
réception de ce modèle par l'Etat que pourra se déceler le
néolibéralisme chez Standard and Poor's - c'est-à-dire
tant dans son comportement que dans ce qu'elle inculque. En prenant le
marché pour modèle de société, en ce qu'il tend
à une meilleure efficacité - en réduisant au maximum les
externalités négatives de chaque comportement - et à une
maximisation des richesses, il semble que la ligne de conduite de Standard and
Poor's prenne majoritairement deux directions - qui vont d'ailleurs dans le
même sens : le néolibéralisme. D'une part, elle fait de la
concurrence son axiome de pensée, car en elle réside l'essentiel
du marché35 (Chapitre 1). D'autre part, elle prône la
fuite de la chose politique, qui caractérisait le modèle
précédent de souveraineté36 (Chapitre 2).
29 L'emploi de cette formule ne signifie pas que
les Etats ne sont plus souverains ; elle renvoie à l'ère
où les Etats étaient au centre du monde, avant l'avènement
du néolibéralisme.
30 Garapon (A.), La raison du moindre Etat, op.
cit., p. 156
31 Supiot (Alain), Homo juridicus. Essai sur la
fonction anthropologique du droit, Paris, Editions du seuil, coll. «
La couleur des idées », 2005, p. 224
32 Ibid., p. 227
33 Garapon (A.), La raison du moindre Etat, op.
cit., p. 226
34 Idem.
35 Foucault (M.), Naissance de la
biopolitique, op. cit., p. 122
36 Ibid., p. 21
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