VIII.2.2. Les suspensions et les licenciements
arbitraires
Les sanctions ont constitué une pédagogie
révolutionnaire largement développée entre 1983 et 1987.
Il était donc normal de punir, punir pour responsabiliser, punir pour
dissuader, punir pour défendre la révolution en un mot. Ainsi, le
CNR développa plusieurs types de sanctions. Il y avait non seulement les
sanctions corporelles que nous avions déjà
évoquées, mais aussi les sanctions administratives ou
professionnelles que beaucoup de fonctionnaires avaient subies dans les
services.
Les CDR ont été les centres décisionnels
par excellence de ces châtiments au nom de la défense de la
révolution. Selon l'entendement du CNR, il était question de
débarrasser l'administration des fonctionnaires pourris ou véreux
qui usaient d'actions spéculatives pour s'enrichir illicitement ; il
s'agissait encore d'exclure les médiocres, les laxistes, les
retardataires patentés..., en un mot, tous ceux-là qui
discréditaient la révolution par des mauvais comportements.
C'est vrai que l'option de cette démarche de rigueur
sur fond de coercition a beaucoup épousseté les services des
agissements corrupteurs et contribué à l'amélioration du
service. Mais, le revers de la médaille est qu'elle a été
un champ fertile de dérive, de démesure et d'arbitraire avec un
mépris prononcé des droits les plus élémentaires
des individus. La possibilité d'être suspendu ou licencié
sur simple accusation de « paroles subversives », de «
paresse », de « révolutionnaire douteux
» ou de
568 Pascal ZAGRE, 1994, Les politiques
économiques du Burkina Faso : une tradition d'autoajustement
structurel, Paris, Karthala, page 175.
569Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la
révolution, Paris, EPO International, page 218.
« réactionnaire » était
monnaie courante. On assistait permanemment à des 0' sanctions
arbitraires et dégagements intempestifs de fonctionnaires dont la seule
faute était d'avoir une opinion nuancée sur certains problemes de
l'heure ».570 Donc émettre la moindre
réserve ou critique à l'endroit des CDR dans certains services,
c'était s'exposer non seulement à des épigrammes
politiques et phraséologiques très blessantes, mais encore, pire,
c'était s'attirer une quantité de conséquences nuisibles
dans son vécu quotidien : affectations administratives fantaisistes
brisant même quelquefois à dessein l'unité des familles,
suspensions et licenciements avec leur corollaire néfaste de
chômage et difficultés financières.
Cette capacité de nuisance des CDR créait dans
les services un véritable climat de psychose. En tout état de
cause, les fonctionnaires attendaient « le conseil des ministres
hebdomadaire du mercredi pour savoir s'ils conservaient ou non leur poste et se
mettre en conséquence au travail. C'était la `semaine du
mercredi' le lundi et le mardi étant passés dans l'angoisse d'une
éventuelle décision fatale ».571
Après chaque conseil, la presse gouvernementale diffusait les
identités des suspendus ou des dégagés. En 1986, sans
prise en compte du licenciement des grévistes du SNEAHV, le nombre de
fonctionnaires dégagés était estimé à plus
d'un millier. Si de tels licenciements avaient permis en vérité
de se débarrasser d'agents manifestement antithétiques au
régime, de purifier l'administration, il faut dire qu'ils ont parfois
été à l'origine d'une atmosphère de
crispation572 n'ayant pas toujours favorisé l'application des
travailleurs dans leurs services.
Les suspensions et les licenciements provoqués par les
CDR ont pris part considérablement au processus de désaffection
d'une partie de la population vis-à-vis du régime. Une
capitulation qui tout en remettant en cause leur vraie légitimité
avait alimenté les causes des évènements du 15 octobre
1987.
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