QUELLES SONT LES CONSEQUENCES
DES NORMES BALE 3 ET DU PROJET EMIR
SUR UNE EVENTUELLE CRISE DU COLLATERAL ?
SOMMAIRE
Introduction
4
L'utilisation du collatéral
5
Les instruments utilisant du collatéral
5
Les repos et les prêts-emprunts de
titres
5
Obligations sécurisées (covered
bonds)
8
Les principaux acteurs
10
Collatéral et risque systémique
11
Les repos désignés comme des acteurs
du shadow banking
11
Blocage du marché des repos
12
Haircuts
12
Réutilisation,
ré-hypothèque du collatéral
13
Les primes brokers
13
Ampleur de la ré-hypothèque
14
Problèmes engendrés
15
Baisse de la ré-hypothèque
15
EMIR
17
Le contexte
17
Les dispositions de la
réglementation EMIR
19
Introduction des contreparties centrales (CCP,
central counterparties)
19
Référentiels centraux
20
Coût du passage aux chambres de compensation
(CCP)
20
Augmentation de la demande en collatéral
20
Réduction de la
ré-hypothèque
22
Qualité du collatéral
22
La réorganisation du marché
23
La concurrence sur les plateformes de
négociation des dérivés
23
La concurrence pour la compensation des
dérivés
24
Bâle III
25
Le niveau et qualité des fonds propres
25
Utilisation du collatéral comme technique de
réduction des risques
26
Les ratios de liquidité
26
Les mesures concernant les dérivés de
gré à gré
27
Incitation à passer par les chambres de
compensations
28
Traitement prudentiel des CVA (Crédit
Value Ajustment)
28
Vers un risque de liquidité ?
29
Crise du collatéral
30
La baisse de la vitesse de circulation du
collatéral
30
Assèchement du collatéral
31
Crise de la dette Européenne et taux
d'intérêts négatifs
32
Le taux des repos comme indicateur de la crise du
collatéral
33
Effet multiplicateur
34
L'assouplissement des critères de
collatéral de la BCE
34
Les évolutions dans la gestion du
collatéral
35
Conclusion
37
Bibliographie
39
Introduction
Le collatéral qui désigne un actif que l'on
donne en garantie pour sécuriser des opérations est au coeur de
l'actualité financière à nombreux égards.
Depuis la crise financière de 2007-2009, les acteurs ne
se font plus ou du moins beaucoup moins confiance qu'avant. Cette crise de
confiance a commencé dès Août 2007 lorsque BNP-Paribas se
déclare incapable de valoriser deux de ses fonds, suite aux pertes
survenues sur le segment des subprimes. La complexité et
l'opacité des produits structurés est alors
révélée ce qui entraîne très rapidement le
blocage du marché interbancaire, marché reposant sur des
opérations sans collatéral, où la confiance et la
solidité des acteurs sont essentielles.
Dans un contexte d'incertitude et de risque, les fournisseurs
de liquidité sont à la recherche de plus de
sécurité et s'orientent vers des produits garantis par du
collatéral tels que les repos dont les encours dépassent les
montants échangés sur le marché monétaire. Les
régulateurs accentuent cette tendance par leurs mesures pour
réduire le risque systémique. Afin de réguler le
marché des dérivés de gré à gré, les
lois Dodd-Franck et Emir proposent l'intervention de contreparties centrales
qui nous le verrons, exigeront des intervenants plus de collatéral et de
bonne qualité. Les accords Bâle III vont également dans ce
sens en réduisant les charges de capital pour les transactions sur les
dérivés compensés par les contreparties centrales et
à l'inverse en renforçant le coût des contrats
dérivés non collatéralisés.
Force est de constater que depuis une dizaine d'années,
l'utilisation du collatéral n'a cessé d'augmenter. On peut
dès lors s'interroger si le collatéral est devenu la solution
miracle pour sécuriser les échanges. En effet, des faillites
récentes telle que celle du courtier américain MF Global fin 2011
mais aussi les pratiques des primes-brokers ont soulevé plusieurs
controverses dans la gestion du collatéral.
Alors que les acteurs deviennent plus exigeants sur la nature
du collatéral qu'ils acceptent, les titres de bonne qualité
commencent à manquer, ce qui nous mène à nous interroger
si nous n'allons pas vers une crise du collatéral.
L'utilisation du
collatéral
Le collatéral est à la base un actif. Il peut
prendre de nombreuses formes : espèces, titres obligataires,
actions, métaux précieux en sont des exemples. Cet actif est
donné en garantie à un créancier ce qui lui permet de se
protéger contre le risque de défaut de sa contrepartie.
En effet, lorsqu'un acteur financier consent un prêt, il
s'expose au risque que son débiteur ne lui rembourse pas en
totalité le principal et les intérêts. Il exige ainsi un
taux d'autant plus élevé que sa contrepartie a des chances de ne
pas le rembourser.
Le prêteur peut aussi imposer au débiteur de lui
donner certains actifs en garantie. Ainsi, s'il n'est pas remboursé, il
pourra vendre les titres pour récupérer les sommes restant
dues.
L'intérêt de collatéraliser un prêt
donc double :
? Pour le prêteur, l'objectif est de réduire le
risque de défaut,
? Pour l'emprunteur, l'avantage est d'obtenir de meilleures
conditions de financement. Parfois, cela lui permet tout simplement
d'accéder à des ressources financières qui ne lui auraient
pas été accordées sans garantie.
De plus en plus d'opérations nécessitent du
collatéral mais il est principalement utilisé pour
sécuriser les repos, les prêts sur marges, certaines
émissions obligataires et les transactions sur les produits
dérivés de gré à gré.
Les instruments utilisant du
collatéral
Les repos et les
prêts-emprunts de titres
Un des principaux instruments qui se base sur l'échange
de collatéral est le repo (pension livrée). Cet instrument est
devenu pour de nombreux acteurs un des principaux moyens de financement, au
détriment de produits non garantis tels que les dépôts
à terme ou les Titres de Créances Négociables (TCN). Selon
une étude publiée en juin 2012 par l'ICMA (International Capital
Market Association), le marché européen des repos mesuré
pour 58 groupes financiers atteignait en juin dernier plus de 5600
Mds€1(*).
Dans l'utilisation des repos, il faut diviser le marché
en deux segments : le General Collateral (GC) et le spécifique.
Le GC est le segment plus important. Les acteurs y sont
principalement des banques et des courtiers (brokers/dealers) qui cherchent
à se financer à court terme (entre un jour et un an) à des
taux plus bas que sur le marché interbancaire.
Pour obtenir ces meilleures conditions de financement, les
banques et courtiers vont mettre en place des opérations de repo avec
d'autres acteurs qui ont de la liquidité à prêter (les
OPCVM monétaires, les banques de détail, la banque centrale) mais
qui souhaitent protéger leur opération en prenant des titres en
garantie.
Le contrat de repo est composé d'une double transaction
:
§ A la signature du contrat, l'intervenant qui cherche
à se financer vend à la contrepartie pour le temps du repo, les
titres qui serviront de garantie et dont la valeur de marché doit
correspondre au montant qu'il souhaite obtenir. Il reçoit en retour le
paiement des titres c'est à dire le montant de son emprunt.
§ Il s'engage également à racheter au
prêteur de liquidité ses titres (ou des titres de même
nature) à l'échéance du repo, à la valeur qu'ils
avaient à l'initiation du contrat. Il paie également les
intérêts du repo qui rémunèrent la mise à
disposition des liquidités.
En général, le prêteur de
liquidités exige une marge supplémentaire (coverage rate),
c'est-à-dire que la valeur des titres donnés en collatéral
soit être supérieure à la valeur du prêt pour couvrir
également le montant des intérêts.
Suite à la vente des titres, il y a un transfert de
leur propriété. Dès lors, le créancier disposant du
collatéral peut les utiliser pour se dédommager en cas de
faillite. Le choix des titres qui servent de garantie est donc essentiel pour
qu'ils puissent couvrir l'exposition du prêt en cas de défaut.
D'autre part, comme la valeur des titres change tous les jours
en fonction de leur liquidité (c'est-à-dire la facilité
à les revendre) ou du risque de leur émetteur, la garantie du
prêt évolue au cours du contrat. Le prêteur et l'emprunteur
réévaluent donc fréquemment l'encours du prêt et du
collatéral. Quand la valeur des titres baisse de façon
significative, le prêteur peut demander en add-on des titres
supplémentaires ou des espèces par un mécanisme d'appel de
marge.
Nature du collatéral :
Les titres acceptés en collatéral vont
déprendre de l'appréciation, de l'exigence des différents
intervenants mais les critères de sélection sont
principalement leur liquidité et le risque de crédit de leur
émetteur. Il faut également qu'ils aient une corrélation
de défaut la plus faible possible avec le débiteur afin qu'il y
ait moins de chances que le débiteur et les garanties fassent
défaut en même temps.
Les titres les plus classiques qui sont pris en
collatéral sont les obligations d'Etat mais d'autres produits sont
acceptés en appliquant des pourcentages de décote : les
obligations d'entreprises, les actions ou les obligations
sécurisées. Les repos ont également accepté comme
collatéral des titres adossés à des créances tels
que les Asset Backed Securities (ABS) mais cette pratique a fortement
diminué après la crise des subprimes.
Le tableau ci-dessous montre le type de collatéral
utilisé pour les repos tripartites (définis un peu plus loin) et
l'évolution récente à 1 an.
? Les titres publics (government secutities, public
agencies/sub-national) couvrent près de la moitié du
collatéral avec une part en croissance,
? Les obligations d'entreprises (19,1%) et les actions
(14,7%s) arrivent ensuite mais leur part est en baisse.
Certains acteurs sont plus vigilants sur les titres qu'ils
acceptent et pour certaines transactions, par exemple pour les repos entre
courtiers ou avec les chambres de compensation, seuls des titres
d'Etat tels que les OAT (Obligations Assimilables du Trésor), les
Bons du Trésor à Intérêts Annuels (BTAN, T-Bonds aux
Etats-Unis) sont acceptés.
Au-delà du type de titre, leur notation est
particulièrement importante dans la sélection. Selon
l'étude de l'ICMA, près de 50% des titres détenus par les
agents tripartites sont notés AAA.
On peut enfin mentionner que les banques centrales se servent
beaucoup de cet instrument pour leurs opérations :
refinancement à l'open market, facilités permanentes,
crédits intra-journaliers.
Le deuxième segment qui est moins important est
appelé le spécifique. Les acteurs (banques, brokers/dealers) ne
sont pas ici à la recherche d'un financement mais à la recherche
d'un actif/collatéral bien précis. Les raisons peuvent être
multiples :
? Honorer à temps des livraisons suite à des
décalages entre les opérations de réception et de
livraison des titres,
? Emprunter un titre pour le vendre à découvert
suite à un avis négatif sur la valeur,
? Tirer profit d'opportunités (utilisation de droits de
vote, avantages fiscaux),
? Obtenir certains actifs tels que des titres d'Etat qui sont
recherchés par les investisseurs pour garantir leurs opérations
...
