CHAPITRE II : LA JUDICIARISATION DU CONTROLE DES SOINS
SANS CONSENTEMENT
L'ensemble des acteurs de santé et de la justice
évoquent encore aujourd'hui, un an après la promulgation de la
loi du 5 juillet 2011, la problématique de l'organisation des audiences
devant le JLD. A l'heure où nous écrivons ces lignes, aucune
solution pérenne n'a été dégagée au niveau
national. Débordés par les bouleversements massifs surtout
d'ordre procéduraux qu'a engendré la réforme des soins en
psychiatrie, ni les établissements de santé ni les acteurs
judiciaires n'ont véritablement étudié le problème
et surtout les enjeux que posait et pose toujours l'audience du patient devant
le juge. L'ARS Nord -Pas-de-Calais a quant à elle, pris l'initiative de
réunir d'une part les présidents des TGI, les JLD, les services
juridiques de la préfecture et ceux de la cellule des soins soumis
à décision administrative de l'ARS, et d'autre part les
établissements de santé accueillant des patients soumis à
des soins psychiatriques. L'objectif est de parvenir à dégager un
consensus régional notamment à cette problématique des
audiences (Section 1), mais aussi de prévoir le
transfert de compétences au niveau des contentieux en matière de
soins psychiatriques au juge judiciaire à compter du 1er
janvier 2013. En effet, cette unification du contentieux, qui est encore de la
compétence du juge administratif, n'est pas sans poser bon nombre de
problèmes qu'il convient d'anticiper afin d'éviter la
désorganisation complète d'un système d'ores et
déjà sur le fil (Section 2).
Section 1 : Les difficultés pratiques d'organisation
des audiences devant le juge judiciaire
La tenue des audiences devant le JLD n'est pas sans poser
certaines difficultés d'ordre matériel et organisationnel qui
elles-mêmes ont de sérieuses conséquences quant à la
sécurité et aux droits de la défense des patients
(§1). L'investissement des acteurs du monde judiciaire et
de la santé est essentiel afin de parvenir à établir des
solutions viables
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ainsi que des protocoles qui permettraient de fluidifier les
procédures imposées par la loi nouvelle
(§2).
§1 - Les difficultés liées à
la tenue des audiences
La cellule des soins soumis à décision
administrative de l'ARS NPDC nous a signalé plusieurs difficultés
d'organisation liée au lieu de l'audience, à son
déroulement ainsi qu'au transport des patients jusqu'au tribunal.
Celles-ci révèlent des conséquences préoccupantes
pour la sécurité et les droits des patients.
D'après les chiffres transmis par le ministère
de la justice trois mois après la promulgation de la loi du 5 juillet
2011, 73% des audiences JLD se tiennent au sein du TGI. Pourtant, le
législateur a prévu trois modalités de déroulement
des audiences : soit le patient se présente devant le JLD au tribunal,
soit le juge se déplace à l'hôpital, soit on utilise le
système de la visioconférence. Mais la plus grande
majorité des JLD imposent l'organisation des audiences au tribunal,
refusant catégoriquement de se déplacer dans les
établissements de santé. Le principe des audiences foraines est
dans l'ensemble bien mal accepté par les juges. Ainsi, la loi n'imposant
pas de modalité d'audience à l'égard des patients
souffrant de troubles mentaux, le lieu des audiences dépend de la
volonté du juge. D'un tribunal à l'autre, la conception de la
mise en oeuvre de la loi nouvelle est radicalement différente. Ainsi par
exemple, les juges du tribunal de la ville de Pontoise située en
Ile-de-France se déplacent systématiquement dans les
hôpitaux de son ressort131. Chacun des hôpitaux se doit
de réserver une salle spécialement aménagée pour
accueillir le tribunal qui entendra les patients. Les « salles d'audiences
» doivent faire l'objet d'un aménagement spécial, permettant
notamment la tenue d'audiences publiques. Pour autant, il est fréquent
que les juges demandent le huit clos, afin de préserver le secret
médical.
Si la plupart des juges ne se déplacent pas, l'audience
foraine à l'hôpital est largement plébiscitée par
les psychiatres : un chef de secteur de l'hôpital d'Esquirol à
Saint Maurice (Val de Marne) résume bien l'opinion
générale des médecins : « Il faut un chauffeur,
deux aides-soignants. C'est une dépense stupide. Je trouve qu'il vaut
mieux
131 Voir article du journal Libération du 25 octobre 2011
en annexe III.
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transporter des magistrats en bonne santé à
l'hôpital que d'accompagner des malades en souffrance au palais de
justice.»
M. SELTENSPERGER, premier vice-président en charge de
la coordination des juges des libertés et de la détention estime
a contrario que « les audiences foraines ne sont pas
justifiées au plan professionnel et ne sont pas compatibles, aux plans
intellectuel et juridique, avec l'esprit de la récente loi. »
Nombreux sont ainsi les magistrats qui aujourd'hui, passent outre l'aspect
pratique mais aussi et surtout humaniste, au profit d'une pure question de
principe et de symbolique : une audience se déroule dans un tribunal.
Qui plus est, cette position porte atteinte aux droits de la défense,
puisque lorsque le magistrat impose la tenue de l'audience au tribunal, de
nombreux patients ne sont pas en état de s'y présenter ou ne sont
pas transportables. Dans ce cas, un avocat commis d'office est bien sûr
appelé à représenter le patient. Sauf que l'avocat n'a pas
toujours le temps et la possibilité de rencontrer le patient avant
l`audience, et ne peut de ce fait, qu'assurer une défense sur dossier,
c'est-à-dire somme toute, insuffisante.
