C - Les informations sur lesquelles des tiers
détiennent des droits de propriété intellectuelle
31 - Une des problématiques juridiques majeures
soulevées par l'Open Data est la gestion des droits de
propriété intellectuelle susceptibles d'être
attachés aux informations publiques. Comme énoncé en
introduction, le concept Openness qui sous-tend l'Open Data suppose
que les informations soient « libérées » de tout droit
exclusif. Or la directive ISP prévoit déjà en son article
1er 2. b) que la directive ne s'applique pas « aux documents dont des
tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle
». Le législateur communautaire précise dans le
considérant (22) de la directive que la notion de droits de
propriété intellectuelle recouvre uniquement les droits d'auteur
et les droits voisins (incluant les formes de protection sui generis,
ajoutant aussitôt que la directive
33 Jeff Howe, The rise of crowdsourcing,
n°14.06, Juin 2006
34
http://fr.wikipedia.org
35 Wikipédia est donc un très bon
exemple de crowdsourcing. En effet ce projet d'encyclopédie
collaborative est porté par de nombreux contributeurs (plus de 5000
contributeurs actifs pour le Wikipédia français), dont les
connaissances sont agrégées sous forme d'articles
thématiques.
17
n'est pas applicable « aux documents visés par
les droits de propriété industrielle, comme les brevets, les
dessins déposés et les marques et modèles ». En
outre, il est précisé que les obligations imposées par la
directive « ne s'appliquent que dans la mesure où elles sont
compatibles avec les dispositions des accords nationaux sur la protection des
droits de propriété intellectuelle ». Il ne s'agit
là que d'un paradoxe apparent. En effet, le législateur
communautaire a entendu réaffirmer le principe d'exclusivité qui
garantit la protection des droits de propriété intellectuelle.
Dès lors, l'Open Data ne remet pas en cause les fondements juridiques de
la propriété intellectuelle ; il s'agit pour les Etats de
concilier respect des droits de propriété intellectuelle et
ouverture des informations publiques. Ainsi, la mise en oeuvre juridique de
l'Open Data implique une autorisation d'exploiter les droits de
propriété intellectuelle qui peuvent accompagner les informations
publiques (Voir Chapitre 2).
32 - L'ordonnance du 6 juin 2005 a transposé ce
principe d'exclusion des droits de propriété intellectuelle en
son article 10 c), qui modifie insensiblement la formule laconique de l'article
premier de la directive. Ainsi, ne sont pas des informations publiques «
les informations contenues dans des documents (...) sur lesquels des tiers
détiennent des droits de propriété intellectuelle
».
33 - En pratique, les contours de cette exclusion sont
difficiles à cerner dans la mesure où le législateur
semble avoir assoupli cette limite au sein du régime d'accès. En
effet, la protection des droits de propriété intellectuelle
était déjà prévue dans la version initiale de la
loi de 1978 en matière d'accès aux documents administratifs.
Ainsi l'article 10 de la loi prévoyait que « Les documents
administratifs sont communiqués sous réserve des droits de
propriété littéraire et artistique ». Cette
disposition était assortie d'un second alinéa, prévoyant
l'interdiction « de reproduire, de diffuser ou d'utiliser à des
fins commerciales les documents communiqués ». Or le nouvel
article 9 de la loi, issu de l'ordonnance de 2005, a conservé le premier
alinéa mais pas le second. Dès lors, il semblerait que les
documents administratifs obtenus dans le cadre de la procédure
d'accès puissent faire l'objet d'une réutilisation, quand bien
même ils renfermeraient des objets protégés par des droits
de propriété intellectuelle, ou du moins des droits de
propriété littéraire et artistique.
34 - Par ailleurs, les « tiers » de l'article 10 c)
ne font l'objet d'aucune définition. Les informations publiques
étant produites ou reçues par les administrations, il convient
d'envisager la possibilité que les tiers ainsi désignés
soient les fonctionnaires, premiers artisans de l'information
18
publique. Depuis la loi DADVSI36, les
fonctionnaires sont considérés comme étant titulaires
ab initio d'un droit d'auteur sur les oeuvres qu'ils créent, au
même titre que les salariés37. Cette déclaration
ne doit pas masquer le régime des auteurs fonctionnaires, qui demeure
spartiate tant dans ses attributs moraux que patrimoniaux. D'une part,
l'article L. 121-7-1 du code de la propriété intellectuelle
soumet l'exercice de son droit de divulgation par « l'agent » au
« respect des règles auxquelles il est soumis en sa
qualité d'agent », et il ne peut ni « s'opposer
à la modification de l'oeuvre dans l'intérêt du service
», ni « exercer son droit de repentir et de retrait
». D'autre part, l'article L. 131-3-1 du code de la
propriété intellectuelle organise une cession de plein droit
à l'Etat du droit d'exploitation sur l'oeuvre, « Dans la mesure
strictement nécessaire à l'accomplissement d'une mission de
service public ». Néanmoins, si l'Etat souhaite
réaliser une exploitation commerciale de ces oeuvres, il ne dispose plus
envers l'agent que d'un droit de préférence38. Cette
dernière considération est à prendre en compte s'agissant
de la question de la gratuité des informations publiques. En effet,
dès lors qu'une administration39 envisage de commercialiser
des informations publiques contenant une oeuvre créée par un
fonctionnaire, il doit au préalable conclure un contrat avec cet agent,
en usant de son droit de préférence. A défaut de contrat,
l'exploitation commerciale violerait les droits d'auteur de l'agent et la
réutilisation de cette oeuvre serait une contrefaçon.
