Chapitre VIII : LA PROMOTION DE L'ECONOMIE ET SES
LIMITES
La participation des structures populaires pesa
significativement dans la mise en oeuvre de la conception économique
défendue par le CNR. On a pu faire la preuve d'une mobilisation
effective de la population à travers les CDR autour du projet de
construction de l'économie nationale, indépendante,
autosuffisante et planifiée. Grâce à la canalisation de ce
dynamisme populaire par les CDR, le CNR a obtenu des résultats tangibles
et a posteriori on peut remarquer l'effectivité d'une promotion
économique.
L'objet de notre réflexion dans cette partie est de
faire ressortir les performances économiques obtenues par le CNR avec le
concours effectif des CDR, et en même temps soulever les failles qui en
ont résulté.
VIII.1. Les succes de l'auto ajustement
revolutionnaire
L'apport des CDR a eu le mérite d'avoir permis au CNR
d'asseoir un système économique autocentré que les
spécialistes de l'économie ont dénommé auto
ajustement révolutionnaire, c'est-à-dire un développement
économique basé sur les propres ressources matérielles et
humaines du pays sans assistance étrangère. La contribution des
CDR tient de la réalité selon laquelle ils ont suscité non
seulement la mobilisation populaire ayant permis au CNR de mettre en marche ses
différents projets, mais aussi ils ont été les garants de
l'application des schémas ou méthodes que nécessitait le
système d'auto-ajustement économique du CNR. Il s'agit ici pour
nous de relever des exemples de succès de cette politique
économique originale qui somme toute ne pouvait être possible sans
la mobilisation du peuple suscitée par les CDR.
VIII.1.1. L'amelioration du service et la baisse des
speculations dans les institutions
L'état de fonctionnement des services, surtout ceux de
l'Etat avant la révolution du 04 août 1983, était vraiment
des plus défectueux. Le CNR avait hérité d'une
administration mue par la paresse, la défection et le laxisme. Il
était en effet courant de voir des agents de l'Etat se rendre dans leurs
lieux de travail en retard. En plus, une véritable ambiance
délétère se développait dans les pratiques des
travailleurs qui ne se lassaient guère de favoritisme, de
népotisme et de paresse. C'était donc un secteur de la licence,
un haut lieu du laisser-aller qui avait offert un véritable asile
à la
184 corruption, l'affairisme et l'usage du faux. La
fréquence de toutes ces opérations facilita l'enrichissement
d'une minorité de personnes au mépris de l'intérêt
général de la majorité du peuple, meurtrie par le
désert de la misère. Emaillés par des «
politiciens réactionnaires de parents et d'amis, lies par mille
relations occultes aux opérateurs economiques, les services publics
pesaient d'un poids etouffant sur le peuple ».549 De
façon globale les pratiques frauduleuses de cette bureaucratie ne
pouvaient que déteindre négativement sur l'ensemble de la
croissance économique du pays.
Pour le CNR, cette situation chaotique découlait de la
mauvaise gestion de l'Etat par les régimes précédents
qu'il fallait soigner par l'épuration et la rigueur dans les services.
Il ordonna alors aux CDR d'être les chantres de ce combat contre ce que
Ludo MARTENS a appelé « l'hydre de la bureaucratie
».550
L'acharnement des CDR qui s'était traduit par le
contrôle des recrutements des agents, la notation déterminant les
avancements de salaire, le pouvoir de sanction à l'encontre des
personnes opposées au processus, avait permis tant soit peu de juguler
le phénomène de la gabegie dans les services.
Présents dans tous les mécanismes de
décision du pouvoir, les CDR ont été les metteurs en
scène d'une morale révolutionnaire sous-tendue par des
théories d'austérité qui à tous points de vue a eu
le mérite d'avoir assené des coups décisifs à la
corruption et aux diverses formes de spéculation dans les services. La
crainte d'être vilipendé, traqué et traîné
devant les procès TPR par les CDR avait ainsi permis une certaine
prophylaxie des méthodes de travail dans les services. Ainsi, nous
pouvons convenir avec bon nombre d'observateurs sur la réalité
d'un véritable élan de dynamisme dans les services, lequel ne
pouvait être sans l'action des structures populaires.
Il y a souvent une polémique sur la diminution de la
corruption et autres pratiques de fraudes sous le CNR. D'aucuns avancent que
des CDR ont même été à l'origine de mauvaises
gestions ... On ne peut certainement pas récuser cette
vérité qui ne peut qu'être commune à tout
système économique. Y a-t-il un système au monde qui a
fonctionné sans défaillance ? Même les systèmes
occidentaux réputés pour leur gestion rigoureuse
n'échappent pas souvent à la tentation des pratiques corruptrices
ou d'usage de faux. De notre point de vue, nous professons volontiers que
même si des pratiques douteuses ont été ressenties dans la
participation des CDR à la gestion du pouvoir économique, il n'en
demeure pas moins que ceux-ci ont véritablement oeuvré à
la diminution des méthodes illicites dans les services. Même s'ils
n'ont pas réussi à les faire disparaître, ils les ont
amenées à se cacher, à s'exprimer moins. De ce fait, il
faut
549 CNR, 1986, Plan Quinquennal-1986-1990, vol
I pp. 65 et 67.
550 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la
révolution, Paris, EPO International, page 229.
185 saluer la volonté politique du CNR dans ce sens qui
d'ailleurs s'était précisé davantage le 07 février
1987 avec la création de la Commission du Peuple chargée de la
Prévention de la Corruption (CPPC).551 Le 18 février
1987, Thomas SANKARA fut le premier à faire la déclaration de ses
biens devant la CPPC présidée par Henri ZONGO.552 En
déclarant ses biens, Thomas SANKARA faisait en même temps voeu de
pauvreté pour signifier que la révolution était venue
« pour servir et non pour se servir ».553 «
Jamais aucun régime n'a témoigné de cette
volonté tenace pour lutter contre la corruption au Burkina Faso, comme
le CNR ».554
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