L'opération est donc à l'initiative du
prêteur de liquidité (on parle alors d'opération de
reverse-repo) afin d'emprunter sur de courtes périodes un
collatéral précis. Plus le titre est demandé par le
marché, plus le taux de repo sera faible et parfois même
négatif. On reverra dans ce document cette notion du taux des repos,
comme révélateur de la crise du collatéral.
Le segment « Spécifique » des repos
est proche dans son objectif du prêt-emprunt de titres, qui est
utilisé par les banques/courtiers pour emprunter des titres
(principalement des actions cotées) auprès d'investisseurs
institutionnels (compagnies d'assurances, OPCVM) en échange de
collatéral sous forme de titres ou d'espèces.
Le repo tripartite :
En Europe, les repos se font essentiellement par des accords
de contrats cadres bilatéraux dans lesquels les deux contreparties
gèrent directement les transactions sur les garanties. Or, depuis la
crise financière, les investisseurs sont à la recherche de plus
de sécurité. Ils exigent d'une part plus de collatéral
mais aussi une gestion plus stricte de celui-ci. L'objectif est de s'assurer
que les titres en garantie correspondent au risque de contrepartie pris par
l'investisseur.
La gestion du collatéral devient essentielle et demande
de plus en plus un niveau élevé d'expertise :
? Sélectionner les titres acceptables en garantie,
? Effectuer leur valorisation quotidienne, appliquer des
décotes (haircuts),
? Gérer les appels de marge, les opérations sur
les titres ...
Ceci conduit l'Europe à développer le
modèle de repo tripartite à l'instar de ce qui se pratique
déjà plus communément aux Etats-Unis où il
représente la moitié des opérations. Le principe repose
sur l'intervention d'un agent supplémentaire auquel est
délégué la gestion du collatéral.
Aux Etats-Unis, les principaux acteurs de cette
intermédiation sont des banques commerciales (Bank of New York
Mellon, JP Morgan Chase) et en Europe cette activité est l'apanage
des dépositaires centraux (Euroclear et Clearstream).
La Banque de France se tourne vers ce modèle tripartite
et pourrait accepter le collatéral utilisé en repo-tripartite
pour ses opérations de refinancement.
Obligations
sécurisées (covered bonds)
Un autre instrument collatéralisé voit son
utilisation s'accentuer dans le contexte de crise du secteur bancaire et des
dettes souveraines. Ce sont les obligations sécurisées (covered
bond). En plein essor depuis une dizaine d'années, elles sont en passe
de devenir la principale source de financement à long terme des banques
européennes.
En témoigne leur encours qui est passé d'environ
1200 Mds€ en 20012(*)
à 2500 Mds€ en 20103(*). Les obligations sécurisées sont
notamment la solution qui a été proposée fin juin par le
premier ministre Finlandais M. Katainen afin que l'Italie et l'Espagne puissent
se financer à des taux plus faibles. Il a ainsi indiqué que la
piste serait que "les Etats fragiles de la zone euro émettent des
obligations sécurisées afin d'accéder aux marchés
et de bénéficier de taux plus bas". Ces obligations auraient
en collatéral des actifs gouvernementaux ou des recettes fiscales
destinées au service de la dette.
Collatéral
Le principe des obligations sécurisées est
qu'elles sont assorties d'un panier de sûretés de qualité,
constitué principalement de crédits immobiliers
hypothécaires et de prêts au secteur public.
De part la nature des titres, ces obligations sont parfois
comparées aux Asset Back Securities mais contrairement à ces
derniers pour lesquels les créances servent à payer les flux
d'intérêts et de remboursement, le panier de sûretés
sert ici uniquement de rehausseur de crédit.
Les obligations sécurisées sont la plupart du
temps notés AAA car considérées comme pratiquement
exemptes de risque de défaut. En effet, elles donnent aux investisseurs
une double protection :
? d'une part celle des banques émettrices qui doivent
assumer le remboursement de leur financement,
? d'autre part celle des créances sous-jacentes, sur
lesquelles les investisseurs ont un droit prioritaire.
Leur forte croissance s'explique aussi par le traitement
avantageux que leur donne les régulateurs, contrairement aux
titrisations qui ont fortement été
pénalisées :
? Elles sont éligibles au coussin de liquidité qui
va être mis en place avec Bâle III,
? Elles risquent d'échapper au mécanisme de
bail-in qui va prévoir les conditions dans lesquelles les
détendeurs de titres de dette devront participer aux pertes d'un
établissement bancaire.
Ces privilèges ont pour effet de détourner les
investisseurs des dettes senior non sécurisées (unsecured).
Contrairement aux repos et aux prêts-emprunts de titres,
la plupart des législations prévoient que pour les obligations
sécurisées, les actifs en garantie restent la
propriété de l'émetteur de l'obligation. Les titres sont
toutefois identifiés afin qu'en cas de faillite, ils soient
distingués des actifs à liquider et continuent à
être gérés jusqu'à l'échéance de
l'obligation sécurisée.
Risque de pénurie du
collatéral
Les émissions obligataires sécurisées
sont limitées par la disponibilité des
créances (prêts immobiliers, prêts au secteur public).
Alors que les marchés Français (obligations foncières) et
Espagnol (cédulas) sont en plein essor, la part de l'Allemagne
(pfandbriefe) a diminué, passant de 80% en 2001 à moins de 50% en
20074(*). Une des
explications est le retrait des garanties de l'Etat aux banques publiques qui a
réduit le nombre de sûretés éligibles.
Face à la pénurie des créances de
qualité, le risque est que les pays diminuent dans leur cadre
légal le niveau de protection exigé. Aux Etats-Unis, le
législateur prévoit ainsi d'ajouter aux créances
éligibles celles sur les PME et sur cartes de crédit.
Les principaux acteurs
On vient de voir les principaux instruments financiers qui
utilisent du collatéral.
Les principaux fournisseurs de ce collatéral
sont les hedges funds, notamment ceux qui ont recours à un levier
d'endettement important à savoir les fonds à stratégie
d'arbitrage (fixed income, convertible) ainsi que les global macros. Les
prime-brokers les financent sous la forme de repos et de prêts sur marge
qui sont des opérations pour lesquelles les hedges funds doivent fournir
du collatéral.
Manmohan Singh, économiste au FMI a estimé
à partir des données publiées par le Hedges Funds que
jusqu'à fin 2007, ils avaient fourni 1600 milliards de dollars de
collatéral aux courtiers dont 750 milliards pour les opérations
de repo5(*).
On trouve ensuite les investisseurs institutionnels
(assureurs, secteur public, fonds de pensions) qui prêtent à court
terme des titres recherchés par les acteurs comme collatéral afin
d'optimiser le rendement de leurs portefeuilles qu'ils détiennent sur du
long terme.
On trouve enfin les banques qui se financent en
émettant des billets de trésorerie contractés par les
fonds monétaires en échange de collatéral.
Les fonds monétaires reçoivent une grande partie
du collatéral en échange de la liquidité qu'ils
fournissent aux marchés.
Collatéral et risque
systémique
Nous avons vu que le collatéral servait à
garantir les opérations et donc à réduire le risque de
contrepartie. Il doit donc normalement atténuer le risque
systémique, c'est-à-dire le risque de défaillance en
chaîne d'acteurs interconnectés.
Pourtant, nous allons voir dans cette partie que certaines
pratiques développées par les prime-brokers ont au contraire
augmenté l'interconnexion des acteurs et le risque systémique en
réinjectant le collatéral de leurs clients dans le
système.
De plus, comme nous évoquons dans ce document la forte
croissance des repos, instruments collatéralisés se substituant
aux financements non sécurisés, nous verrons qu'ils sont
également pointés du doigt pour le risque systémique
qu'ils ont engendré pendant la crise de 2007-2009.
Les repos
désignés comme des acteurs du shadow banking
Les repos et les prêts emprunts de titres sont sous le
feu des projecteurs car ils sont considérés comme un des
principaux moyens de financement des acteurs du shadow banking ou
système bancaire parallèle.
Le Financial Stability Board (FSB) définit ce
système comme « toute opération
d'intermédiation de crédit impliquant des entités et
activités en dehors du système bancaire classique,
c'est-à-dire, une activité de crédit qui n'est pas
exercée par un établissement collectant des dépôts
et auquel la législation bancaire ne s'appliquerait pas.»6(*)
Cette définition englobe d'une part les
entités non régulées qui ont des activités de
crédit proches de celles des établissements bancaires :
OPCVM monétaires, prime-brokers, véhicules de titrisations (SPV).
Ces entités, ne collectant pas les dépôts échappent
aux législations qui protègent les déposants. D'autre
part, le shadow banking inclue aussi certaines activités comme les
repos, les prêts de titres ou les titrisations qui permettent de faire
des opérations de financement sans passer par les établissements
bancaires.
L'inquiétude des régulateurs vient du fait que
ce marché, fonctionnant hors de leur contrôle, s'est
considérablement développé. Cela répondant aux
besoins de financement des différents acteurs au moment où les
banques se désengageaient des activités de crédit pour
réduire leur bilan et faire face à l'augmentation du coût
des fonds propres. Selon les estimations du FSB, le shadow banking
représentait en 2010 de 25% à 30% du système financier
mondial.
Or, ces activités non régulées sont
jugées être porteuses de risque systémique à l'image
du run fin 2008 sur les Money Market Mutual Funds (MMMF) qui a
complètement déstabilisé le marché des repos.
Blocage du marché des
repos
Les fonds monétaires bien qu'ils ne soient pas des
établissements bancaires ont une place centrale dans le financement des
marchés. Ils investissement à court terme et sont ainsi les
principaux prêteurs de liquidité des repos et les principaux
investisseurs dans les titres monétaires notamment les asset-back
commercial paper (ABCP).
Suite à la faillite de Lehman Brothers, `Reserve
Primary Fund' un MMMF important a vu sa valeur liquidative passer en dessous de
1$ subissant des pertes importantes sur les billets de trésorerie
émis par la Lehman. Or, ces fonds `garantissaient' normalement une
valeur liquidative constante à 1$. Ce phénomène
appelé « break the buck » (casser le dollar) aux
Etats-Unis a engendré l'inquiétude des investisseurs qui se sont
massivement retirés de l'ensemble des fonds monétaires à
partir de septembre 2008.
Pour faire face à ces désengagements brutaux,
les fonds monétaires ont complètement cessé de
prêter des liquidités sur le marché des repos. Les banques
centrales ont alors dû dans l'urgence se substituer au marché des
repos pour fournir de la liquidité aux agents économiques.
