IX.1.4. La creation d'emplois et la reduction du
chômage
Lorsque l'on confine son observation sur les licenciements
effectués entre 1983 et 1987, l'on est facilement enclin à une
déduction selon laquelle la logique révolutionnaire n'a rien fait
pour déchoir le phénomène socio-économique du
chômage.
Un statisme analytique a amené certaines personnes
à affirmer que le fléau avait même connu sa pire
aggravation sous le CNR.
Certes, il est incontestable que la dynamique austère
dans laquelle le CNR exerçait sa politique avait conduit de nombreux
fonctionnaires au chômage par l'entremise des licenciements
incités par les CDR. Mais, doit-on limiter l'analyse lorsqu'on parle de
chômage à l'administration ou à la fonction publique de
façon globale ? Est-ce que c'est la majorité des Burkinabé
qui était employée dans cette fonction publique ?
La distillation d'une analyse objective sur la question
commande que l'on ne particularise pas, puisque l'Etat ne gère pas que
des fonctionnaires ; en plus, être travailleur, ce n'est pas seulement
être fonctionnaire.
De ce point de vue, les thèses qui soutiennent
l'amplification du fléau professent plus d'exagération que
d'authenticité, car la réalité est que le CNR a
travaillé dans le sens d'une résorption du problème. Pour
s'en convaincre, il faut se référer d'abord à la
libération des consciences que le CNR avait réussie. En effet, le
problème qui se posait avant la révolution était que les
gens se laissaient aliéner par un sentiment de dépendance ; ils
attendaient que les opportunités viennent de l'extérieur à
l'état mûr ou de façon surfaite. Pour d'autres, il fallait
attendre bonnement une intégration dans la fonction publique pour sortir
de l'ornière. Une troisième catégorie de personnes
imaginait que le bonheur ne se trouvait qu'au-delà des confins du pays,
d'où leur exode massif vers les pays voisins, notamment la
Côte-d'Ivoire.
589 Pascal ZAGRE, 1989, Les politiques
économiques du Burkina Faso : une tradition d'autoajustement
structurel, Paris, Karthala, page 158.
590 Ibidem.
Le CNR oeuvra à la déchéance de ces
idées et mentalités, en inculquant dans la conscience de la
population que c'était à elle-même de poser les jalons de
son développement, en faisant comprendre aux jeunes qu'ils pouvaient
améliorer leur train de vie en s'investissant dans leurs propres
terroirs et que la fonction publique n'était pas le seul domaine pour
s'assurer une vie économique stable.
Grâce à cette nouvelle approche, plusieurs
personnes au niveau des collectivités rurales s'investirent dans le
secteur agropastoral. Par exemple, la mise en valeur de 39790 hectares
irrigables au Sourou ouvrit l'opportunité d'investir dans la production
agricole à plusieurs individus. « En fin de parcours, le Sourou
livrera 240 000 tonnes de céréales soit 21,8% de la
récolte moyenne de 1979 a 1985 ».591 Il y a
également la réalisation du barrage hydro électrique de la
Kompienga avec un lac artificiel de 210 Km2 permettant l'irrigation
de 2000 hectares592 dans lesquels des producteurs agricoles
s'étaient investis. Les travaux de réalisation et l'assistance
technique avaient généré déjà un certain
nombre d'emplois. La réalisation de ces barrages dans le cadre du PPD et
la vulgarisation des techniques d'irrigation favorisèrent
l'investissement dans le secteur agricole. Ainsi, malgré une
pluviométrie relativement précaire dans son ensemble, le Burkina
Faso enregistra une croissance agricole de l'ordre de 6,4% entre 1983 et 1988
et selon un classement de la Banque mondiale, il occupait le
2ème rang africain après le Maroc.593
Notons que ce dynamisme agricole insufflé par le CNR en même temps
qu'il marquait des retombées économiques heureuses pour les
producteurs résolvait un tant soit peu la problématique de l'auto
suffisance alimentaire qui se posait crucialement dans la période
d'avant 1983. Une expérience qui a prouvé que le pays n'a pas
besoin d'une dépendance étrangère pour solutionner la faim
de sa population. La volonté politique peut amener cette dernière
à promouvoir par ses propres efforts son autonomie alimentaire. Bref,
l'ensemble des différents programmes populaires initiés a
donné des emplois, ce qui a sans doute amenuisé le
chômage.
Même le secteur informel avait connu un rayonnement
jamais atteint. « La révolution, qui a transformé le
pays en chantier a tous les niveaux, a provoqué un choc
libérateur dans les circuits du secteur informel. L'Etat a ouvert des
voies et créé des conditions socio-économiques
propices ».594 L'ouverture d'antennes commerciales par les
CDR en collaboration avec Faso Yaar, l'aménagement d'auberges
ou de buvettes595
591 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la
révolution, Paris, EPO International, page 166.
592 Idem, page 167.
593 Basile GUISSOU, 1989, Burkina Faso : un espoir
en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 130.
594 Idem, page 139.
595 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine
partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries,
Paris, Karthala, page 337.
200 vitalisaient ce secteur. Certains secteurs comme le 19, le
17 et le 30 avaient obtenus leurs marchés grâce à
l'investissement des CDR.596
Au regard de tous ces constats, que dire des
allégations qui dénient l'effort du CNR pour la diminution du
chômage en brandissant les licenciements opérés ? «
Les licenciements des instituteurs dont on parle, c'est un millier de
personnes, plus un autre millier du aux sanctions révolutionnaires. ll
ne faut pas exagérer. Ce n'est pas impressionnant. Qu'est-ce que cela
représente par rapport au nombre de chomeurs qui était
déjà sur le terrain ? Peut-être 2 ou 3%. Le fait d'avoir
licencié des gens ne peut pas constituer a contrario un mouvement
d'exagération du taux de l'augmentation du chomage. lême ceux qui
ont été licenciés se sont reconvertis dans d'autres
initiatives pour assurer leur survie. Certes, les licenciements ont
renvoyé beaucoup de gens, mais les fonctionnaires représentent
combien pour cent de la population ? ».597
L'évidence du reflux du chômage entre 1983 et 1987 est une
réalité qui s'impose.
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