VIII.2. Les limites de l'auto-ajustement
révolutionnaire
On ne peut pas limiter l'analyse de la politique
économique du CNR aux seuls constats des performances
réalisées. L'ampleur des projets entrepris et la fougue dans
laquelle l'investissement populaire a été exigé pour leur
réalisation ne pouvaient pas épargner cette détermination
économique de défaillances et d'égarements.
Nous proposons dans cette partie de notre analyse trois
exemples de limites à ce propos : d'abord le déclin du pouvoir
d'achat des fonctionnaires, ensuite les suspensions et licenciements
arbitraires, enfin l'abstention du privé dans les investissements.
VIII.2.1. La baisse du pouvoir d'achat des
fonctionnaires
La politique d'austérité et d'ascétisme
économique développée par le CNR fut une pilule
amère pour bon nombre de fonctionnaires qui très vite nourrirent
une hostilité vis-à-vis du régime.
Dans la volonté d'augmenter les recettes de l'Etat et
de diminuer les dépenses de fonctionnement au bénéfice de
l'investissement dans les différents programmes initiés et dans
le souci de boucher les creux causés par le refus des mannes
financières étrangères, le CNR eut recours à des
dispositions qui lui avaient valu finalement une impopularité chez les
salariés sur le plan politique. En effet, l'invitation sous forme de
pression à une vie économique pointée par
l'ascétisme avait trouvé le désaveu de fonctionnaires non
contents de l'amputation de leur marge financière causée par les
dites mesures.
Il faut dire effectivement que si l'institution de l'EPI
prélevé sur les salaires à raison de 5 à 12 %,
l'augmentation de l'IUTS (Impôts Uniquement sur les Traitements et les
Salaires), la diminution de l'âge de la retraite, la diminution ou
l'annulation des indemnités et l'instauration d'une gestion
centralisée très pointilleuse avaient permis à l'Etat
d'engranger des recettes importantes, elles avaient sérieusement
laminé les capacités d'achat des fonctionnaires. D'après
Pascal LABAZEE, le pouvoir d'achat des travailleurs urbains avait
décliné de 20 à 30 % en 1984. Les
prélèvements ayant été reconduits l'année
suivante, chaque fonctionnaire dût alors sacrifier un mois ou un
demi-mois de salaire au bénéficie de l'Etat.566 Ainsi,
l'enthousiasme témoigné de la part de ces derniers
vis-à-vis du régime avait mué en une
antipathie567 dont le mouvement syndical s'était servi contre
celui-ci.
566 Pascal LABAZEE, 1988, Entreprises et
entrepreneurs au Burkina Faso, Paris, Karthala, page 224.
567 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les
années sankara, Paris, L'Harmattan, page 148.
Même en dehors du camp du fonctionnariat, le
harcèlement de personnes par des CDR exigeant le paiement des
différentes cotisations dans les secteurs provoquait une certaine
lassitude de celles-ci parce que réduisant leur capacité
boursière. On peut évoquer pour ce compte la gratuité du
logement déclarée au cours de l'année 1985 qui avait
véritablement dégrossi la capacité financière de
bon nombre d'individus. Une des raisons de cette mesure était de
sanctionner les comportements spéculatifs et frauduleux de certains
propriétaires. Mais, « elle a notamment pénalisé
les honnêtes gens et tous ceux qui s'étaient honorablement
constitués par ce moyen un revenu de retraite ».568
On estime à environ neuf milliards l'argent
récupéré par la DPL dans le cadre de cette
opération. On n'avait pourtant pas su où était partie
cette somme colossale,569 preuve qui dénotait la
porosité de la gestion financière de certaines institutions
dévolues aux CDR au grand dam de l'éthique révolutionnaire
au nom de laquelle elles s'exerçaient.
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