Néanmoins, le risque pour les réutilisateurs d'informations
publiques est à nuancer : la Licence Ouverte qui en cadre la
réutilisation d'informations en France (Voir Titre II) dispose en effet
que « Le « Producteur » garantit que « l'Information
» ne contient pas de droits de propriété intellectuelle
appartenant à des tiers ». Dès lors, en cas de litige
relatifs à des droits de propriété intellectuelle, les
réutilisateurs d'informations publiques pourraient engager la
responsabilité du Producteur de l'Information.
35 - Il semblerait que le législateur ait
souhaité que les informations publiques et les droits de
propriété intellectuelle n'entretiennent aucun rapport entre eux.
Cette analyse est corroborée par la formule de l'article 10 c) : «
Ne sont pas considérées comme des informations publiques
(...) les
36 Loi du 1er août 2006 relative aux droits
d'auteur et aux droits voisins dans la société de
l'information
37 L'article L. 111-1, alinéa 3, du Code de
la propriété intellectuelle dispose : « L'existence ou
la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une
oeuvre de l'esprit n'emporte pas dérogation à la jouissance du
droit reconnu par le premier alinéa, sous réserve des exceptions
prévues par le présent code. Sous les mêmes
réserves, il n'est pas non plus dérogé à la
jouissance de ce même droit lorsque l'auteur de l'oeuvre de l'esprit ou
un agent de l'Etat, d'une collectivité territoriale, d'un
établissement public à caractère administratif, d'une
autorité administrative indépendante dotée de la
personnalité morale ou de la Banque de France. »
38 Article L. 131-3-1 alinéa 2 du Code de la
propriété intellectuelle : « Pour l'exploitation
commerciale de l'oeuvre mentionnée au premier alinéa, l'Etat ne
dispose envers l'agent auteur que d'un droit de préférence
».
39 La formulation du deuxième alinéa
de l'article L. 131-3-1 vise « l'Etat ». Il s'agit d'une maladresse
du législateur car la disposition s'applique en fait à toutes les
administrations.
38 - La directive du 17 novembre 2003 exclut de son champ
d'application les « documents
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informations contenues dans des documents (...) sur
lesquels des tiers détiennent des droits de propriété
intellectuelle ». Mais les innombrables références aux
droits de propriété intellectuelle dans le régime de
réutilisation trahissent l'ambiguïté de ce rapport. Au
soutien de cet argument, l'on citera l'article 25 de la loi de 1978, qui porte
l'art de la contradiction à son climax. Dans un chapitre intitulé
« Dispositions communes » (aux régimes d'accès
et de réutilisation), cet article énonce : « Lorsqu'un
tiers est titulaire de droits de propriété intellectuelle portant
sur un document sur lequel figure une information publique, l'administration
qui a concouru à l'élaboration de l'information ou qui la
détient indique à la personne qui demande à la
réutiliser l'identité de la personne physique ou morale titulaire
de ces droits ou, si celle-ci n'est pas connue, l'identité de la
personne auprès de laquelle l'information en cause a été
obtenue ». Autrement dit, il se peut qu'une information publique soit
grevée par des droits de propriété intellectuelle... Face
à cette contradiction manifeste, la garantie d'absence de droits
propriété intellectuelle qui est fournie par la Licence Ouverte
(Voir Titre II) est une bénédiction.
36 - Nous avons vu que le législateur a
expressément exclu du champ des informations publiques les informations
les informations sur lesquelles des tiers détiennent des droits de
propriété intellectuelle. Il ressort de cette exclusion de
principe que le cadre juridique de l'Open Data ne remet pas en cause le droit
de la propriété intellectuelle. Cependant, la portée de
cette disposition sibylline est difficile à évaluer eu
égard à l'absence de précision quant à la notion de
« tiers » qu'elle évoque. L'article 25 de la loi, qui
évoque l'hypothèse de l'existence de droits de
propriété intellectuelle assis sur un document « sur
lequel figure une information publique » rend d'autant plus opaque
cette exclusion. En somme, le réutilisateur d'informations publiques ne
peut que se parer de la garantie d'absence de droits de propriété
intellectuelle sur les informations publiques mises à disposition.
37 - A mi-chemin entre les informations exclues du champ de la
réutilisation et les informations devant faire l'objet d'une mise
à disposition, on trouve les informations produites par les
établissements et institutions d'enseignement et de recherche et les
établissements culturels, qui font l'objet d'un régime
dérogatoire.
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