B. La valeur de l'affirmation, la résistance
inattendue du recours pour excès de pouvoir
En préférant la voie du recours pour
excès de pouvoir à celle de la pleine juridiction, le Conseil
d'État surprend, et ce, pour deux raisons. La première est qu'en
matière de sanction disciplinaire pour cause de dopage une
répartition des compétences entre la commission de discipline de
la fédération et l'agence française de lutte contre le
dopage est instaurée. Cependant, si pour cette dernière la loi
(art. L. 232-24 du code du sport) a prévu de façon expresse que
les contestations des sanctions prises par l'agence relèvent du plein
contentieux, rien de tel n'est prévu pour les sanctions infligées
par la fédération. Ainsi, face à ce vide quant à la
nature du contentieux, le Conseil aurait pu prendre le parti de la
cohérence en plaçant ces deux procédures sous
l'égide du plein contentieux.
Surprenante, la solution du Conseil d'État l'est pour
une seconde raison qui est de loin la plus importante. En effet, cette
consécration du recours pour excès de pouvoir apparaît
être une solution prenant à rebours l'évolution
générale du contentieux administratif qui tend à
privilégier le recours subjectif de pleine juridiction. Cependant,
comment ces deux types de recours peuvent-ils entrer en concurrence ? Leur
fonction est apparemment différente. Le recours pour excès de
pouvoir est un recours dit objectif, un procès fait à la
légalité d'un acte administratif indépendamment de la
prise en compte des droits subjectifs des individus ; dans ce contentieux, le
juge n'a qu'un pouvoir limité : soit il annule l'acte
déféré soit il ne l'annule pas, en aucun cas il ne peut le
réformer. Alors que le recours de pleine juridiction est un
procès mettant en cause les droits subjectifs d'un individu ; dans ce
cadre le juge dispose d'un pouvoir entier, il peut aller au delà de la
seule annulation ou non de l'acte (il pourra, par exemple, annuler la
décision de rejet l'administration et la condamner au paiement de
dommages et intérêts). Cependant, cette distinction (dont nous
devons la paternité à Gaston Jéze) entre un recours pour
excès de pouvoir objectif et recours de pleine juridictions subjectif
n'est pas le reflet de la réalité car elle méconnait
l'existence du recours dit objectif de pleine juridiction, qui, comme le
recours pour excès de pouvoir, tranche une question de
légalité d'un acte, mais, en dépit de sa nature objective,
est traité comme un recours subjectif en ce qu'il en suit le
régime. Par conséquent, dans le cadre du recours objectif de
pleine juridiction le juge dispose d'un pouvoir de réformation à
l'égard de
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l'acte administratif litigieux ; il pourra remplacer la
décision de l'administration par sa décision, ce
qui rend cette voie contentieuse plus dynamique que celle du recours pour
excès de pouvoir du fait qu'elle puisse procurer des résultats
plus certains, plus concrets et surtout immédiats. Au vu des avantages
que le recours objectif de pleine juridiction présente, son domaine
d'application a connu et connait une expansion importante sous la double
impulsion du législateur et la jurisprudence. En effet, au delà
des contentieux spéciaux qualifiés d'historiques (contentieux
fiscal, électoral, bâtiments menaçant ruine, des
installations classées), d'autres sont venus se greffer comme le
contentieux de l'aide sociale, des comptes de campagnes, de la reconnaissance
de la qualité d'handicapé ou encore, plus récemment,
l'assemblée du contentieux du Conseil d'État (C.E, 16 juillet
2007, Société Tropic travaux signalisation) ouvra au
bénéfice des tiers évincés à la conclusion
d'un contrat administratif la voie de la pleine juridiction en fermant dans le
même temps celle du recours pour excès de pouvoir contre les actes
détachables issue de la jurisprudence Martin. Cependant, force
est de constater que le domaine dans lequel s'est pleinement épanouie le
recours objectif de pleine juridiction reste celui des sanctions
administratives ; en ce domaine, s'est développée une
impressionnante convergence de dispositions législative désignant
le recours de pleine juridiction comme voie contentieuse (par exemple, les
sanctions prononcées par l'autorité des marchés financiers
contre les professionnels, celles de la commission de régularisation de
l'énergie, celles de la commission nationale de l'informatique et des
libertés, etc. ). Cette convergence trouva son point d'orgue dans
l'arrêt de l'assemblée du contentieux du Conseil
d'État, Société Atom, du 16 février 2009,
par lequel le Conseil généralisa l'appartenance au recours
objectif pleine juridiction de la contestation des sanctions administratives
infligées à un administré (ce qui exclut, a
contrario, les sanctions disciplinaires prononcées contre les
agents publics ainsi, qu'envers les personnes appartenant à une
profession réglementée) ; par cette décision, le Conseil
d'État abandonna sa jurisprudence Le Gun du 1er mars
1991 dont l'interprétation a contrario amenait à
considérer qu'en l'absence de texte les sanctions administratives
prononcées contre un administré relèvent du recours pour
excès de pouvoir.
