VIII. 2.3. La peur de l'investissement et le retard de
l'entreprise privee
La politique économique du CNR n'avait pas
suscité l'enthousiasme du secteur privé. Ce
désenchantement entraîna le recul des investissements
privés.
Pourtant malgré une hostilité implacable
affichée contre les commerçants véreux et la bourgeoisie
réactionnaire, le CNR avait garanti des possibilités au
privé pour l'investissement. Le DOP déclarait que tout en
étant une révolution antiimpérialiste, la RDP s'effectuait
encore dans le cadre et les limites du régime
570 Pascal ZAGRE, 1994, Les politiques économiques du
Burkina Faso : une tradition d'autoajustement structurel, Paris, Karthala,
page 174.
571 Pierre ENGLEBERT, 1986, La révolution
burkinabè, Paris, L'Harmattan, page 161.
572 Ibidem.
193 économique bourgeois.573 Par
conséquent, « le probleme de nationalisation et de transfert
des bénéfices est un faux probleme appartenant a la rumeur. Ceux
qui pensent aux nationalisations sont pratiquement des reveurs
».574
Lors du premier symposium national sur l'entreprise
burkinabé tenu du 27 au 30 juin 1985, le pouvoir avait reconnu
l'initiative privée comme une force motrice du développement,
jouant un rôle très important dans l'économie nationale :
« Le progres d'un pays comme le notre est inséparable de
l'accroissement du secteur privé ».575
Dans cette perspective, le pouvoir avait
rétrocédé certaines entreprises publiques en
difficulté au moment de l'avènement de la révolution
à des privés. Ce fut le cas par exemple du centre de tannage, la
Société Burkinabé de Manufacture du Cuir
(SBMC).576 Ces opérations s'inscrivaient dans la dynamique
d'une restructuration des sociétés, engagée par le
Ministère de la promotion économique.
Juridiquement, cette restructuration distinguait trois
catégories de sociétés : les Sociétés
d'Etat, les Sociétés d'Economie Mixte et les Etablissements
Publics.577 Les Sociétés d'Etat et les Etablissements
Publics constituaient des propriétés exclusives de l'Etat. Mais,
quant aux Sociétés d'Economie Mixte, la responsabilité de
l'Etat se limitait seulement à une simple participation vraiment
minoritaire ; la majorité des parts revenait aux investisseurs
privés.
Ainsi, c'était à travers ces
sociétés dites d'économie mixte que le pouvoir invita
surtout les privés à s'investir. La résurrection de la
zone industrielle de Kossodo, véritable cimetière d'usines au
moment du déclenchement de la RDP était de faciliter cet
investissement privé. Deux milliards de francs CFA avaient
été investis entre 1985 et 1987 pour faire revivre cette zone
industrielle.578
Cependant, malgré tout cet acharnement, la
méfiance des opérateurs économiques resta visible.
Nombreux s'abstinrent d'investir dans la conjoncture économique mise en
place par le CNR.579 Certains entrepreneurs, des commerçants
en particulier, ont eu effectivement peur de la révolution et ont alors
procédé à la thésaurisation ou à
l'exportation de leurs capitaux vers d'autres pays : « Il y en a
des
573 CNR, 1983, DOP, pages 19 et 20.
574 Henri ZONGO, ministre de la promotion
économique, cité par Ferdinand DABIRE, « Premier
symposium national sur l'entreprise burkinabé : sortir notre entreprise
de l'ornière » in CARREFOUR AFRICAIN N°883 du 26
juillet 1985, page 11.
575 Ferdinand DABIRE, « Premier symposium
national sur l'entreprise burkinabé : sortir notre entreprise
de l'ornière » in CARREFOUR AFRICAIN N°893 du 26
juillet 1986, page 11.
576 Ibidem.
577 Pascal ZAGRE, 1994, Les politiques
économiques du Burkina Faso : une tradition d'autoajustement
structurel, Paris, Karthala, page 150.
578 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la
révolution, Paris, EPO International, page 188.
579 INTERNATIONAL IDEA, 1996, La démocratie
au Burkina Faso, page 22.
194 qu'ils entendent que la révolution est
déclenchée, plient bagages pour d'autres horizons
».580
L'exégèse de la persistance de cette
réticence malgré l'assurance du pouvoir résidait sans
doute dans la volonté d'ingérence de celui-ci dans le
fonctionnement et la gestion des différentes entreprises. L'obligation
faite à ces dernières d'admettre les CDR dans les conseils
d'administration et de tenir compte de leurs avis milita en faveur de cette
perplexité entre pouvoir et hommes d'affaires. La rhétorique
révolutionnaire à leur endroit, faite de pamphlets excessivement
provocants chantés quotidiennement par les CDR concourut à ce
déficit de foi entre les deux camps. Rappelons que la « bourgeoisie
commerçante » avait été considérée
comme faisant partie des premiers ennemis de la révolution par le DOP :
« La suppression de la domination impérialiste signifie pour
elle la mort de la poule aux ceufs d'or. C'est pourquoi elle
s'opposera de toutes ses forces a la présente révolution
».581 Enfin, l'élimination des titres fonciers à
travers la RAF et la politique du logement ont créé certainement
une sorte d'insécurité foncière ayant
découragé l'investissement privé. L'Etat
révolutionnaire restait pratiquement le seul animateur du système
économique dans lequel il avait engagé le pays.
Les CDR ont été des outils de premier plan dans
la politique économique du CNR. Leur utilisation dans le projet
d'autonomisation de l'économie nationale semble souvent aux yeux de
certains individus ne laisser que le souvenir amer d'une intrusion
agrémentée de toutes sortes de dérives et de
déviations. Pourtant, le bilan de cette politique économique pris
dans sa globalité constitue une réalité concluante. Du
reste, ce fut l'illustration originale d'une politique économique
définie par un sursaut d'orgueil national et reposé sur un
pragmatisme par rapport aux ressources du pays. Ce qui avait fait du Burkina
Faso un pays d'exception en Afrique.
580 Hamado WANGRAWA, « Le Président
aux opérateurs économiques : les domaines sont vastes oft vous
pouvez investir » in CARREFOUR AFRICAIN N° 893 du 26
juillet 1985, page 14.
581 CNR, 1983, DOP, page 16.
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