Les dirigeants du G20 ont demandé dès novembre
2010 la surveillance et le renforcement de la réglementation du shadow
banking. Le FSB a créé plusieurs groupes de travail dont un sur
le prêt de titres et les repos. Deux éléments sont
principalement reprochés aux repos et aux prêts-emprunts :
? Les décotes (haircut) qui ont une dynamique
procyclique ;
? Le fait qu'ils permettent de financer les stratégies
à effet de levier des hedges funds.
Haircuts
On a vu que le collatéral était destiné
à réduire le risque de défaut. L'application de
décotes (haircuts) ou de marges initiales suit un objectif
différent qui est de couvrir le risque du collatéral. Il s'agit
d'ajuster la valeur de marché des titres pour prendre en compte le
risque auquel pourrait être confronté le prêteur de
liquidité qui devrait vendre le collatéral en cas de
défaut de la contrepartie. Cette marge initiale protège donc
contre :
? le risque de contrepartie,
? la qualité et la volatilité des titres,
? l'illiquidité des titres
Cela se traduit dans un repo par le fait que le prêt
accordé est d'un montant inférieur à la valeur de
marché du collatéral.
Depuis la crise, ces décotes ont fortement
augmenté et les régulateurs craignent que ces pratiques
accentuent la baisse des marchés. En effet, au cours d'une tendance
baissière, les créanciers augmentent les décotes ce qui
réduit l'offre de financement. Cela contraint les acteurs qui ont besoin
de liquidités à vendre des titres, ce qui amplifie la baisse des
valeurs et l'augmentation des marges. Le mécanisme des haircuts montre
donc un certain danger de procyclicité.
Réutilisation,
ré-hypothèque du collatéral
Ce sont en général des établissements non
bancaires tels que les Hedges Funds qui autorisent la
ré-hypothèque du collatéral. Pour introduire les notions
de réutilisation et de ré-hypothèque, il faut distinguer
deux types de collatéral : celui donné en nantissement pour
lequel il n'y a pas de dépossession et celui pour lequel il y a un
transfert de propriété.
? Pour le collatéral en nantissement les titres restent
la propriété de l'emprunteur de liquidité. Le
créancier ne pourra en prendre possession que dans la situation
où la contrepartie fait défaut à ses obligations. Ce type
de collatéral est utilisé notamment pour les prêts sur
marges et les opérations sur les dérivés de gré
à gré.
Normalement, un élément à l'actif ou au
passif d'une banque ne peut être réutilisé et se retrouver
à l'actif ou passif d'une autre banque. Mais dans certains cas,
concernant par exemple le prime-brokerage, le fournisseur de garanties peut
donner juridiquement le droit à sa contrepartie de
ré-hypothéquer le collatéral en nantissement,
c'est-à-dire de l'utiliser pour garantir ses propres opérations.
Le collatéral se retrouve alors en annexe du bilan de plusieurs banques
qui, même si elles ne le possèdent pas, sont autorisées
à l'utiliser pour garantir pour leurs propres opérations. On
abouti à une chaîne de transmission du collatéral, pratique
que l'on appelle aussi churning.
Si le créancier utilise les titres sans qu'il y ait
défaillance du débiteur, tout se passe comme s'il était le
détenteur des titres c'est-à-dire comme s'il y avait eu un
transfert de propriété.
? Pour le collatéral avec transfert de
propriété, la contrepartie qui reçoit les titres peut en
disposer comme elle le souhaite. On parle alors de réutilisation
qui inclut de pouvoir les vendre, les prêter, ou les
ré-hypothéquer. La seule obligation est de rendre un
collatéral équivalant à l'échéance. Le
transfert de propriété est de plus en plus répandu et
concerne notamment les repos et le prêt de titres.
Les primes brokers
Les prime-brokers sont les principaux acteurs qui
ré-hypothèquent le collatéral. Ce sont des grandes
banques d'investissement telles que Goldman Sachs, Morgan Stanley, JP Morgan,
qui fournissent aux hedges funds toute une gamme de services pour leur
fonctionnement, en particulier le financement et les titres nécessaires
à leur utilisation importante du levier. Cela se fait principalement
sous la forme de prêts avec marges, de repos et de prêts de titres.
Toutes ces opérations qui comportent des garanties font des hedges funds
un fournisseur majeur de collatéral.
Or, les contrats proposés par les prime brokers
étaient avant la crise peu négociables et leur donnaient le droit
de ré-hypothéquer les titres et liquidités donnés
par les hedges funds en garantie de leurs opérations. Ils y ont
largement eu recours, transférant les actifs des leurs clients vers des
filiales au Royaume-Uni où la législation est plus permissive
qu'aux Etats-Unis ce qui leur a permis de se financer à moindre
coûts.
Dans son rapport annuel de 2009, Goldman Sachs indiquait ainsi
que sur 561 milliards de dollars de collatéral que la banque pouvait
ré-hypothéquer, elle en avait effectivement
réutilisé une part importante d'environ 392 milliards de
dollars.7(*)
Ces pratiques de réutilisation et de
ré-hypothèque montrent que l'usage du collatéral va
au-delà de l'atténuation du risque et il représente aussi
une source de revenus pour certains acteurs. L'étude SunGard/Finadium
2010 indique que si pour 39% des personnes interrogées le
collatéral ne sert qu'à couvrir les risques, 54% du panel dit
l'utiliser pour atténuer les risques et générer des
revenus. Pour les 7% restant, c'est uniquement une source de revenus8(*).
Ampleur de la
ré-hypothèque
L'économiste du FMI Manmohan Singh a proposé une
estimation de ce que représentait fin 2007, la
ré-hypothèque du collatéral donné par les hedges
funds.9(*) Rappelons que ces
fonds sont les principaux fournisseurs de garanties.
Son analyse a porté sur le montant du collatéral
qui a été reçu en nantissement par les plus gros brokers
dealers américains et les grandes banques actives dans le secteur des
hedges funds. Fin 2007, la valeur totale de ce collatéral qui tient
compte de la réhypothèque (churning) était
supérieur à 10 000 Mds$.
Il estime que 30 à 40% de cette somme soit 3 000
à 4 000 Mds$ ont été obtenus à partir des emprunts
des hedges funds qui étaient d'environ 1000 Mds$, ce qui correpond
à un taux de ré-hypothèque entre 3 et 4.
En ne garantissant qu'une faible partie des prêts, ce
système a créé un levier de liquidité
considérable. Le Fonds Monétaire International (FMI) estime ainsi
qu'en 2007, la liquidité générée par les
ré-hypothèques représentait la moitié du
financement du shadow banking.
Pourtant, jusqu'en 2000, cette pratique était assez
limitée car aux Etats-Unis seuls les titres du Trésor
Américain (T-Bonds) pouvaient faire l'objet de
ré-hypothèques. Cette règle a progressivement
été supprimée de 2000 à 2005 et les
liquidités des clients ont pu être utilisées.
On attribue également l'augmentation de la
ré-hypothèque au manque de limites du système anglo-saxon.
Aux Etats-Unis, deux réglementations contraignent la
ré-hypothèque des prime-brokers : la règle 15c3-3 de
la SEC10(*) et le
règlement T du Federal Reserve Board. Selon ces règles, un
courtier ne peut nantir les actifs de ses clients qu'à hauteur de 140%
de leurs dettes. Au Royaume-Uni il n'y a pas cette limitation sur les
engagements du client et la totalité de leurs actifs en nantissement
peuvent être ré-hypothéqués. De nombreux courtiers
Américains ont alors transféré leur activité de
financement et les actifs de leurs clients à des filiales basées
au Royaume-Uni.
Problèmes
engendrés :
La ré-hypothèque est très rentable pour
les prime-brokers et cela leur permettait en retour d'offrir gratuitement
certains services à leurs clients tel que la conservation des titres et
des liquidités des fonds. Mais les problèmes sont apparus quand
certains prime-brokers se sont trouvés en difficulté pendant la
crise.
Lehman Brothers et Bear Stearns ont fourni des services de
prime brokerage. Lorsque ces établissements ont fait faillite, les
hedges funds qui leur avaient donné des actifs en garantie n'ont pu les
récupérer car ils avaient été
réutilisés en chaîne dans d'autres opérations,
souvent à l'étranger et donc sous d'autres juridictions.
Un autre cas, plus récent encore, a soulevé les
problèmes engendrés par la ré-hypothèque. C'est la
faillite du courtier américain MF Global en Octobre 2011. Il s'est alors
avéré qu'il manquait 1,2 Mds€ des comptes de ses clients.
Dans un article pour Thomson Reuters11(*), Christopher Elias attribue
cette disparition, à la ré-hypothèque par la banque des
sûretés (titres et liquidités) de ses clients qui ont
été utilisées pour financer et garantir ses propres
investissements. MF Global a ainsi acheté massivement des obligations
d'Etats Européens, obligations sur lesquelles elle avait atteint une
position de 6,2 Mds$, ce qui représentait 5 fois son actif net.
La stratégie suivie était de s'exposer aux
dettes souveraines Européennes qui rapportaient des rendements
intéressants par rapport aux taux des repos, tout ayant un risque de
contrepartie faible, ces titres bénéficiant du soutien de l'EFSF
(European Financial Stability Facility). Mais le courtier s'est trouvé
en difficulté lorsque les régulateurs américains,
s'inquiétant que la banque n'ait pas assez de capital pour faire face
aux appels de marge du fait de la volatilité des titres
Européens, lui ont demandé de lever du capital et de communiquer
sur ses positions.
Le cas de MF Global est intéressant car il montre deux
pratiques qui ont beaucoup déstabilisé le
collatéral à savoir les problématiques des
ré-hypothèque et des appels de marge.
Baisse de la
ré-hypothèque
Les hedges funds ont découvert lorsque les
prime-brokers ont fait faillite, qu'il était très difficile de
récupérer leurs garanties. Les actifs
ré-hypothéqués sont inscrits en hors bilan qui est moins
contrôlé que l'actif des banques. Au final, il s'est
avéré compliqué de savoir où se trouvaient les
titres.
Les hedges funds ont alors commencé a être plus
vigilants sur le risque de défaut des prime-brokers. Ils ont eu recours
à plusieurs prestataires pour se financer et ont aussi demandé
à revoir leur contrat pour empêcher la
ré-hypothèque et avoir des comptes ségrégués
c'est-à-dire isolés des comptes de la banque. Parfois, ils ont
demandé en plus que la conservation des titres se fasse chez un
dépositaire extérieur.
Le modèle de fonctionnement du prime-brokerage est donc
en pleine évolution. L'activité de ré-hypothèque
était une source de revenus qu'il faut désormais impacter sur le
coût d'autres services.
