IX.2. Les limites : egarementsp glissements et
resistances sociales
Toute la pratique des CDR n'avait pas rimé avec
réussite. Effectivement, à côté des acquis reconnus
dans leurs rapports avec les masses, la reconnaissance des égarements et
excès est une vérité qu'il ne faut point réfuter.
Il faut voir en ces actions déviantes, des revers sociaux qui ont
souvent valu à la révolution une connotation négative dans
certains milieux.
Notre analyse se consacre ici à trois exemples
d'échecs sociaux qui somme toute avaient alimenté la
désaffection de la population vis-à-vis du pouvoir de
façon générale : premièrement les abus et la
crispation de la population, l'hostilité des milieux traditionnels et
religieux et enfin la prolifération des armes à feu et le regain
du banditisme après le 15 octobre 1887.
599 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les
années sankara, Paris, L'Harmattan, page 188.
IX.2.1. Abus et crispation de la population : la
demobilisation
Le glissement de l'action des CDR vers l'arbitraire et le
coercitif, conjugué à des attitudes notoirement abusives, a
souvent causé le ternissement de leur profil sociologique. Nos
investigations nous ont offert l'occasion de découvrir
véritablement des cas de vols, de viols, de brimades diverses auxquels
des militants CDR mal intentionnés s'étaient livrés. Ces
situations décevantes que le pouvoir avait d'ailleurs reconnues
contribuèrent à l'animation d'un contexte de psychose au niveau
de la population.600 « Le pouvoir politique est
utilisé a ce niveau pour des calculs : il y a des mauvais
éléments... Ces néo-féodaux [...] sont dans nos
rangs... Ils s'installent dans les secteurs, dans les villages, dans les
provinces en véritables potentats et puis ils sont tr.s dangereux - dans
leur facon de faire - régnant et sévissant a la maniere des
seigneurs de guerre, ils sont fascistes. Certains CDR ont fait des choses
exécrables, indicibles... ».601
De telles bévues ne pouvaient pas manquer de provoquer
un choc négatif au niveau de la population, un choc démobilisant
qui avait entamé la corrosion des bases de popularité des
structures. La ferveur populaire remarquable au début de la
révolution allait connaître une évolution en
decrescendo. En juillet 1986, malgré l'autocritique de la
première conférence des CDR qui avait appelé au
ressaisissement, le haut-commissaire du Kadiogo, le Sergent Alain ILBOUDO,
reconnaissait la persistance du flux de la démobilisation.602
Ce qui démontrait bien l'incapacité dans laquelle les CDR se
trouvaient pour juguler la perte de leur aptitude de séduction
vis-à-vis d'une population qui refusait de lâcher prise sur un
certain nombre d'excès dont elle était victime.
Avec l'éclatement de la crise politique au sein du CNR,
la démobilisation continua son chemin. Au sein même des CDR,
nombreux furent surpris par les différentes sortes de contradictions
entre les leaders qu'ils ne comprenaient plus, et se laissèrent gagner
par la démotivation.
La prestesse dans laquelle les projets révolutionnaires
furent réalisés avait nécessité chaque fois un
apport maximum de la population qui s'était vite lassée. Tout
cela favorisait davantage cette démobilisation. Cet amollissement de la
sympathie populaire constituait un échec social qui remettait en cause
la constance et la fluidité de la communication entre le pouvoir et la
population.
600 Voir le rapport de la 1er conférence des
CDR à la page 137.
601 Thomas SANKARA, discours de clôture de la
1ere conférence des CDR, voir le document à la page 155.
602 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la
révolution, Paris, EPO International, page104.
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