Ainsi, en l'absence de texte relatif à la nature des
recours contre les décisions de la Fédération
française d'athlétisme, la question de l'application de la
jurisprudence se posait au Conseil d'État. Or, en l'espèce, la
sanction prononcée par la fédération ne mettant pas en
cause un agent public, ni une personne appartenant à une profession
règlementée, le Conseil d'État aurait dû appliquer
la jurisprudence Atom et déférer l'affaire devant le juge de
pleine juridiction ; le Conseil a interprété largement les
exceptions de la jurisprudence Atom. Ainsi, l'arrêt F.F.A est
à mettre en perspective avec d'autres décisions allant toutes
dans le sens d'une résistance du recours pour excès de pouvoir en
matière de sanction administrative. En effet, par un arrêt
Dalongeville rendu le même jour par les mêmes sous-sections
réunies, le Conseil d'État consacra la voie du recours pour
excès de pouvoir pour connaitre des sanctions prononcé contre un
maire ou ses adjoints. Encore, la Cour administrative d'appel de Nancy par un
arrêt du 23 septembre 2010 traita de la même façon les
sanctions disciplinaires prononcées contre un détenu (censurant
deux jugements du Tribunal administratif de Strasbourg du 25 juin 2009 qui
s'étaient placés sur le terrain du plein contentieux). Reste
à apprécier la valeur de ces décisions, car s'il est
aisément compréhensible que les sanctions infligées aux
maires relèvent des exceptions de la jurisprudence Atom en ce qu'elles
sont prononcées contre un agents publics, l'on comprend plus
difficilement la solution retenue par la Cour administrative de Nancy et encore
plus difficilement celle de l'arrêt F.F.A. En effet, la
décision de la Cour administrative d'appel de Nancy ne semble être
justifier qu'au prix d'un raisonnement plus tortueux voulant que, certes, les
détenus ne sont pas des agents publics ni même des membres d'une
profession règlementée, mais, en ce qu'ils sont soumis à
une
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stricte subordination envers l'administration
pénitentiaire, ils ne peuvent être considéré comme
des administrés au sens de l'arrêt Atom. Pour ce qui est de
l'arrêt F.F.A, les licenciés n'étant pas dans une
situation particulière vis à vis de leur
fédération, pas plus, d'ailleurs, qu'un l'habitant d'une commune
ne le soit envers le maire, l'on pouvait normalement envisager que le
contentieux relève de la pleine juridiction. Pour preuve de ce qui
précède, il n'est pas anodin de signaler que le Tribunal
administratif de Strasbourg par un jugement du 25 juin 2009 (n° 0405715)
appliqua la jurisprudence Atom a une sanction infligé par la
fédération de boxe à un de ses licencié ; ainsi,
ces divergences entre la haute juridictions et les juges du fond se veulent
l'écho de la pensée du président Genevois qui, par ses
conclusions sous l'arrêt Aldana Barrena du 8 janvier 1982,
affirmait que, lorsque le texte ne l'impose pas, le choix entre le recours pour
excès de pouvoir et le plein contentieux est « rarement le fruit
d'une théorie juridique ». L'arrêt commenté met, en
effet, plus en lumière la volonté du Conseil d'État de ne
pas donner la mort au recours pour excès de pouvoir en freinant le
développement du domaine du plein contentieux, que sa rigueur dans la
mise en oeuvre de sa jurisprudence Atom.
Cependant, selon le rapporteur public des arrêt
F.F.A et Dallongeville, Béatrice Bourgeois-Machureau,
le maintien du recours pour excès de pouvoir en matière de
sanctions administratives ne pouvait être satisfaisant, notamment au
niveau des exigences du droit européen, qu'à la condition
d'abandonner le contrôle restreint pour admettre un contrôle entier
de l'adéquation entre les motifs et dispositif de la sanction litigieuse
; suivant l'avis de son rapporteur public le Conseil d'État consacra un
recours pour excès de pouvoir « renforcé ».
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