Dans le schéma ci-dessus extrait de l'article
« Velocity of Pledged Collateral » de Manmohan Singh, le
recours à un tiers extérieur pour la conservation des titres (ici
le dépositaire BONY) est désormais souvent adopté. Cela
offre une plus grande garantie aux hedges funds dont l'excédent de
collatéral reste bloqué. Dans le scénario
précédent, Goldman Sachs, en tant que prime broker faisait
« vivre »/circuler ce collatéral (churns) et de ce
fait, pouvait offrir des coûts plus faibles.
La baisse de la ré-hypothèque a
été marquée. Dans l'article
« Under-collateralisation and rehypothecation in the OTC derivatives
markets » 12(*),
Manmohan Singh, se base sur le montant des garanties
ré-hypothécables reçues par les sept plus grands courtiers
Américains (Goldman Sachs, Morgan Stanley, Bear Stearns, JPMorgan,
Lehman Brothers, Merrill Lynch). Il indique qu'entre fin-2007 et fin de 2009,
le montant de ces garanties est passé d'environ 4500 Mds$ à 2100
Mds$.
Cette baisse de la ré-hypothèque peut être
vue positivement du point de vue de la stabilité financière car
le collatéral ne couvre plus qu'une opération. En revanche, cela
a réduit le dynamisme des chaînes d'intermédiation qui
s'était développé à partir du moment où les
brokers ont pu utiliser le collatéral en nantissement pour leur propre
compte.
EMIR
Le contexte
Les dirigeants du G20 se sont engagés lors du sommet de
Pittsburgh en 2009, à mettre en oeuvre des mesures pour améliorer
la transparence et la surveillance des produits dérivés de
gré à gré (OTC, over the counter). Ceux-ci ont
été conçus pour répondre aux besoins de couvertures
spécifiques des différents acteurs et ne donc sont pas toujours
standardisés. Les transactions OTC se font en dehors des marchés
réglementés, par des contrats bilatéraux entre un acheteur
et un vendeur.
Si on peut établir différentes catégories
de dérivés (options, contrats à terme, swaps,
dérivés de crédits), les instruments sont très
variés. On citera par exemple le CDS (Crédit Default Swap) qui
est un dérivé de crédit permettant à l'acheteur, en
contrepartie du paiement d'une prime d'assurance périodique, de se
protéger contre les évènements de crédit (tel que
le défaut) d'une entité de référence (banque,
entreprise ...) à laquelle un prêt a été
accordé. Le dédommagement, suite à la dégradation
du crédit est fourni par le vendeur du CDS.
Les produits dérivés se sont
révélés être porteurs d'un risque systémique
important durant la crise, principalement du fait de l'absence totale de
connaissance sur les positions qui étaient détenues par les
différents acteurs. Cette opacité a engendré un climat
d'incertitude et des mouvements de panique, à l'image des
dérivés de crédit suite à la faillite de la banque
Américaine Lehman Brothers. A l'époque, Lehman constituait
l'entité de référence (émetteur d'obligations pour
se financer) tandis que l'assureur, AIG, était vendeur de CDS sur les
dettes de la banque. Fortement exposée aux subprimes, Lehman fait
faillite en 2008 et AIG13(*) qui avait vendu pour 440 Mds$ de CDS se retrouve
alors dans l'obligation de dédommager les acheteurs de protection.
On reproche également à certains produits
dérivés, principalement les CDS d'accentuer les variations de
prix et d'augmenter l'instabilité. L'étude de trois chercheurs
(Anne-Laure Delatte, Mathieu Gex et Antonia Lopez-Villavicencio)14(*) publiée en Août
2011 dans le Journal of International Money and Finance établit un lien
dans les périodes de crise, entre les primes d'assurance des CDS et les
conditions de financement des Etats Européens dits
« périphériques » (ayant des taux d'emprunts
élevés tels que l'Espagne, l'Italie, la Grèce ...). Les
CDS deviennent alors des instruments de spéculation
auto-réalisateurs sur la détérioration des conditions de
financement de ces Etats : en achetant des CDS, les spéculateurs
envoient un signal négatif aux marchés ce qui fait chuter le prix
des obligations, sur lesquelles ils ont pris des paris à la baisse. En
Novembre 2011, le Parlement Européen adopte un texte interdisant les CDS
à nu sur les dettes souveraines des Etats Européens. Il n'est
désormais plus possible de s'assurer contre ce risque si l'investisseur
n'y est pas exposé.
Aux Etats-Unis et en Europe, les régulateurs tentent
d'appliquer des mesures pour atténuer le risque systémique des
grandes institutions financières. La réglementation des
dérivés OTC représente un enjeu majeur car comme le montre
le graphique ci-dessous issu de la BRI15(*), ce marché est en très forte croissance
depuis plus de dix ans. Les encours notionnels ont progressé de plus de
30% par an entre 2004 et 2007 pour atteindre 583 000 Mds$ en juin
201016(*). D'autre part,
on estime que plus de 80% des produits dérivés sont
négociés de gré à gré, les 20% restants
étant négociés sur les marchés
réglementés.
Progression des encours notionnels sur les dérivés OTC
17(*)
Dodd-Franck, EMIR :
En Europe, les engagements pris au G20 ont abouti au texte de
règlement
2010/0250(COD) (« produits
dérivés négociés de gré à gré,
contreparties centrales et référentiels centraux »)
portant sur l'infrastructure du marché Européen. Ce texte que
l'on appelle EMIR (European Market Infrastructure Regulation), a
été approuvé en Février 2012 par le Parlement
Européen et le Conseil et devrait entrer en vigueur à partir de
Janvier 2013. Il s'ajoute à une autre évolution qu'est MiFID II
(Markets in Financial Instruments Directive) qui prévoit que les
dérivés standardisés ne soient plus négociés
de gré à gré mais soient concentrés sur des
plateformes de négociation : systèmes organisés de
négociation (OTF, Organised Trading Facility), marchés
règlementés ou systèmes multilatéraux de
négociation (MTF, Multilateral Trading Facilities).
Aux Etats-Unis, la régulation sur les
dérivés OTC est l'objet du chapitre VII de la loi Dodd-Franck
promulguée en Juillet 2010 et visant à accroître le
contrôle des autorités sur le système financier
Américain. Le chapitre VII s'intéresse particulièrement
à la réglementation des swaps.
Les dispositions de la
réglementation EMIR
Introduction des contreparties
centrales (CCP, central counterparties)
La réglementation EMIR cherche à réduire
le risque de contrepartie et le risque systémique que
représentent les opérations négociées de
façon bilatérale, en proposant d'intégrer la protection
des chambres de compensations. Tous les contrats dérivés de
gré à gré suffisamment standardisés et liquides
devront être compensés par une contrepartie centrale.
La chambre de compensation s'interpose entre les acheteurs et
les vendeurs, dont elle devient la contrepartie directe. Ce mécanisme
dit de novation permet d'effectuer une compensation multilatérale :
on ne calcule plus les positions nettes des intervenants entre eux mais une
position nette globale de chaque intervenant avec l'ensemble des autres
intervenants, position qu'il a désormais avec la contrepartie centrale.
Le risque de contagion est alors réduit car le défaut d'un membre
n'affecte pas directement les autres qui continuent leurs opérations
avec la chambre de compensation.
En étant garante des opérations, la chambre de
compensation porte un risque de contrepartie important. Elle doit donc mettre
en place différents mécanismes pour réduire son risque
:
§ Elle exige des intervenants une marge initiale
(deposit) qui doit couvrir la variation maximale de l'instrument sur une
journée. Ce montant doit lui permettre de faire face aux
éventuelles pertes au cas où elle devrait déboucler une
position suite au non paiement d'un intervenant ;
§ Elle effectue quotidiennement des appels de marge
auprès des contreparties de chaque opération en fonction de la
valeur de marché de l'instrument ;
§ Elle possède un fonds de garanties
financé par les participants.
Suite à la réglementation EMIR, les transactions
sur les produits dérivés feront donc intervenir : l'acheteur
(investisseur), le vendeur (en général une banque
d'investissement) et un clearing broker (établissement compensateur) qui
sera membre d'une chambre de compensation.
Les classes d'actifs qui seront soumises à cette
obligation de compensation centrale sont encore à définir par
l'ESMA (l'autorité européenne des marchés financiers),
mais les critères de sélection sont principalement la
liquidité des contrats et leur possibilité de standardisation. En
effet, la chambre de compensation doit pourvoir déboucler rapidement une
position. Une plus grande normalisation des contrats permettra
d'accroître leur liquidité (volume d'échange plus
important) et d'avoir ainsi un mécanisme de formation des prix plus
fiable, avec moins de possibilité de manipulation des cours.
Les principales familles visées par la
réglementation sont pour l'instant les swaps de taux
d'intérêt (IRS, Internal Rating Swaps) et les swaps de
défaut (CDS) qui représentent 75% des transactions sur
dérivés OTC.
Référentiels
centraux
La nouvelle réglementation cherche également
à donner les moyens aux régulateurs de pouvoir contrôler
les dérivés négociés de gré à
gré afin de connaître les expositions par intervenant ou de
façon plus synthétique par catégorie d'instrument et de
sous-jacent. Jusqu'à présent, il n'y avait aucune obligation de
déclarer les transactions de sorte que les régulateurs
étaient dans l'incapacité d'anticiper les expositions
systémiques de certains acteurs, à l'image d'AIG sur le
marché des CDS.
Dans cette optique, la Commission prévoit que les
transactions réalisées dans l'Union Européenne devront
être notifiées à des référentiels centraux
(ou trade repositories). Ces référentiels seront
surveillés par l'ESMA et devront également publier leurs
positions agrégées par catégorie de dérivé,
ce qui fournira une meilleure vision aux acteurs du marché.
Coût du passage aux
chambres de compensation (CCP)
Le coût du transfert des dérivés OTC vers
les contreparties centrales ne sera pas négligeable. Les intervenants
devront tout d'abord verser les marges initiales et les contributions aux fonds
de garantie. En prenant comme hypothèse que 2/3 des montants notionnels
des contrats (CDS, swaps sur taux d'intérêts, contrats de changes,
actions, produits de base) seront transférés aux CCPs 18(*), Manmohan Singh a
estimé ces montants à environ 200 Mds$.
D'autre part, même si l'introduction des contreparties
centrales va permettre de compenser les contrats et donc réduire les
appels de marges des intervenants, les opérations vont devenir plus
coûteuses en collatéral.
