IX.2.2. L'hostilité des milieux traditionnels et
religieux
On n'ignore pas l'inimitié que le CNR avait nourrie
contre le pouvoir traditionnel, désigné comme ennemi
numéro un au début de la révolution. Les attaques
enflammées du CNR à l'encontre des circuits décisionnels
traditionnels dont les CDR faisaient le relais et la liquidation
systématique de leurs avantages économiques provoquèrent
une hostilité de ceux-ci et de leur entourage qui, en fin de compte,
n'étaient pas pour faciliter la politique du premier.
Quoiqu'on dise, l'influence des autorités
traditionnelles malgré le bellicisme du pouvoir révolutionnaire
à leur endroit restait éclatante sur des populations
auprès desquelles elles représentaient beaucoup de symboles. Une
politique plus conciliatrice à leur endroit pouvait éviter cette
opposition et augmenter les bases de représentation du pouvoir au sein
des masses. En tant qu'incarnation des valeurs culturelles dans les
sociétés, ces autorités pouvaient apporter un plus au
processus de valorisation culturelle dans lequel le CNR s'était
investi.
Leur mise à l'écart détermina dès
les premiers moments un poste de résistance occulte contre le CNR. En
effet, nombreux de ceux qui étaient menacés ou
disqualifiés par la révolution avaient recours à leurs
pouvoirs mystico-religieux pour avoir une certaine protection. « De
hauts-fonctionnaires ou hommes politiques prennent d'assaut les villages pour
confier leurs personnes, leurs familles, leurs travaux aux fétiches.
C'est aussi la période oft l'on éprouve la
nécessité de porter au cou ou a la ceinture une amulette
protectrice ou peut-être de rechercher des moyens subtils pour
éliminer ses ennemis. Somme toute, la religion traditionnelle semblait
etre le lieu oft beaucoup pouvaient trouver un système de défense
et d'attaques ».603
Ce fut la même dynamique avec les milieux religieux
chrétiens et musulmans. A ce propos, Richard BENEGAS parle d'une «
insubordination symbolique dans la religiosité ».604 Ce
fut « l'explosion de la religiosité populaire :
résurgence islamique, essor de la piété chrétienne
et recrudescence de la sorcellerie semblent aller de pair avec
l'approfondissement du processus révolutionnaire
».605
Au niveau des églises catholiques et protestantes, en
sus des responsables qui critiquaient la politique du CNR, des groupes de
prières dits charismatiques s'étaient formés. Les
énoncés religieux de ces mouvements charismatiques paraissaient
d'abord exprimer une contestation du pouvoir car la plupart des participants
étaient
603 Abbé Patrice KABORE, 1999,
Révolution burkinabé d'Août et pratiques religieuses,
impact et perspectives pastorales pour l'Archidiocèse de
Ouagadougou, mémoire de théologie, Grand Séminaire
Saint Pierre Claver de Koumi, pages 22 et23.
604 Richard BENEGAS, 1993, Insoumissions populaires et
révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, page 125.
605 Ibidem.
204 ceux dont le pouvoir se méfiait et qui avait le
plus raison de le contester.606 On y trouvait facilement les
victimes des épurations initiées par le pouvoir :
licenciés, suspendus... Les témoignages étaient
généralement axés sur les déboires personnels
causés le plus souvent par le pouvoir. « Ainsi, le renouveau
charismatique revetait une dimension objectivement protestataire dans la mesure
oft il articulait et exprimait les frustrations. 1l fut « un mode
d'énonciation politique des oppositions a la RDP dans le langage
polysémique de la foi ».607
Au niveau des musulmans, la pratique religieuse connut une
certaine vigueur si bien qu'on parla de réveil islamique : « La
conversion a une vie de foi plus profonde et le retour a la pratique du culte
s'operent de plus en plus ».608 Cette résurgence de
l'islam cernait dans le fond une résistance politique au projet
révolutionnaire : « Le bouillonnement islamique traduit [...]
une volonté de la part de la communauté musulmane de se
ménager des spheres d'autonomie face aux velléités
étatiques. Développer des modes de sociabilité
particuliers est une façon d'échapper aux structures de
mobilisation officielles, de se protéger du contrôle serré
d'un pouvoir de plus en plus intimiste ».609
Dans la mesure où le CNR utilisa les CDR pour maintenir
ces sphères sous son cap, l'affirmation de cette dissection religieuse
vis-à-vis de la logique révolutionnaire commentait un
échec pour les défenseurs de la révolution.
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