PARTIE I - L'influence de l'interventionnisme public sur
la structuration des opérations de capital-risque.
Section 1 : Interventionnisme étatique et
incitativité du paysage juridique, la nécessaire compensation
à l'incertitude de l'investissement.
L'incertitude inhérente aux opérations de
capital-risque tend à restreindre le nombre d'investisseurs potentiels.
Conscient du rôle prépondérant du financement
intermédié en la matière, l'Etat tente de dynamiser le
financement des jeunes sociétés innovantes en créant des
instruments juridiques adaptés aux spécificités et
nécessités du capital-risque (§1) et
bénéficiant d'un régime fiscal attractif (§2).
§1. Incitativité et adéquation des
structures.
La stimulation du financement des entreprises par
l'intermédiaire du capital-risque nécessite la création de
véhicules juridiques adaptés et flexibles. Le paysage juridique
français se caractérise par la diversité des fonds communs
de placement pouvant être utilisés (A) ainsi que par un
renforcement du rôle des structures sociétaires (B).
A. Diversité des types de fonds communs de placement.
1. Un système juridique en quête
d'adaptabilité.
L'étape fondatrice dans l'instauration d'un
système de financement par capital-risque efficient consiste en la
création de structures juridiques d'investissement adaptées aux
besoins des investisseurs et à ceux des entrepreneurs. Le financement
des entreprises à fort potentiel passe en effet par la mise en place
préalable de structures organisées juridiquement et
spécialisées dans l'investissement. L'objet d'une telle
démarche est de créer un environnement juridique permettant
d'orienter les fonds des investisseurs vers le financement des
sociétés innovantes.
Le cadre juridique français s'est progressivement
développé dans cette perspective. Composé initialement de
structures destinées à investir dans des sociétés
non cotées sans distinction relative au potentiel d'innovation de
l'entreprise, ce cadre s'est affiné et revêt désormais un
caractère plus spécialisé, avec des fonds
dédiés au capital-risque, et une dimension plus locale, avec des
fonds destinés au développement régional du
capital-investissement.
Ces instruments divers sont fondés sur un modèle
commun, le fonds commun de placement (FCP). Les FCP sont des structures
originales puisqu'il s'agit de copropriétés de valeurs
mobilières dépourvues de personnalité morale.
Malgré cette absence de personnalité juridique, la loi
confère au fonds la capacité de donner mandat à une
société de gestion, laquelle est soumise au contrôle de
l'AMF et sera notamment chargée d'effectuer les investissements
nécessaires à la constitution du portefeuille du
fonds9. Les fonds levés auprès
9 L'activité de gestion de portefeuille pour le compte
de tiers constitue un service d'investissement au sens de l'article L321-1 du
Code monétaire et financier et nécessite de ce fait
l'agrément de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF).
Dès lors, en tant que prestataire de services d'investissement, la
société,
12
des investisseurs sont pour leur part confiés à
un dépositaire10. Gestionnaire et dépositaire
établissent le règlement du fonds.
Cet organisme de placement collectif en valeurs
mobilières11 (OPCVM) constitue donc la
référence à partir de laquelle furent
élaborés différents dérivés utilisés
pour structurer les opérations de capital-risque : fonds communs de
placement à risque (FCPR), fonds communs de placement dans l'innovation
(FCPI) ou encore fonds d'investissement de proximité (FIP).
Chacun de ces dérivés autonomes, doté
d'un régime fiscal incitatif, est fondé sur une logique
économique sous-jacente.
Créés par la loi du 3 janvier 1983, les FCPR
sont des véhicules destinés aux investissements portant sur des
actions de sociétés non cotées. Ce qui distingue un FCPR
d'un FCP classique est en effet la composition de son portefeuille, l'actif
d'un FCPR devant être constitué pour au moins 50% de titres de
capital ou de valeurs mobilières donnant accès au capital de
sociétés non cotées12. Ces véhicules
sont donc susceptibles d'être utilisés pour l'ensemble des
opérations de capital-investissement, sans se limiter aux
opérations de capital-risque. Cette capacité d'emploi très
générale attire un champ très large d'investisseurs. Les
FCPR représentent les véhicules levant et investissant le plus de
fonds en matière de capital-investissement. Sans être
spécialisés en matière de capital-risque, ces fonds
financent néanmoins également de jeunes sociétés
innovantes à fort potentiel. Une récente étude
menée par Grant Thornton pour le compte de l'AFIC révèle
qu'en 2011, 62% des montants investis dans le cadre du capital-risque le furent
par l'intermédiaire de FCPR13. Même si la quote-part de
ce type d'investissement dans la composition globale du portefeuille du fonds
est faible, les montants investis par les FCPR dans le cadre du capital-risque
sont, en valeur absolue, supérieurs à ceux de fonds plus
spécialisés tels que les FCPI.