Augmentation de la demande
en collatéral
En effet, les contreparties centrales imposeront de couvrir la
totalité des transactions ce qui n'était pas le cas pour les
opérations bilatérales. L'ISDA (International Swaps and
Derivatives Association), interroge chaque année un ensemble d'acteurs
des marchés de dérivés de gré à gré
(820 membres sur 57 pays) sur leur recours au collatéral. Dans son
étude « ISDA Margin Survey 2010 »19(*), elle a établi à
partir des réponses de 83 participants qu'environ 70% des
opérations étaient garanties par du collatéral en 2009.
Les transactions sur les dérivés de gré
à gré sont donc largement sous-collatéralisées. Le
FMI et la BRI (dans son reporting semi-annuel sur l'activité des
dérivés OTC) évoquent pour 2009, une
sous-collatéralisation qui avoisinait 2000 Mds$ 21(*). Cela est dû au fait que
les réglementations n'imposent pas aux acteurs qui contractent des
dérivés de gré à gré de couvrir toutes leurs
expositions. Les contreparties fixent librement les termes du contrat ; en
conséquence les grandes banques actives sur ce marché peuvent
porter un risque systémique important.
Une mesure du risque systémique :
Le montant des fonds propres et des provisions définis
par les accords de Bâle se basent exclusivement sur la valeur des actifs
d'une banque (que l'on dénomme aussi « valeurs de remplacement
positives » ou « derivative receivables ») et ont
pour objectif de gérer les risques de crédit, de
marché et opérationnels et non pas le risque systémique.
Un moyen d'estimer le risque que fait porter une grande banque
sur les autres acteurs consiste à calculer le total de ses
« valeurs de remplacements négatives » (ou
derivative payables), ce qui correspond à l'ensemble de ses engagements
au passif. La valeur résiduelle, après netting (évaluation
sous un solde unique des divers contrats de créances et d'engagements
d'une entité), permet ainsi de mesurer le risque systémique
potentiel ainsi que la valeur maximale de la sous-collatéralisation de
ses opérations.
Le passage aux CCPs va mettre fin à cette
sous-collatéralisation et les banques devront mobiliser beaucoup plus de
collatéral. Dans une étude publiée en Mai 2012, Morgan
Stanley and Oliver Wyman estiment que le supplément de collatéral
engendré par la compensation des dérivés pourrait se
situer entre 500 et 800 Mds$.
L'ISDA souligne également dans le compte rendu de son
enquête, que le collatéral est un moyen de plus en plus
utilisé pour couvrir le risque de crédit sur les marchés
des dérivés OTC. Entre 1999 à 2009, le collatéral a
évolué à un taux croissance annuelle de 35% quand les
expositions brutes sur les dérivés augmentaient à rythme
de 13% par an. Pourtant d'autres solutions existent : l'allocation de
fonds propres, le recours à des garants (sûretés
personnelles) ou à des clauses de compensations (close-out netting)
permettent aussi de réduire le risque.
Réduction de la
ré-hypothèque
A l'augmentation des garanties, va s'ajouter une baisse de la
ré-hypothèque des brokers/dealers. En effet, le collatéral
qui sera transmis aux chambres de compensation restera bloqué par
celles-ci et ne pourra donc plus être utilisé par les brokers pour
garantir leurs propres opérations.
L'étude de l'ISDA donne quelques précisions sur
le type de collatéral qui est échangé : 82% des
garanties sont données sous forme de cash et viennent ensuite les titres
souverains pour 14%. Dans le panel interrogé, les 15 plus grands acteurs
ré-hypothèquent fortement le collatéral (82% en global et
même 93% pour le cash).
Même les transactions sur les dérivés qui
ne seront pas sujettes à la compensation centrale auront un suivi plus
strict des garanties. Frédéric Bompaire, responsable des affaires
publiques chez Amundi, indique ainsi que «les opérations qui ne
seront pas compensées devront être associées à une
collatéralisation » et surtout que « les appels de
marges devront être réguliers et gérés à
travers un système automatisé quotidien de façon à
suivre les risques» 22(*).
Qualité du
collatéral
Les contreparties centrales qui vont concentrer les risques de
contrepartie vont devoir s'assurer qu'elles ont suffisamment de
collatéral pour couvrir les expositions courantes (par les appels de
marge) et les expositions potentielles (par les marges initiales) des
différents intervenants. Elles seront alors bien plus prudentes que les
banques sur la qualité des garanties qu'elles acceptent car elles
devront pouvoir liquider le collatéral lorsqu'un des membres à la
compensation fait faillite donc probablement dans des conditions de
marchés stressées
Les exigences de garantie font l'objet de l'article 43 de la
réglementation EMIR. La commission propose que les CCPs n'acceptent que
des garanties très liquides ayant un risque de crédit et de
marché minimums, sans toutefois indiquer une liste d'actifs
éligibles.
La réorganisation du
marché
Avec MiFID II et Emir, les régulateurs encouragent la
négociation des dérivés de gré à gré
sur les marchés réglementés et leur compensation par les
contreparties centrales. Nous avons mentionné que 80% des
dérivés étaient encore négociés de
gré à gré ce qui implique que ces deux marchés
deviennent très prometteurs et subissent de fortes
réorganisations ces derniers mois.
La concurrence sur les
plateformes de négociation des dérivés
Les principales plateformes organisées
spécialisées dans les dérivés sont le CME Group
(Chicago Mercantile Exchange), l'Eurex (European Exchange) et le Liffe (London
International Financial Futures and options Exchange).
§ Le CME group est le premier opérateur mondial du
marché des dérivés23(*). S'il est connu pour sa spécialisation sur les
matières premières, il est très actif dans les futures et
options sur le S&P500 et sur le marché de l'eurodollar (contrats sur
le Dollar-Libor 3 mois)
§ L'Eurex, qui est la filière des
dérivés de la Deutsche Börse (opérant à la
bourse de Francfort) est le deuxième acteur mondial dans les
dérivés. Ses produits-phares sont principalement les futures sur
emprunts allemands à différentes échéances
(Euro-Schatz, Euro-Bobl, Euro-Bund, Euro-Buxl) qui constituent le marché
de référence des taux d'intérêts à moyen et
long terme de la zone euro. L'Eurex est également très actif
sur les options et futures sur actions et indices.
§ Enfin, le Liffe, le troisième acteur mondial,
détenu par NYSE Euronext (bourses de New-York, Paris, Londres, Amsterdam
et Lisbonne) est spécialisé dans les dérivés sur
taux d'intérêts à court terme (STIR, Short Term Interest
Rate). Son principal produit est le contrat à terme Euribor 3
mois24(*).
En 2011, Nyse Euronext et de Deutsche Börse ont
tenté de fusionner leurs activités pour former la plus grande
bourse mondiale des dérivés mais la Commission Européenne
a bloqué le projet en février dernier, craignant un double
monopole en infraction avec les lois anti-concurrentielles : sur le
marché des produits dérivés en Europe et sur le
règlement-livraison au sein des chambres de compensation. Selon l'UE, le
nouvel ensemble aurait contrôlé plus de 90% des
dérivés cotés en Europe.
Depuis, plusieurs opérateurs boursiers
américains cherchent à installer à Londres des plateformes
de négociation sur les dérivés car l'activité est
moins concurrentielle et donc plus rentable que les marchés
actions :
§ En juin, Nasdaq OMX25(*) annonçait qu'il se lançait sur ce
marché via un système multilatéral de négociation
(MTF) spécialisé sur les taux d'intérêts courts et
longs en euros et en livres.
§ En Août, c'était au premier acteur
mondial, le CME Group, d'annoncer sa volonté de créer à
Londres une bourse européenne des dérivés pour mi-2013.
Celle-ci concurrencerait surtout le Liffe du fait de leur rivalité sur
les futures Euribor et Dollar-Libor 3 mois ; les deux plateformes ayant de
plus beaucoup de membres en commun. Le rival américain de CME Group, ICE
(Intercontinental Exchange) s'est également lancé sur ce
marché.
La concurrence pour la
compensation des dérivés
Les principaux acteurs de la compensation en Europe sont LCH
Clearnet et Eurex Clearing. Ils interviennent pour l'essentiel dans la
compensation des actions et des dérivés listés (options,
futures). La compensation des dérivés de gré à
gré va bouleverser ce marché car les chambres de compensation
vont avoir un rôle central.
La réglementation apporte également certaines
évolutions : les fonctions de compensation devront être
regroupées à un seul endroit et les produits
dérivés libellés en euros devront être
compensé dans la zone euro.
En Mars dernier, le groupe boursier anglais LSE (London Stock
Exchange) annonçait sa prise de participation majoritaire du capital de
LCH Clearnet. NYSE Euronext a pour sa part décidé de
développer une nouvelle structure, RCH (Recognised Clearing House)
prévue pour 2014, qui sera basée à Londres. Elle
procèdera à la compensation de tous les produits
dérivés échangés sur les bourses d'Amsterdam,
Bruxelles, Lisbonne et Paris, ce qui était effectué par LCH
Clearnet à Paris. En revanche, les actions échangées sur
Nyse Euronext restent compensées par LCH Clearnet à Paris.
Bâle III
Pour le comité de Bâle, si la crise
économique et financière a été aussi grave, c'est
parce que « le secteur bancaire avait développé un
effet de levier excessif au bilan et au hors-bilan, tout en laissant se
dégrader progressivement le niveau et la qualité de ses fonds
propres »26(*). Malgré les règles prudentielles qui
étaient en vigueur en 2007, certaines banques n'ont pas pu faire face
aux pertes réalisées sur les produits structurés issus de
la titrisation. Un phénomène de défiance, engendré
par l'incertitude sur la qualité du bilan, la solvabilité des
banques ainsi que leur interdépendance a rapidement engendré une
crise de liquidité à l'automne 2008.
Après avoir pris en compte les techniques de
titrisations dans les normes Bâle 2.5 (directive européenne CRD3),
le comité a proposé fin 2010 des changements plus importants aux
règles prudentielles. La réglementation Bâle III (directive
européenne CRD4) qui s'appliquera progressivement entre 2013 et 2019,
aura un impact sur la demande en collatéral.
Le niveau et qualité
des fonds propres
Bâle II s'est surtout focalisé sur la
différentiation du risque de crédit en fonction des types
d'actifs et des émetteurs, ainsi qu'à la prise en compte des
risques de marché et des risques opérationnels. Avec les accords
Bâle III, les régulateurs cherchent tout d'abord à
améliorer le niveau et la qualité des fonds propres
réglementaires. Ceux-ci doivent permettre aux banques d'
« absorber les chocs consécutifs à des tensions
financières ou économiques ».
L'attention est surtout portée au ratio des fonds
propres stables, les plus à même pour absorber les pertes. Ce
ratio, appelé le CET1 (Common Equity Tier 1), a désormais une
composition plus stricte qui comprend les actions ordinaires, les
bénéfices en réserve, certaines participations
minoritaires et le goodwill27(*). Le CET1 passera de 4% à 6% dès
2013.
