VIII.1.2. La renaissance urbaine
Nous avions évoqué plus haut le rôle de
premier ordre que le CNR avait amené les CDR à jouer dans sa
politique de logement. Grâce à ces efforts consentis, on a
assisté à un véritable essor urbain sans
précédent dans les principaux sites administratifs du pays. Le
cas de Ouagadougou est le plus parlant.
Le Ouagadougou prérévolutionnaire ressemblait
à un bourg disposant à son centre d'un îlot de quelques
immeubles, la plupart occupée par l'administration. Les
périphéries étaient des lieux d'installations anarchiques
de maisons faites en terre battue. C'était le domaine de l'habitat
spontané dépourvu d'électricité et d'eau courante,
marqué par l'enchevêtrement de milles chemins tortueux. Dans ces
zones de fortune, point d'infrastructures sanitaires, point d'écoles
pour les habitants. C'était donc une situation de
précarité totale que ces derniers subissaient.
Avec l'avènement de la révolution, ce fut une
véritable métamorphose de la ville qui allait désormais
s'effectuer. Sur ce fait, Bruno JAFFRE déclarait après les
évènements du 15 octobre 1987 : « Quiconque a
séjourné O. Ouagadougou avant le 04 aout 1983 n'en reviendrait
pas. Lors de mon premier séjour en juillet 1982, je me souviens n'y
avoir remarqué qu'un seul feu rouge. Depuis la ville s'est embellie,
organisée, la circulation grandement améliorée par la
multiplication des feux et la réfection des avenues
».555
En effet, entre 1983 et 1987, le régime
révolutionnaire avait fait montre d'une grande volonté politique
en matière d'urbanisation, une volonté qui avait fait
défaut dans les programmes urbains des régimes
précédents. La création des services d'urbanisation
(DGUTC, SDAU, SOCOGIB, BPH, DPL...) munis de budgets spécifiques
551 Roger Bila KABORE, 2002, Histoire politique du
Burkina Faso : 1919 - 2000, Paris, L'Harmattan, page 185.
552 L'INTRUS N°0035 du 20 février
1987 : « Lutte contre la corruption, l'exemple », pages
3 et 5.
553 Augustin LOADA, 1993, Les politiques de
modernisation administrative au Burkina Faso, mémoire de DEA en
Sciences politiques, Paris, Université de Bordeaux, page 101.
554 Achille TAPSOBA : entretien du 27 juillet 2005
à l'Assemblée nationale.
555 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les
années sankara, Paris, L'Harmattan, page 134.
186 avait facilité l'exécution de programmes
ayant admirablement changé la ville de Ouagadougou. Avec cette logique,
le CNR procéda à un allègement de la procédure
d'approbation des plans d'aménagement, de l'urbanisation et de l'habitat
et décentralisa les services techniques chargés de
l'aménagement urbain.556 Toutes ces innovations avaient
été réalisées grâce à la contribution
des CDR dont l'action avait consisté à la supervision et à
l'exécution des différentes opérations et plans
proposés par les services techniques. Ainsi, les CDR sont
sollicités pour l'alimentation des statistiques descriptives sociales
relatives au processus d'aménagement et d'urbanisation. Ce fut pourquoi
les différentes opérations de recensement et de parcellisation et
d'attribution leur avaient été dévolues.
Mais, cette implication directe des CDR avait eu finalement
comme incidence le délaissement des techniciens : « Aux
techniciens qu'il pense trop éloignés des citadins, le pouvoir
révolutionnaire préfère les CDR, bien implantés
dans les secteurs ».557 Effectivement, CARREFOUR
AFRICAIN déclarait à ce sujet : « La
révolution d'aoilt dispose a travers les CDR d'instruments efficaces
pour entreprendre ce vaste travail en collaboration avec les services
compétents des ministeres intéressés : la division de nos
agglomérations en secteurs [...] offre une base de départ pour ce
travail ... ».558
Suite aux différents aménagements obtenus par le
concours des CDR, on a assisté à une véritable
levée de diverses infrastructures qui rénovèrent les
différentes villes du pays notamment la ville de Ouagadougou. Le
discours révolutionnaire aidant, les citadins trouvèrent la
nécessité de construire et d'embellir leurs villes dans
l'intérêt général, car un environnement
amélioré et assaini est un bien contribuant à la
santé et au bien-être de tous. Dès lors, avec la
simplification des coûts et des procédures, les citadins se
lancèrent dans l'édification de logements modernes.
Concomitamment, le pouvoir développa un programme de construction de
cités : les cités du 04 août (500 logements)
réalisées dans 23 provinces dans un délai de 15 mois, les
cités An II construites à Ouagadougou(ensemble 138 villas au
secteur 6) et à Bobo Dioulasso (50 villas), les cités AN III
à Ouagadougou sur l'ancien site du quartier Bilbambili (201 villas et 23
immeubles à 3 niveaux), les cités AN IV A au secteur 5 (50 villas
et 54 immeubles), les cités AN IV B éparpillées entre les
secteur 15, 17, 22 et 27(50 villas par secteur, soit 200 villas au total), la
construction de nombreuses voies et la reconstruction du grand marché et
de ministères qui ont vraiment contribué a
révolutionné la physionomie de la ville de Ouagadougou.
556 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les
années sankara, Paris, L'Harmattan, page 88.
557 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine
partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries,
Paris, Karthala, page 431.
558 S.X.S., « Portée politique et
opportunités techniques de l'ordonnance du 31 décembre 1984
» in CARREFOUR AFRICAIN N°866 du 18 janvier 1985, page
19.
Toutes ces constructions ont contribué à
améliorer le cadre de vie. L'adduction de l'eau potable, les
branchements téléphoniques et l'électrification devenaient
désormais possibles. De concert avec l'ONASENE,559 les CDR
organisaient des opérations de salubrité, faisant ainsi de la
ville un cadre propre.
Figure 16: Les cites révolutionnaires An III ET
An IV. Source : Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée a
Ouagadougou : pouvoirs et peripheries, Paris, Karthala, page
433.
Cependant, s'il est acquis que la politique d'urbanisation que
le CNR a imprimée avec le concours de ses structures populaires est un
vrai succès, cela n'a pas été sans écueil. A ce
sujet, Alain MARIE dénonce « la réalité concrete
et matérielle de ce qu'il faut considérer comme un coup de force
permanent mené par l'Etat révolutionnaire contre une
société civile violentée et contre une population
véritablement sinistrée (...) par la perte de son capital foncier
et immobilier antérieur ».560
Effectivement, toutes ces opérations ont
été faites souvent dans la négation de l'avis du citoyen,
donc dans un contexte de coercition totale, pratique déviante à
laquelle de nombreux CDR s'habituèrent. Ceci étant, il y eut
beaucoup de cassures de liens familiaux et sociaux dues à l'exigence des
déguerpissements que requérait la volonté
rénovatrice du pouvoir révolutionnaire. On peut critiquer aussi
le déroulement des opérations qui parfois
précipitées étaient sources d'erreurs comme les confusions
de noms ou les doubles attributions. Enfin, on a pu se rendre compte de
pratiques volontairement illégales de certains CDR attributeurs qui
détournaient des parcelles ou d'attributaires qui se « trompaient
» de repérage pour s'approprier la parcelle du voisin parce que
mieux située.
Il reste malgré tous ces dysfonctionnements que la
politique urbaine du CNR demeure on ne peut plus originale et concluante pour
peu qu'on regarde le passé du pays.
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