Les FCPI furent créés par la loi de finances
pour 1997. Ils constituent à proprement parler les véhicules
d'investissement les plus orientés vers les financements par
capital-risque. Il s'agit d'une catégorie particulière de FCPR,
spécifiquement destinée au financement des sociétés
non cotées présentant un caractère innovant. Les
conditions de composition d'actifs d'un FCPI s'avèrent plus
contraignantes que celles d'un FCPR puisque 60% au moins de l'actif doit
être constitué de titres de sociétés non
cotées dites « innovantes », dont le siège se situe au
sein de l'Espace Economique Européen, soumises à l'impôt
sur les sociétés ou le seraient si elles étaient
établies en France et qui comptent entre 2 et 2000 salariés. Le
caractère innovant s'apprécie au regard de deux critères
alternatifs, un critère relatif aux
quelque soit sa forme sociale , doit agir avec loyauté,
équité, diligence et doit toujours privilégier
l'intérêt de ses clients. (Le capital-investissement, Guide
juridique et fiscal, François-Denis Poitrinal)
10 Quant au dépositaire, il est choisi par la
société de gestion sur une liste établie par le ministre
chargé de l'économie. Il a pour mission la conservation des
actifs du fonds . (Le capital-investissement, Guide juridique et fiscal,
François-Denis Poitrinal)
11 Les OPCVM peuvent prendre la forme d'une
société d'investissement à capital variable (SICAV),
dotée de la personnalité morale, ou encore d'un fonds commun
placement (FCP), qui est une copropriété de valeurs
mobilières.
12 L214-28 CMF.
13 Grant Thornton - AFIC DATA
12
dépenses de recherche14, l'autre relatif
à la création de produits, procédés ou techniques
dont le caractère innovant a été reconnu par
l'OSEO15.
Modèle de structuration.
Appel de fonds
Investisseurs institutionnels .
compagnies d'assurances et mutuelles, banques, caisses de
retraite, entités du secteur public, industriels.
Société de gestion
Agrément AMF nécessaire
OSEO
Mandat permis par la loi
Pacte
d'actionnaires
Label « société innovante »
Dirigeants
(Fonds possibles : FCPR - FCPI - FIP)
Approbation règlement par AMF
Fonds de fonds Personnes physiques
Société innovante
Parts
FCPI
Actions ou VMDAC
Fonds propres
Dépositaire
Versement des
fonds
Magistère de Juriste d'Affaires - DCJE, 2012
Enfin, les FIP, issus de la loi pour l'initiative
économique du 1er août 2003, introduisent une
dimension régionale au financement des
sociétés non cotées. Les FIP sont qualifiés de
FCPR et, malgré des exigences de composition de portefeuille
différentes, demeurent orientés vers le
14 Ces dépenses de recherche sont définies aux a
à g du II de l'article 244 quater B du code général des
impôts et doivent représenter au moins 15 % des charges
fiscalement déductibles au titre de cet exercice ou, pour les
entreprises industrielles, au moins 10 % de ces mêmes charges. L214-30
CMF.
15 Banque publique chargée de sélectionner et
d'apporter une aide financière aux projets de recherche dans les
entreprises innovantes.
14
financement de sociétés non cotées
européennes. Leur actif doit être constitué à 60 %
au moins de titres de sociétés non cotées répondant
à la définition européenne de PME16 et
exerçant leur activité principalement dans une zone
géographique choisie par le fonds et limitée à au plus
quatre régions limitrophes.
Les investisseurs au sein de ces structures
bénéficient d'un régime fiscal spécifique (voir
infra). Surtout, le cadre juridique ainsi créé permet aux
investisseurs potentiels de disposer d'un ensemble de structures variées
présentant un profil d'investissement et un degré de risque
différents. A l'inverse, les entrepreneurs bénéficient de
sources financement organisées pouvant intervenir aux différents
stades d'évolution de leur société.
Cette panoplie de structures juridiques susceptibles
d'intervenir en matière de capital-risque constitue un avantage
comparatif par rapport à d'autres pays dépourvus de
systèmes similaires. Ces structures constituent ainsi la base d'une
organisation des financements de PME, et plus particulièrement des
jeunes sociétés innovantes. Les personnes ou entités
disposant de liquidités bénéficient ainsi d'une option
juridiquement organisée leur permettant de financer de jeunes
sociétés à fort potentiel. Cette étape de
l'interventionnisme étatique constitue l'étape fondatrice d'une
politique de stimulation des financements.