D'autre part, le ratio `Core Tier 1' plus restrictif car
limité aux actions ordinaires et aux bénéfices en
réserve, sera également augmenté de 2% à 4,5% en
2013, auquel s'ajoutera une réserve de conservation pour atteindre un
Core Tier 1 de 7% en 2019.
D'autres contraintes sont également
évoquées :
§ Un volant contracyclique constitué de fonds
propres identiques au CET1 pouvant aller jusqu'à 2,5% lorsque les
autorités jugeront que la croissance du crédit entraîne un
risque systémique ;
§ Des fonds propres additionnels pour les
établissements jugés d'importance systémique (SIFI,
Systemically Important Financial Institutions).
Pour satisfaire ces nouvelles normes bien plus exigeantes en
capitaux, les banques devront :
§ soit augmenter leurs fonds propres en mettant en
réserve une partie de leurs bénéfices ou en levant de
nouveaux capitaux ;
§ soit diminuer leur exposition pondérée du
risque (RWA, Risk-Weighted Asset).
Utilisation du
collatéral comme technique de réduction des risques
Un moyen pour réduire l'exposition au risque est
d'avoir recours à des atténuateurs (CRM : Credit Risk Mitigation)
afin de couvrir partiellement ou en totalité le risque de perte dû
au défaut de la contrepartie.
On peut citer comme outils d'atténuation du risque :
§ Les sûretés personnelles (ou garanties).
Un tiers prend alors l'engagement de se substituer au débiteur s'il
devient défaillant. Un exemple de sûreté est l'achat de
protection par un dérivé de crédit (CDS);
§ Les sûretés réelles (ou
collatéraux) qui sont constitués d'actifs physiques (biens
immobiliers, métaux précieux ...) ou d'instruments financiers
(espèces, titres de qualité supérieure ...) ;
§ Enfin, les banques mettent également en place
des accords de compensation par lesquels, en cas de défaillance, les
montants dus et à payer sont compensés. L'exposition au risque
porte alors sur les montants nets.
Ces techniques réduisent l'exposition
pondérée du risque (RWA) en agissant soit sur la valeur
exposée au risque (EAD, Exposure At Default) comme pour les contrats de
compensation, soit en permettant de considérer que le risque n'est plus
envers le débiteur mais envers un garant, mieux noté et donc
moins pondéré (RW, Risk Weight plus faible).
Afin de réduire le montant des fonds propres à
mobiliser, les banques pourraient ainsi augmenter leur usage du
collatéral. Cependant, il est plus probable compte tenu du coût
croissant du collatéral, que les banques choisissent de se
désengager de certaines activités trop consommatrices en fonds
propres, ou d'avoir recours à la titrisation pour sortir des
créances de leur bilan.
Les ratios de
liquidité
Au-delà de l'usage du collatéral pour
réduire le montant des fonds propres, une autre mesure des accords
Bâle III va venir diminuer le stock d'actifs sûrs et liquides,
c'est-à-dire l'offre en collatéral le plus recherché.
Bâle III introduit deux ratios pour contenir le risque
de liquidité. Ce risque représente les difficultés que
peuvent rencontrer les banques pour se refinancer, vendre une partie de leurs
actifs dans des situations de crises globales. Dans la période
2007-2009, les problèmes de liquidité ont été
importants, notamment suite au gel du marché monétaire, car les
banques refinancent leur activité à court terme. En septembre
2008, l'effondrement de nombreux établissements a été
évité par l'action des banques centrales qui ont accordé
massivement de la liquidité. L'objectif des ratios proposés par
le comité de Bâle est d'éviter que les banques centrales ne
deviennent des prêteurs non plus de dernier ressort mais de premier
ressort lors de tensions sur le marché monétaire.
§ Le premier ratio de liquidité introduit dans
Bâle III, est le LCR (Liquidity Coverage Ratio) qui doit être mis
en oeuvre pour 2015. Son objectif est d'améliorer la résilience
à court terme des banques à une crise de liquidité aigue.
On simule une situation dans laquelle les clients retireraient brutalement
leurs dépôts, que le marché interbancaire et les
financements sécurisés seraient bloqués, que certains
crédits ne seraient pas remboursés. Ce ratio vise à
s'assurer que les banques disposent d'une réserve de liquidité
suffisante pour faire face aux sorties d'espèces à un horizon
d'un mois.
Le ratio LCR est donc défini comme le rapport entre le
montant d'un coussin de réserve de liquidité et les sorties de
trésorerie prévues par la banque à un mois. Il devra
être supérieur à 100%, ce qui va contraindre les banques
à disposer d'actifs liquides, de très bonne qualité, cette
définition ne comprenant que les titres d'Etat et les espèces. Le
coussin de liquidité à court terme représentera donc
autant d'actifs qui ne pourront être utilisés comme
collatéral.
Cependant, la définition des actifs éligibles
pourrait être élargie par exemple à l'or et aux actions
suite à une étude du comité de Bâle qui chiffre
à 2 220 Mds$, le montant des actifs que doivent encore se procurer
les banques pour se conformer au LCR.
§ Le deuxième ratio est le NSFR (Net Stable
Funding Ratio), qui est prévu pour 2018. Son objectif est de diversifier
le financement des actifs à moyen et long terme des banques
c'est-à-dire leurs emplois stables (RSF, Required Stable Funding), qui
se faisait principalement à court terme. Avec l'introduction du ratio
NSFR, les emplois stables devront être financés par des
ressources plus longues/stables (ASF, Available Stable Funding), plus
précisément de maturités supérieures à un
an.
Des pondérations vont être appliquées aux
sources de financement en fonction de leur stabilité : 100% pour le
CET1, 80% à 90% pour les dépôts clientèles, 50% pour
les emprunts garantis. De la même manière, les actifs à
financer seront pondérés en fonction de leur
liquidité : 0% pour les comptes d'espèces, 5% pour les
titres d'Etat, 55% pour les prêts hypothécaires, 85% pour les
prêts aux particuliers et 100% pour les autres actifs.
Ces pondérations vont impliquer d'une part, le recours
à des ressources plus longues mais aussi l'augmentation de la part des
actifs liquides, peu pondérés, tels que les titres d'Etat ou les
espèces.
Les mesures concernant les
dérivés de gré à gré
A l'instar d'EMIR, le comité de Bâle cherche
à mieux prendre en compte la gestion du risque de contrepartie et du
risque systémique pour les dérivés de gré à
gré. Certaines mesures des accords Bâle III vont inciter les
banques à transférer le traitement des dérivés OTC
aux contreparties centrales. Par ailleurs, le coût des contrats non
collatéralisés sera renforcé.
Incitation à passer par
les chambres de compensations
Le comité propose un traitement prudentiel avantageux
pour les transactions OTC qui seront compensées par les contreparties
centrales. Les expositions en valeur de marché et les
sûretés auront un coefficient de pondération (risk weight)
rw de 2% qui est bien inférieur au coefficient appliqué aux
opérations bilatérales.
Cependant, les expositions sur les fonds de garanties des CCPs
feront également l'objet d'exigences en fonds propres qui
dépendront du risque porté par la chambre de compensation. Pour
mesurer ce risque, un capital réglementaire sera calculé en
appliquant une pondération de 8%×20% au total des expositions des
intervenants de la CCP auxquelles on déduit la valeur des
collatéraux. Ce capital sera alors comparé aux ressources de la
contrepartie centrale (fonds de garantie et fonds propres) et s'il y a un
déficit il sera réaffecté aux intervenants en fonction de
leur contribution au fonds de garantie.
Traitement prudentiel des
CVA (Crédit Value Ajustment)
En plus des exigences en fonds propres relatives au risque de
contrepartie, de nouvelles charges en fonds propres vont être
destinées à absorber les pertes en valeur de marché sur
les dérivés de gré à gré, résultant
de la dégradation de la qualité de la contrepartie. Cette
dégradation est mesurée par l'augmentation des spreads de
crédit ou par la baisse de la notation de la contrepartie.
Ces pertes d'ajustement de la valeur des actifs (ou
Crédit Value Ajustment) matérialisent la volatilité
potentielle du risque de contrepartie. Elles sont définies comme la
différence entre la valeur de marché du portefeuille de
crédit sans risque et la valeur de marché du portefeuille en
tenant compte du risque de contrepartie. Les CVA sont ainsi
considérés par des établissements comme une provision
prospective du risque de contrepartie.
Les produits dérivés de gré à
gré ont subis de fortes pertes de CVA pendant la crise principalement du
fait de la détérioration de la qualité des vendeurs de
protections, notamment les rehausseurs de crédit (monolines). Les
baisses des notations ainsi que le défaut de certains acteurs (comme
AIG) se sont produits au moment où leurs expositions étaient
très fortes. Cette corrélation inverse entre l'exposition au
risque et la qualité de crédit de la contrepartie est une source
de risque systémique que le comité de Bâle dénomme
le « wrong way risk ».
Afin de couvrir le risque systémique, la réforme
Bâle III impose d'identifier les expositions qui peuvent engendrer un
fort wrong way risk ainsi que de calculer les expositions attendues sur les
dérivés en utilisant des paramètres stressés
(volatilité, corrélation) sur certaines périodes. Les
transactions bilatérales non collatéralisées seront
fortement impactées par ces nouvelles charges de CVA ce qui va renforcer
la mise en place d'accords de collatéral. De plus, les opérations
compensées par une contrepartie centrale ne nécessiteront pas ces
exigences en fonds propres.
Vers un risque de
liquidité ?
Comme l'indiquent Elsa Sitruk et Stéphane Kourganoff
dans l'article « Du bon équilibre entre risque de contrepartie
et risque de liquidité » 28(*), dans ce nouvel environnement réglementaire
deux situations vont s'opposer :
§ Une situation dans laquelle on utilise des contrats de
collatéral bilatéral ou une compensation par les contreparties
centrales. Les charges réglementaires au titre du risque de contrepartie
seront alors massivement réduites ;
§ Une situation sans contrat de collatéral pour
laquelle les charges subies au titre du risque de contrepartie seront
importantes. Elles sont le d'autant plus si les spreads de crédit se
sont écartés ou si la volatilité des marchés est
forte (cf traitement prudentiel des CVA).
La collatéralisation de façon bilatérale
ou avec une contrepartie centrale va donc se développer ce qui risque
d'engendrer un risque de liquidité non négligeable. En effet, les
variations des conditions de marché, au lieu d'affecter le risque de
contrepartie vont donner lieu à appels de marge qui peuvent être
importants et engendrer des problèmes de liquidité.
L'article donne l'exemple d'AIG qui avait vendu massivement
des protections par le biais de CDS « super senior ».