Or, cette position n'est pas du tout celle tenue par la
plupart des observateurs de la mise en oeuvre de la réforme : par
exemple, MM. BLISKO et LEFRAND, députés et auteurs du rapport
d'information sur la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet
2011132recommandent fortement la généralisation de la
pratique des audiences à l'hôpital. Il faut demander (imposer ?)
aux JLD de se déplacer à l'hôpital. Ce point de vue est
également partagé par une autorité de poids qu'est le
Contrôleur général des lieux de privation de
liberté133 : ce dernier considère que le palais de
justice n'est pas un lieu adapté aux audiences de patients soumis
à des soins psychiatriques, car ceux-ci ne sont alors ni
requérant, ni cités à comparaitre.
132 Rapport d'information déposé par la
Commission des affaires sociales sur la mise en oeuvre de la loi
n°2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection
des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités
de leur prose en charge, 22 février 2012.
133 La loi n°2007-1545 du 30 octobre 2007 a
institué le Contrôleur général des lieux de
privation de liberté. Il s'agit d'une « autorité
indépendante, chargée, sans préjudice des
prérogatives que la loi attribue aux autorités judiciaires ou
juridictionnelles, de contrôler les conditions de prise en charge et de
transfèrement des personnes privées de liberté, afin de
s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux. Dans la limite de ses
attributions, il ne reçoit d'instructions d'aucune autorité.
»
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Autre argument plaidant en faveur des audiences à
l'hôpital : le problème de l'accueil des patients au TGI. En
effet, rares sont les tribunaux ayant eu les moyens (ou même la
volonté ?) d'aménager des salles d'audiences ainsi que des
créneaux horaires spécialement dédiés aux patients
comparaissant suite à une admission en soins psychiatriques sous
contrainte. Or, il est évident qu'il s'agit d'une population
particulièrement fragile et instable, qui requiert des locaux (ce ne
sont pas des délinquants mais des patient) et une surveillance
particulière en attendant d'être entendu par le juge. Ils ne
sauraient être mélangés avec prévenus et autres
gardés à vue souvent menottés et accompagnés par
les forces de l'ordre. Il en va de leur sécurité physique mais
aussi mentale.
En outre, si le patient est dans l'obligation de se
déplacer au TGI, se pose nécessairement le problème de son
transport. En effet, au moins deux infirmiers doivent assurer le transport du
patient jusqu'au tribunal, puis sa surveillance en attendant l'audience, puis
son retour jusqu'à l'établissement de santé. Parfois, un
patient peut ainsi monopoliser deux soignants pendant une demi-journée
entière, ce dont il résulte deux personnels en moins qui
procurent les soins aux patients, ce qui constitue tout de même le coeur
d'activité.
Le Contrôleur général des lieux de
privation de liberté s'est également prononcé sur la
troisième modalité d'audience que constitue la
visioconférence. Evidemment, la quasi-totalité des services de
psychiatrie ont refusé en bloc cette modalité, au regard des
risques évidents des réactions de patients atteints de certaines
pathologies telles que la paranoïa ou la schizophrénie. Dans un
avis du 14 octobre 2011 relatif à l'emploi de la visioconférence
à l'égard des personnes privées de
liberté134, le CGLPL relève tout d'abord les avantages
que présente le recours à la visioconférence : gain de
temps pour les personnels soignants, réduction des risques liés
au déplacement de personnes potentiellement dangereuses. Pour autant, il
souligne aussi les répercussions du contact virtuel sur les droits de la
défense. En premier lieu, se pose le problème du lieu où
doit se trouver l'avocat du patient. Il doit en effet forcément choisir
entre être matériellement présent auprès du patient
ou auprès du juge. Dans les deux cas, il semble compliqué
d'assurer une défense efficace en ne pouvant
134 Contrôleur général des lieux de
privation de liberté, Avis du 14 octobre 2011 relatif à l'emploi
de la visioconférence à l'égard des personnes
privées de liberté, Journal Officiel n°0260 du 9 novembre
2011.
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communiquer directement avec le patient ou avec le juge. Dans
un second temps, le contrôleur prend en compte la potentielle
difficulté d'expression devant une caméra et un micro :
s'exprimer de manière intelligible et sans appréhension pour un
patient souffrant d'une maladie mentale relève de l'utopie. Il s'agit
d'un cadre qui peut être extrêmement inconfortable et
anxiogène pour eux. L'appréciation du juge risque donc
d'être faussée. Dans ses recommandations, le CGLPL rappelle donc
que le face-à-face en audience « normale » ou foraine est la
règle et que la visioconférence ne doit être que
l'exception.
Loin de faciliter l'exercice des droits de la défense,
la pratique de la visioconférence semble donc plutôt les
réduire. Enfin, le CGLPL précise que cette pratique ne doit en
aucun cas intervenir pour des questions de « simple commodité
» ou pour des raisons d'économie.
Face à ces difficultés organisationnelles, seule
une collaboration accrue entre les différents protagonistes permettra de
dégager des pistes de réflexions et à terme, des solutions
pérennes afin de préserver les droits des malades.
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