2. Flexibilité croissante des fonds communs de
placement.
Parallèlement à l'émergence des FCPI et
FIP, le FCPR a lui aussi subi d'importantes évolutions destinées
à aboutir sur des versions de FCPR plus flexibles pour les gestionnaires
et les investisseurs.
- Du fonds commun de placement à risque
agréé au fonds commun de placement à risque
allégé.
Par principe, le règlement du FCPR doit être
soumis à l'agrément de l'AMF. Conscient des enjeux
économiques sous-jacents et de la nécessité de fournir un
outil plus efficient aux praticiens, le législateur a, par une loi du 25
juin 1999, créé les FCPR à procédure
allégée. Ces fonds n'ont pas vocation à supplanter les
FCPR agréés mais constituent uniquement une alternative dont la
mise en oeuvre est simplifiée. En effet, ces fonds allégés
ne sont pas soumis à agrément préalable de l'AMF.
L'obligation d'agrément est remplacée par une obligation de
nature déclarative auprès de l'autorité de
contrôle17. La nature du contrôle opéré
est modifiée, le contrôle a posteriori étant
préféré à un contrôle a priori.
L'agrément préalable de l'AMF dans le cadre des
fonds dits agréés a notamment pour objet d'assurer la protection
des investisseurs potentiels du fonds. La suppression de ce contrôle a
priori n'est donc possible, selon le législateur, que si le fonds dit
« allégé » est destiné à des
investisseurs qualifiés18. Il doit être clairement
précisé dans le règlement que seuls les investisseurs
qualifiés ont qualité pour y souscrire.
Le critère de distinction entre ces deux types de fonds
est donc fondé sur la qualité des investisseurs visés.
L'article 411-2 du CMF précise : « Un investisseur
qualifié est une
16 définition des petites et moyennes entreprises
figurant à l'annexe I au règlement (CE) n° 800/2008 de la
Commission du 6 août 2008
17 L214-37 C. mon. fin.
18 L214-38 CMF
1~
personne ou une entité disposant des
compétences et des moyens nécessaires pour appréhender les
risques inhérents aux opérations sur instruments financiers. La
liste des catégories d'investisseurs reconnus comme qualifiés est
fixée par décret ». Cette liste comprend des membres de
droit, à condition qu'ils agissent pour leur propre compte, tels que les
établissements de crédit, l'Etat, les entreprises
d'investissement ou encore les entreprises d'assurances, mais également
des membres pouvant opter pour une telle qualification, à condition de
remplir deux des trois conditions suivantes : effectifs annuels moyens
inférieurs à 250 personnes, total du bilan inférieur
à 43 millions d'euros, chiffre d'affaires inférieur à 50
millions d'euros. Des personnes physiques peuvent également opter pour
cette qualification, sous réserve du respect des conditions
mentionnées à l'article D411-1 CMF19. Les fonds
agréés sont pour leur part destinés à tous les
investisseurs.
Les FCPR à procédure «
allégée » simplifient donc les démarches
nécessaires à une levée de fonds. Cela ne signifie pas
pour autant que le FCPR est exonéré des obligations
légales inhérentes à son statut de FCPR, mais simplement
que le contrôle opéré par l'AMF s'effectuera a posteriori.
Ce changement génère donc potentiellement des gains de temps pour
les levées de fonds effectuées auprès d'investisseurs
qualifiés.
- La contractualisation du fonds commun de placement à
risque.
Dans un contexte international très concurrentiel, le
manque de souplesse des FCPR français s'est révélé
être un frein au développement du capital-investissement
français, notamment face aux limited partnership
anglo-saxons20. Pour pallier cette lacune, le droit français
s'est doté d'un instrument plus flexible : le FCPR contractuel.