L'assureur s'est trouvé en difficulté lorsqu'il a dû
déposer des milliers de dollars de collatéral
supplémentaires suite à l'envolée des spreads de CDS sur
le marché. Ce risque de liquidité a été largement
sous-estimé pendant la crise et de nombreux établissements tels
que Lehman Brothers, AIG, Bear Stearn ou Dexia ont disparus ou
été restructurés avant tout pour ce risque de
liquidité.
Crise du
collatéral
Nous venons de voir que les réglementations EMIR et
Bâle III, qui ne sont pas encore en application, vont mobiliser une
quantité importante de titres de bonne qualité tels que des
titres d'Etat bien notés ou des espèces. Le problème est
que ces deux réglementations vont s'appliquer à un moment
où le collatéral de bonne qualité se raréfie.
Nous allons voir dans cette partie différentes raisons
qui expliquent ce qui peut être considéré comme une crise
du collatéral.
La baisse de la vitesse de
circulation du collatéral
Manmohan Singh, économiste au FMI, a
réalisé une étude pour mesurer l'évolution de la
vitesse de circulation du collatéral entre 2007 et 201029(*). Il s'est
intéressé aux deux principales sources de collatéral
à savoir celui fourni par les hedges funds et celui fourni par le
prêt de titres.
Pour les hedges funds, il distingue les deux moyens de
financement suivants :
§ les repos qui sont utilisés pour financer les
hegdes funds ayant une stratégie à fort effet de levier tels
que les arbitrages sur taux (fixed income), les paris sur l'économie
(global macro) ou les opportunités sur les produits convertibles
(covertible arbitrage);
§ le collatéral donné en nantissement des
prêts des prime-brokers qui financent les autres stratégies
notamment celles d'achat et de vente sur les actions (long short equities) et
celles liées aux évènements des entreprises (event
driven).
D'après son étude, la valeur du
collatéral transmis pour les opérations de repos était de
l'ordre de 750 Mds$ en 2007 et en 2010. Il base ses estimations sur certaines
des données telles que :
§ Les encours gérés (AuM - Assets under
Management) publiés par l'industrie des hedges funds (2000 Mds$ fin
2007 contre 1700 Mds$ fin 2010) ;
§ Le levier moyen : (2 en 2007 contre 1,7 en
2010) ;
§ Le poids des stratégies fixed income, global
macro et convertible arbitrage (qui représentaient 27% des positions de
marché des hedges funds en 2007 contre 32% en 2010).
Le financement des hedges funds par les prêts des
prime-brokers a en revanche baissé, passant de 850 Mds$ en 2007 à
600 Mds$ en 2010. Les raisons invoquées sont la
ségrégation des comptes des hedges funds et la conservation du
collatéral par des dépositaires ce qui limite la
ré-hypothèque et donc les capacités de financement des
prime-brokers.
Concernant le prêt de titres, l'estimation se base sur
les données fournies par le Risk Management Association (RMA) concernant
les principaux prêteurs (fonds de pensions, assureurs, secteurs publics)
à travers leurs dépositaires. La valeur des titres
prêtés est estimée à 1695 Mds$ pour 2007 et à
1119 Mds$ pour 2010.
En additionnant la valeur du collatéral transmis par
les hedges funds et le prêt de titres, on obtient la valeur du
collatéral d'origine, qui n'a pas encore fait l'objet de
ré-hypothèque :
§ Pour 2007 : (750 + 850) + 1695 soit 3295 Mds$
§ Pour 2010 : (750 + 600) + 1119 soit 2469 Mds$
L'économiste définit alors vitesse de
circulation du collatéral comme le rapport entre la valeur du
collatéral reçu par l'ensemble des brokers (qui a fait l'objet de
ré-hypothèques) et le montant du collatéral d'origine.
Les quatorze principaux courtiers ont reçu environ 10
000 Mds$ de collatéral en 2007 et 5800 Mds$ en 2010, ce qui donne les
vitesses de circulation suivantes :
§ En 2007 : 10000/3295 = 3.0
§ En 2010 : 5800/2469 = 2.3
En 2007, les titres donnés en nantissement
étaient continuellement réinvestis par les brokers-dealers pour
maximiser leurs rendements et le prêt de titres des institutionnels
était plus important ce qui créait des chaînes dynamiques
pour la circulation du collatéral.
Avec la baisse de ces opérations les chaînes
d'intermédiation se sont raccourcies. Cela vient d'une part des
fournisseurs de collatéral : ils sont désormais plus
vigilants au risque de contrepartie et donc moins enclins à ce que leurs
titres soient réutilisés par les brokers. D'autre part, les
clients finaux/investisseurs demandent du collatéral de meilleure
qualité.
Les transactions possibles ont alors baissées ce qui
participe au deleveraging et à l'augmentation du coût du
crédit. Des indices mesurant le coût global d'emprunt indiquent
qu'il a été multiplié par 2.5 aux Etats-Unis et par 4 en
Europe depuis 2006.
Cette étude de Manmohan Singh porte sur la
période 2007-2010, alors que les réglementations Emir et
Bâle III n'étaient pas encore appliquées. On remarque donc
que en conséquence post-Lehman, les acteurs font déjà
preuve d'une plus grande vigilance.
Assèchement du
collatéral
L'enquête menée par SunGard/Finadium en 2010
indique que le montant du collatéral utilisé a été
multiplié par quinze sur les dix dernières années, du fait
notamment de la croissance considérable des transactions sur les
dérivés. En tenant compte des dérivés OTC, des
dérivés listés et des prêts sécurisés,
le montant du collatéral pour ces opérations atteignait en 2009
4510 Mds$ (10% pour les dérivés listés, 44% pour les
dérivés OTC et 46% par le prêt de titres) auquel il faut
ajouter 3000 Mds$ pour les repos 30(*).
Or, la tendance va vers un durcissement des actifs
acceptés en garantie par les prêteurs de liquidités sur le
marché des repos et par les régulateurs pour la constitution
des marges auprès des contreparties centrales ainsi que pour les ratios
de liquidité Bâle III. Ce resserrement se produit au moment
où l'offre des titres de bonne qualité est au plus bas comme en
témoigne le graphique ci-dessous qui trace l'évolution du stock
des actifs sûrs (libellés en euros et en dollars) en circulation
sur les marchés financiers.
Source : Credit Suisse - 2012 Global Outlook31(*)
On constate que les titres « sans risque »
ont fortement diminué depuis 2007, de l'ordre de 40%. Plusieurs perdent
leur qualité d'actif sans risque : les produits structurés
émis par les institutions privées (US Priv Label Structured
Products), les titrisations de crédits hypothécaires garanties
par les agences gouvernementales telles que Fannie Mae ou Freddie Mac
(FNMA/FHLMC AGY&MBS) et dernièrement les obligations d'états
souverains européens (Europen Soverains).
Les banques ont utilisé beaucoup de garanties dans les
accords de collatéral bilatéral et au niveau des banques
centrales afin d'obtenir de la liquidité. La situation est
particulièrement critique en Europe au fur et à mesure que le
nombre de pays jugés sûrs se restreint alors que dans le
même temps, les investisseurs cherchent des valeurs refuges.
Crise de la dette
Européenne et taux d'intérêts négatifs
Cette pénurie en Europe sur les titres de bonne
qualité est au coeur de l'actualité car depuis quelques mois,
certains Etats (comme l'Allemagne, la France, le Danemark, la Finlande, les
Pays-Bas, l'Autriche, la Suisse) empruntent à court terme à des
taux négatifs.
Ainsi dès Janvier 2012, l'Allemagne obtenait un taux de
-0,012% pour l'adjudication de ses obligations à 6 mois et en
juillet c'est son taux d'emprunt à 2 ans qui passait en
négatif à -0,06%. Un autre exemple est la France qui
malgré une dette qui avoisine 90% de son PIB, émettait en
juillet dernier 6 Mds€ d'obligations à trois et six mois à
des taux d'intérêts négatifs de - 0,005 % et - 0,006 %.
Cela signifie que les investisseurs récupéreront
un montant inférieur à ce qu'ils ont investi et qu'ils sont
prêts à payer pour sécuriser leurs avoirs dans une
conjoncture incertaine et risquée.
Plusieurs pistes sont données pour tenter
d'expliquer ces rendements négatifs :
§ Certains fonds obligataires et portefeuilles
d'investisseurs institutionnels doivent avec une partie de leurs
investissements en euros, parfois en emprunts d'Etats notés AAA. Or, ces
placements se sont réduits. A noter que la dette Française est
encore notée AAA par les agences Moody's et Fitch.
§ Les investisseurs estiment que le placement dans de
obligations souveraines AAA est plus sûr que de conserver du cash
auprès des établissements bancaires. Pour la conservation de
titres, une banque n'est que dépositaire et si elle fait faillite, les
titres ne sont pas pris en compte dans la procédure de liquidation. Cela
n'est pas le cas des dépôts de cash qui sont
considérés comme des créances.
Ces taux négatifs sont révélateurs de
l'engouement des investisseurs pour des actifs sans risque mais aussi de la
pénurie de ces actifs en Europe qui fait qu'on arrive à ces
rendements anormaux.
Le taux des repos comme
indicateur de la crise du collatéral
D'après Izabella Kaminska dans une note sur la banque
centrale en prêteur de dernier ressort32(*), le meilleur indicateur sur l'intensité de la
crise du collatéral est le taux des repos (GC repo rate), de la
même manière que la flambée des taux du Libor était
un indicateur clé de la tension des marchés lors de la crise du
crédit.
En effet, on a vu dans le mécanisme des repos que
lorsque le taux d'intérêt est bas cela signifie que la garantie
est particulièrement recherchée. Plus le taux du repo est faible
et s'écarte de l'EONIA, du LIBOR/EURIBOR qui sont des taux de
financement qui ne sont gagés par des titres, plus la crise du
collatéral est aigue.
Dans certains cas les taux peuvent même devenir
négatif ce qui implique que le prêteur de liquidités paie
une somme supérieure à la valeur nominale des titres. On se
rapproche alors du prêt-emprunt de titres où c'est la
détention des titres qui est rémunérée.
Source ICAP 33(*)
|
Ce graphique montre l'évolution sur la période
juin 201 - février 2012 des taux de repos pour une
échéance de 1 mois selon les pays.
On remarque jusqu'à décembre 2011 la baisse des
taux des repos et l'écart croissant avec l'EONIA pour la France, la
Belgique et l'Allemagne. Les taux devenant même légèrement
négatifs.
|
L'évolution des taux sur le marché des repos
reflète donc bien la crise des titres souverains en Europe. Le
président de la BCE, Mario Draghi, a évoqué ce
problème du manque des garanties éligibles lors du congrès
de Francfort en novembre 201134(*). Il y parle également de l'augmentation des
spreads entre les segments de marché garantis et non garantis, d'un
élargissement dans les écarts de prix des repos en fonction du
type de collatéral.
