L'engagement unilateral( Télécharger le fichier original )par Ramsès VOUGAT Université de Ngaoundéré (Cameroun) - Master II 2010 |
Paragraphe 2 : Les véritables craintes suscitées par l'avènement de l'engagement unilatéralPendant que l'engagement unilatéralfrappait aux portes du droit, une doctrine majoritaire a aiguisé ses armes pour l'empêcher d'entrer. Ces objections, serévélant insoutenables, l'on a très vite compris que les causes devraient êtres trouvées ailleurs. A l'analyse, il en ressort que la reconnaissance d'un pouvoir créateur d'obligations à la volonté unilatérale emporte avec elle une méfiance suscitée par la crainte de la nouveauté et de l'extranéité d'une part (A), et celle de la mise à mal de l'hégémonie du contrat (B). A- La crainte de la nouveauté et de l'extranéité.36.L'hostilité à l'endroit de l'engagement unilatéral est due pour une grande part à la crainte de la nouveauté que constitue l'unilatéralisme et à la méfiance à l'égard de l'extranéité. Des mouvements d'unilatéralisme tendent à envahir la sphère du droit des obligations au point où un important colloque lui a été consacré en 199968(*). L'on constate cependant que l'unilatéralisme a mauvaise presse, que l'acte unilatéral est un phénomène irritant. Il est taxé de tous les mots : potestativité, arbitraire, abus de position dominante. Une telle hantise des juristes de droit privé s'alimente de la comparaison non seulement avec le droit administratif, mais aussi avec le contrat. 37.Dans le droit administratif, « l'acte unilatéral, individuel ou règlementaire, y règne en maitre »69(*). Cet unilatéralisme est l'instrument dont l'administration se sert pour exercer son autorité sur les citoyens. L'acte unilatéral est un instrument d'autorité au service de son auteur. Or, le droit des obligations manifeste une certaine méfiance vis-à-vis du phénomène d'autorité. Cette crainte n'est pas en effet fondée car elle peut être contournée par la mise sur piedd'instruments dont le but sera d'assurer le contrôle de la volonté unilatérale; Le juge devant être un acteur dans cette lutte contre l'autorité. C'est cette idée qui se concrétise avec la montée en puissance de ce que la doctrine appelle « les instruments de l'équilibre contractuel ». Ce qui est valable pour le contrat l'est aussi, mutatis mutandis, pour l'engagement unilatéral. L'unilatéralisme n'est donc pas un mal en soi, il ne subira les foudres du juge que lorsqu'il ne s'insère pas dans les canons aménagés à cet effet. C'est ce qui justifie sans nul doute la montée de l'unilatéralité en droit des obligations aujourd'hui. 38.D'un autre côté, la crainte à l'égard de l'unilatéralisme s'accentue lorsque l'on fait l'éloge du contrat. En effet, le contrat est présenté comme «l'instrument naturel de l'accomplissement de la liberté, de la légalité et peut être moins nettement aujourd'hui, de la fraternité »70(*). Le contrat est doté d'une sorte de perfection esthétique et morale dont l'acte unilatéralest singulièrement dépourvu et surtout, il est par nature l'instrument de l'activité économique. Comment reconnaitre une place à l'unilatéralisme en général et à l'engagement unilatéral en particulier lorsquel'accord de volontés a tout occupé, a même envahi les esprits des juristes ? 39.Par ailleurs, l'autre crainte que suscite l'avènement de l'engagement unilatéral est l'extranéité. En effet, l'engagement unilatéral est une technique venue d'ailleurs. Cette thèse rencontre de nombreuses objections parce qu'elle est perçue comme un corps étranger qui viendra bousculer les habitudes de pensées faites de schémascontractuels. Or, une institution n'est un corps étranger que lorsqu'elle ne s'accommode pas de la cohérence d'un système juridique. Telle n'est donc pas le cas de l'engagement unilatéral qui est née dans un univers juridique qui partage de nombreuses familiarités avec le système français où l'on craint que la suprématie du contrat ne soit mise à mal. B- La fin de l'hégémonie du contrat ?40.L'avènement de l'engagement unilatéral en droit positif a du mal à être accepté par les auteurs parce qu'il est considéré comme portant en lui « les germes de la destruction du contrat ». Voici qu'est ainsi posé le fameux problème de la délimitation du domaine de l'engagement unilatéral. S'il est admis, doit-on en faire une source générale d'obligations ou une source d'appoint? Tout au départ, l'on recourt à l'engagement unilatéral pour expliquer quelques institutions dont on n'arrivait véritablement pas à rattacher aux sources d'obligations existantes. Mais par la suite, certains auteurs, tels Siegel, ont voulu faire de l'engagement unilatéral la source par excellence de l'obligation au point où le contrat lui-même était considéré comme une juxtaposition de deux engagements unilatéraux.Par réaction, certains auteurs appellent aujourd'hui à restreindre le domaine de l'engagement unilatéralsous la double condition de subsidiarité et d'utilité. Faire de l'engagement unilatéral une source d'appoint socialement utile en se fondantsur l'idée émise par M. Gény en 191971(*). En fait, il ne saurait y avoir de crainte à voir le contrat être déstabilisé par l'engagement unilatéral. Pour éviter un tel problème de conflit de frontières, il est plus astucieux de faire de l'engagement unilatéral non une source concurrente du contrat, mais une source complémentairequi viendrait compléter le rôle joué par le contrat, sans aucun risque de jamais se poser en rival de celui-ci. 41.Au terme de ce chapitre où il était question de passer en revue les objections avancées contre l'admission de l'engagement unilatéral comme source d'obligations, il en ressort qu'elles sont nombreuses et ont le mérite de reposer sur des conceptions fondamentales. Mais aucune d'ellesn'est véritablement soutenable;aucune crainte suscitée par l'avènement de l'engagement unilatéral n'est insurmontable; Le tout étant de mettre sur pied de véritables garde fous permettant d`assurer non seulement la protection du débiteur contre lui-même, mais aussi la protection des créanciers éventuels et des tiers à l'engagement. C'est ce que la jurisprudence semble avoir comprise puisqu'elle ne manque pas de révélerexpressément l'existence d'engagementsunilatéraux dans des domaines aussi variés. * 68Ch. JAMIN et D. MAZEAUD (sous la dir. de), L'unilatéralisme et le droit des obligations, Economica 1999. * 69L. AYNÈS, « Rapport introductif », in L'Unilatéralisme et le droit des obligations,1999,n°4,p.4. * 70L. AYNÈS, op. cit., n°4,p.4. * 71 F. GENY, Méthodes d'interprétation et sources en droit privé positif, t. 2, LGDJ, 1919, n° 172 bis, p.160 : On se trouverait « amener à déclarer obligatoires, non pas toute promesse unilatérale, mais celle-là seulement qui paraissaient indispensables pour atteindre un résultat socialement désirable et impossible à réaliser pratiquement par une autre voie ». |
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