IX.2.3. La proliferation des armes a feu et le regain du
banditisme au lendemain du 15 octobre 1987
Parce que les CDR étaient chargés du maintien de
l'ordre et de la sécurité, le CNR avait mis à leur
disposition beaucoup d'armes. Ceux-ci s'en servaient dans leurs patrouilles
nocturnes pour traquer voleurs et autres ennemis de la révolution. Une
formation militaire leur avait permis de connaître les méthodes
d'usage des différentes armes. La remise des armes aux CDR pour le
maintien de la sécurité populaire avait atteint une certaine
proportion si bien qu'on a pensé à un moment donné que la
puissance de frappe des CDR dépassait celle des militaires classiques.
De nombreuses personnes furent initiées dûment au maniement de
véritables instruments de guerre.
A l'occasion de la guerre de Noël, de nombreux militants
militairement formés furent appelés sous les drapeaux. Le recours
aux structures populaires pour la
606 Richard BENEGAS, 1993, Insoumissions populaires et
révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, page 127.
607 Ibidem.
608 Abbé Patrice KABORE, 1999,
Révolution burkinabé d'Août et pratiques religieuses,
impact et perspectives pastorales pour l'Archidiocèse de
Ouagadougou, mémoire de théologie, Grand Séminaire
Saint Pierre Claver de Koumi, page 23.
609 Richard BENEGAS, op cit, page 130.
205 défense de la patrie déterminait une
définition claire de la base militaire populaire que le pouvoir croyait
en ses relais politiques. De ce fait, il est facile de comprendre pourquoi le
CNR n'hésitait pas à leur attribuer beaucoup d'armes et de
surcroît sophistiquées.
Mais, il y'avait un problème de contrôle de
toutes ces armes mises en circulation dans les rangs des CDR. Ceci
étant, il en résultait des dispersions voire des pertes. Avec le
choc émotionnel du 15 octobre 1987, la démobilisation
était totale. Certains éléments militairement
formés dispersés dans les secteurs avec leurs armes
hésitaient entre démission et vengeance.610 D'autres
optèrent pour la fuite à l'étranger. Le désarroi et
la léthargie avaient significativement gagné les rangs des
CDR.
Désarçonnés par l'assassinat de leur
idole - premier militant CDR, tribun loquace de la révolution aux yeux
des masses populaires - SANKARA incarnait aussi bien la révolution que
les CDR. Sa fin tragique signifiait tout naturellement pour certains
l'extinction de la révolution et le démantèlement des CDR.
La vie à l'intérieur de la ville de Ouagadougou est notablement
désorganisée.
Avec la disparition des patrouilles armées des CDR, le
banditisme fit sa rentrée en fanfare.611 « Le
desarroi prevaut dans les peripheries en _~vrier 1988, tandis que dans le
centre-ville, la petite delinquance connaft une brutale recrudescence attribuee
par de nombreux Ouagalais a d'anciens CDR que la trop rapide destruction de
leurs cadres d'organisation livre sans alternative a la rue
».612
A la fin du mois de juin 1988, des bandits armés
avaient dévalisé un commerçant, emportant avec eux une
somme de 6 millions de francs CFA.613 Pour des gens, notamment les
opposants du CNR, de tels actes n'étaient imputables qu'aux CDR. Mais,
quand les malfrats furent arrêtés, ils déclarèrent
qu'ils avaient reçu les armes de la part de militaires
complices.614 « Du temps des CDR, il y'avait une certaine
securite ».615
On aime facilement jeter l'anathème sur les CDR
lorsqu'il est question d'évoquer la recrudescence du banditisme dans
l'après-15 octobre 1987. On ne peut certainement pas nier que des
anciens militants possédant des armes avaient fait des glissements ayant
favorisé le retour au printemps du fléau.
Cependant, faire assumer cette responsabilité aux CDR
seulement parait erroné. A ce titre, il faut dire que les auteurs du
coup d'Etat du 15 octobre 1987
610 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée
à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris,
Karthala, page 271.
611 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la
révolution, Paris, EPO International, page 250.
612 Sylvy JAGLIN, 1995, op cit, page 271.
613 Ludo MARTENS, 1989, op cit, page 255.
614 Ibidem.
615 Ibidem.
206 endossaient plus cette responsabilité par le fait
d'avoir créé un climat de désorganisation et de laxisme en
démettant les CDR de leur rôle de garant de la
sécurité publique : « Du moment oft les armes de la
sécurité populaire ont été retirées ; il est
évident que cette sécurité devenait aléatoire. Par
conséquent, le banditisme pouvait recommencer. Dire qu'apres le 15
octobre 1987 il y a eu regain de banditisme, c'est une vérité de
la Palice ».616
Tout bien considéré, les conséquences de
la politique sociale du CNR montrent que les CDR ont été des
facteurs de changements sociologiques portés par un désir
autogestionnaire. Il y a lieu de reconnaître au-delà des limites
de leurs actions et des résistances, que ceux-ci ont réussi
jusqu'à une certaine mesure, une mutation des consciences ayant
solutionné de nombreux fléaux dans la société. On
peut donc dire que la société à laquelle le CNR aspirait
était en phase de construction. Avec les événements du 15
octobre 1987, cet élan avait marqué le pas.
Le bilan politique et socio-économique des CDR au sein
du CNR conjugue succès et échecs en même temps. Si leur
illustration sur la scène purement politique a été des
causes de divergences et de règlements de comptes, la dynamique
socio-économique dans laquelle ils ont réussi à lancer le
Burkina Faso constitue une expérience prodigieuse, objective qu'il faut
saluer. Ils ont été les catalyseurs d'un réveil de
conscience ayant permis un auto-développement qui fait parler de
l'exception burkinabé.
616 Achille TAPSOBA : entretien du 27 Juillet 2005
à l'Assemblée nationale.
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