Réservé aux investisseurs qualifiés, le
FCPR contractuel est également destiné aux investissements au
sein de sociétés non cotées (ou exposés à un
risque afférent à de tels titres ou parts par le biais
d'instruments financiers à terme), mais offre une plus grande souplesse
aux acteurs économiques. En effet, les contraintes juridiques auxquelles
il demeure soumis sont réduites au profit d'une plus grande
liberté contractuelle. Ainsi, les règles de dispersion des
risques des FCPR agréés et à procédure
allégée ne sont pas applicables, de même que le respect du
quota de 50%. Il n'est pas non plus tenu par les plafonds légaux et
réglementaires en termes d'endettement (d'où la
possibilité de mettre en place des stratégies à fort effet
de levier, ce qui était jusque-là impossible). Cette
prépondérance de l'aspect contractuel confère au
règlement du FCPR contractuel un rôle fondamental, ce dernier
déterminant notamment les règles d'investissement et d'engagement
adoptées par le fonds. Le système de la déclaration
obligatoire a posteriori fut privilégié à celui d'un
agrément préalable du règlement, et ce toujours dans
l'optique de favoriser la souplesse du système.
Autre aspect de cette souplesse ainsi instaurée ; dans
le cadre des FCPR contractuels, la durée de blocage applicable aux
rachats des parts des souscripteurs n'est nullement limitée à
19 Personnes physiques remplissant au moins 2 des 3
critères suivants : détention d'un portefeuille d'instruments
financiers d'une valeur supérieure à 500 000e, réalisation
d'opérations d'un montant supérieur à 600e par
opération sur des instruments financiers, à raison d'au moins 10
par trimestre en moyenne sur les quatre trimestre précédents ;
occupation pendant au moins un an, dans le secteur financier, d'une position
professionnelle exigeant une connaissance de l'investissement en instruments
financiers.
20 « Le capital-investissement, guide juridique et fiscal
» François-Denis Poitrinal, Revue Banque Edition, 2008.
1A
dix ans, durée qui marquait jusqu'ici l'horizon de vie
de tout FCPR. Comme l'ensemble des conditions et modalités de rachat,
cette durée sera librement fixée dans le règlement du
fonds.
En outre, et cela répond à une demande des
professionnels intervenant en matière de fonds de fonds, le FCPR
contractuel aura la possibilité d'investir dans des fonds sous-jacents
français ou étrangers, sans limitation géographique et
sans restriction quant à la nature des actifs sous-jacents
détenus par ces entités.
La souplesse est également de rigueur en matière
de distribution d'actifs, puisque des distributions pourront intervenir
à tout moment pendant la durée de vie du FCPR contractuel. Ainsi,
le règlement du fonds pourrait prévoir qu'une fraction des actifs
soit distribuable avant la fin de la période de souscription initiale ou
avant l'ouverture des périodes de souscription ultérieures. Les
distributions pourront par ailleurs être effectuées en
numéraire ou en titres détenus en portefeuille.
Comme le soulignent les praticiens Bruno Bertrand, F. Moulin
et F.X. Naime : « Le FCPR contractuel bénéficie de la
possibilité d'adopter de nombreuses règles de fonctionnement
dérogatoires au droit commun qui ne connaissent guère d'autres
limites que le respect du principe général
d'égalité des porteurs de parts. Revers de cette liberté,
la société de gestion devra veiller à détailler
scrupuleusement et avec clarté les règles applicables aux
souscriptions, aux investissements et aux distributions d'actifs dans le
règlement du fonds, à défaut de quoi les parties risquent
de se trouver dans une situation de blocage, source éventuelle de
contentieux21 ».
D'un point de vue fiscal en revanche, aucun statut particulier
n'a été prévu. Les personnes physiques demeurent
pleinement imposables au titre de l'impôt sur le revenu sur les
distributions issues du fonds ainsi que sur les plus-values
réalisées, et la solution est similaire s'agissant des
sociétés soumises à l'IS. L'octroi d'une certaine
souplesse à ce véhicule a donc pour conséquence logique de
le faire sortir du champ d'application d'autres véhicules disposant d'un
régime fiscal plus favorable.
Le FCPR permet donc une plus grande liberté d'action.
Néanmoins, ce véhicule semble s'éloigner des
spécificités du capital-risque au point qu'il n'est pas certain
qu'il soit utilisé en ce domaine. En effet, l'intérêt du
FCPR classique est lié aux avantages de nature fiscale qu'il engendre.
Le FCPR contractuel confère certes une grande liberté d'action
mais ne comprend aucun volet incitatif, notamment fiscal, de nature à
favoriser les investissements de capital-risque. Dès lors, il s'imposera
potentiellement comme un instrument modulable en matière de
capital-investissement, mais ne semble pas destiné à une
utilisation similaire à celle d'outils plus spécifiques tel que
le FCPR classique ou, mieux encore, le FCPI. Ce constat n'empêchera
évidemment pas le gestionnaire de procéder à certains
investissements dans des sociétés innovantes, mais probablement
à des seuils très en deçà d'autres véhicules
dédiés.
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