Effet multiplicateur
Nous avons vu le raisonnement de
Manmohan
Singh concernant la vitesse de circulation du collatéral. La baisse
dans l'offre initiale de titres éligibles a au final un impact
négatif plus important sur les marchés du fait des chaînes
de réutilisation du collatéral. Le raisonnement suivi est
semblable à celui de la création monétaire où une
réduction de la base monétaire (monnaie banque centrale) a un
impact supérieur sur la création de monnaie sous l'effet d'un
multiplicateur de crédit.
D'autre part, avec les nouvelles réglementations, une
part importante du collatéral qui était
ré-hypothéqué sera désormais bloquée . Les
actifs conservés par les banques pour se conformer aux ratios de
liquidité Bâle III et les marges initiales transmises aux
contreparties centrales dans le cadre d'Emir seront autant de ressources
bloquées qui réduiront le collatéral disponible.
L'assouplissement des
critères de collatéral de la BCE
A l'inverse des autres acteurs, la banque centrale
européenne assouplit les critères d'éligibilité des
titres qu'elle accepte en contrepartie de ses opérations de financement.
Afin d'atténuer les effets de la crise des dettes
souveraines, elle élargissait en juin dernier, pour la seconde fois en
quelques mois le collatéral en acceptant les titrisations
adossées aux créances suivantes notées au moins BBB :
crédits immobiliers, crédits accordés aux PME,
crédits automobiles, crédits à la consommation et
crédits d'immobilier commercial.
Début septembre, un nouvel assouplissement du
collatéral est annoncé. Tout d'abord le critère qui impose
que les titres d'Etat ou garantis par les Etats doivent être investment
grade (notation supérieure à BBB-) est levé pour les pays
qui seront éligibles au plan de rachat de dette à court terme de
la BCE (outright monetary transaction) ou qui sont soumis à un programme
du FMI et de l'UE. Cependant, les obligations émises ou garanties par le
gouvernement grec sont inéligibles depuis la décision du conseil
des gouverneurs le 18 juillet 2012 qui reste en vigueur.
Selon Jean-Louis Mourier, économiste chez Aurel BGC,
cette mesure devrait profiter au refinancement des banques Espagnoles dans le
cas où l'Espagne serait dégradée35(*).
D'autre part, une autre mesure de la BCE est d'accepter en
collatéral les titres de créance négociables
libellés en devises autre que l'euro (dollar, livre et yen) s'ils ont
été émis et détenus dans la zone euro. Cette
mesure profiterait surtout à l'Italie qui détient environ 30
Mds€ d'euros de titres émis dans ces devises.
Les évolutions dans
la gestion du collatéral
Jusqu'à présent, la gestion du collatéral
n'entrait pas dans les priorités des banques et des gestionnaires
d'actifs mais les nouvelles réglementations changent la donne et vont
affecter leur manière de gérer le collatéral. Avec les
exigences croissantes sur la quantité et la qualité des garanties
demandées ainsi que le coût pour se procurer des actifs
sûrs, les acteurs vont gagner à mettre en place des solutions
d'optimisation de leur collatéral.
Il faut s'assurer que les actifs sûrs et liquides tels
que les titres d'Etat et les liquidités sont utilisés le plus
efficacement possible et ne sont pas inutilement donnés en
collatéral pour des opérations qui acceptent des titres de moins
bonne qualité. Nous avons vu notamment que la BCE était nettement
moins stricte que les autres acteurs sur le type de collatéral qu'elle
accepte. Dès lors, une banque qui cherche à se financer
auprès de la banque centrale aura tout intérêt à lui
donner le collatéral qui lui coûte le moins cher, par exemple des
obligations émises par l'Etat Italien.
Pour le moment, la plupart des établissements n'ont pas
encore l'architecture et les systèmes techniques qui leur permettraient
de gérer leurs garanties de façon plus poussée. Cela
implique de consolider à un seul endroit les positions et le
collatéral utilisés par les différents services d'un
établissement pour pouvoir en temps réel, substituer les titres
en fonction de leur liquidité, des coûts de financement. Or
jusqu'ici, la gestion du collatéral est très fragmentée en
fonction de sa nature géographique, des catégories d'actifs et il
est réparti dans différents départements/services des
banques.
Une étude Clearstream - Accenture
réalisée en 2011 auprès de 16 établissements
internationaux (assurant au total la gestion de près de 20% des actifs
bancaires) va dans ce sens et montre que entre 10 et 15% du collatéral
reste inutilisé du fait de la fragmentation et d'une gestion efficace
des titres. Au total, ces inefficiences coûteraient aux banques
près de 4 Mds€.36(*)
D'autre part, avec l'introduction des contreparties centrales
pour la compensation des dérivés, certains acteurs du buy-side
(investisseurs) n'auront pas suffisamment de collatéral exigible. Un
exemple donné par Jonathan Philp, consultant spécialisé
dans la gestion du collatéral et des CCPs 37(*) est celui d'un fonds
d'obligations d'entreprises qui utilise des CDS pour couvrir certaines
positions. Désormais, les gestionnaires du fonds seront tenus de
transmettre des marges initiales pour les transactions bilatérales, ce
qui n'était pas le cas auparavant. Or, la détention de cash est
très limitée dans les fonds et les obligations d'entreprises
qu'il détient ne sont pas acceptées comme collatéral par
les contreparties centrales.
Des intermédiaires tels que les prime-brokers, les
dépositaires ou les acteurs de la compensation envisagent ainsi d'offrir
à leurs clients des services de transformation de collatéral. Ces
opérations vont faire appel aux repos et aux prêts-emprunts de
titres. Un client pourra par exemple contracter un repo pour obtenir l'argent
exigé par le CCP, en donnant en garantie ses obligations d'entreprise.
Cela pour consister également à rehausser la qualité du
collatéral en faisant un swap de collatéral.
Conclusion
Les marchés entrent dans une phase où le manque
de collatéral devient un sujet de préoccupation majeur, notamment
en Europe. Les raisons à cette crise du collatéral sont
multiples. Pour couvrir leurs risques (de taux, de devise, de contrepartie,
...) un nombre croissant d'acteurs tels que les banques mais aussi les
entreprises ou les fonds d'investissement ont eu davantage recours aux
dérivés de gré à gré. Le
développement de ces instruments a fortement accru ces dix
dernières années l'utilisation de titres et d'espèces pour
sécuriser les opérations.
L'autre facteur qui a conduit à la pénurie de
collatéral est la crise financière de 2007-2009. Dans un contexte
d'incertitude et de méfiance les banques se sont
détournées pour leur refinancement des marchés non
sécurisés (tel que le marché monétaire) et leur ont
préféré des prêts sécurisés,
c'est-à-dire des repos. D'autres agents économiques, qui
n'arrivaient plus à obtenir des crédits des banques (entreprises,
hedges funds) se sont également tournés vers ce marché.
L'augmentation des émissions obligataires sécurisées
(covered bonds) participe également de cette tendance vers les produits
garantis.
Les prêteurs de liquidité ont donc exigé
du collatéral mais ils ont également durci les critères
d'éligibilité des garanties, soit en n'acceptant que certains
titres très bien notés ou en appliquant aux autres titres des
décotes (haircuts) plus importantes. La conséquence a
été une demande croissante pour des actifs sûrs et
concernant les décotes, l'augmentation des montants de collatéral
à transmettre.
La crise a également mis en lumière le manque de
réglementation de certaines activités ou instruments (le shadow
banking) ainsi que le risque systémique de grands établissements.
Pour faire face à la forte croissance des dérivés de
gré à gré qui se négocient en dehors des
plateformes réglementées, les pays du G20 ont
décidé de faire intervenir les contreparties centrales pour la
compensation des dérivés OTC standardisés. Ainsi,
après la mise en application des lois Dodd-Franck et Emir, des montants
importants de collatéral de très bonne qualité devront
être transmis aux CCPs pour constituer les marges initiales. Si l'impact
sera faible pour les hedges funds déjà habitués à
verser de telles marges pour leurs opérations bilatérales, il en
sera autrement pour les acteurs qui sous-collatérisaient leurs
opérations.
Ce nouveau collatéral ne pourra pas venir d'une
réutilisation plus importante des titres en circulation car à la
suite de la faillite de certains brokers, les clients exigent une
ségrégation des actifs donnés en nantissement. D'autre
part, le collatéral transmis aux contreparties centrales ainsi les
titres liquides et de bonne qualité que devront détenir les
banques pour répondre aux ratios de liquidité Bâle III
seront autant d'actifs qui resteront bloqués et sortiront de l'offre en
collatéral.
Nous avons enfin vu qu'avec la crise des dettes souveraines en
Europe, le collatéral de bonne qualité à savoir les titres
d'Etat notés AAA vient à manquer. La demande est tellement forte
que certains pays émettent des obligations à des taux
négatifs. La banque centrale européenne est la première
institution financière à prendre des mesures pour faire face
à la pénurie de collatéral, en assouplissant les
critères des titres qu'elle accepte en échange de ses
opérations de refinancement. L'autre solution pour les banques est
d'améliorer leur gestion du collatéral soit de manière
interne ou externalisant cette fonction pour les petits établissements.
Les filières de gestion des titres des banques, les dépositaires,
les établissements compensateurs ainsi que les prime-brokers se
positionnent sur ce marché qui risque de prendre de l'ampleur dans les
mois et années à venir.
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* 24 Euribor 3 mois :
taux moyen auquel les principales banques l'Union Européenne se
prêtent et s'empruntent des euros pour une période de 3 mois
* 25 Nasdaq OMX :
deuxième marché actions des Etats-Unis, spécialisé
dans les valeurs technologiques
* 26 Bâle III :
dispositif réglementaire mondial visant à renforcer la
résilience des établissements et systèmes bancaires -
http://www.bis.org
* 27 Capital lié au
plus-values boursières
* 28 Du bon équilibre
entre risque de contrepartie et risque de liquidité -
http://www.revue-banque.fr
* 29 The (Other) Deleveraging
-
www.imf.org
* 30 What Comes Next for
Collateral Management :Results from the 2010 SunGard/Finadium Survey
-www.sungard.com
* 31 2012 Global Outlook -
https://doc.research-and-analytics.csfb.com
* 32 ECB as
Pawnbroker of Last Resort (POLR) -
http://ftalphaville.ft.com
* 33 European repo has been
contained -
http://ftalphaville.ft.com
* 34 Continuity, consistency
and credibility -
http://www.ecb.int
* 35 Nouveau coup de pouce de
la BCE aux banques périphériques -
http://www.agefi.fr
* 36 Welcome to the Age of
Collateral Management - http://www.revue-banque.fr
* 37 Will a Basel risk-free `about turn'
be enough? - http://ftalphaville.ft.com
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