VII.4.2. La dissolution des CDR et l'avenement des CR
Le renversement du CNR et surtout l'assassinat de son
président suscitèrent un véritable émoi dans le
pays. Les jours qui suivirent le coup d'Etat furent profondément
marqués par une léthargie au sein des CDR. Ceux-ci étaient
bien conscients du climat de méfiance et de discorde qui régnait
au niveau du CNR, mais ils ne s'attendaient pas à cette solution
militaire dans laquelle avait péri leur président. On ne peut pas
nier, malgré les erreurs commises sous son pouvoir, la réelle
popularité dont Thomas SANKARA jouissait vis-à-vis des militants
CDR. Doué d'un charisme exceptionnel qu'on lui reconnaissait volontiers,
Thomas SANKARA avait pu établir lors de ses discours une communion et
une sympathie réelles avec les CDR et d'une manière globale avec
la population. Richard BENEGAS parle à ce sujet de magie performative
du
544 Discours de l'An IV de la RDP in CARREFOUR
AFRICA1N N°1000 du 21 août 1987, page 10.
180 discours qui lui permettait de mettre en
délectation son auditoire.545 Pierre ENGLEBERT
renchérit : « Lors des meetings, c'est une véritable
communion qui s'établit entre lui et la foule qui lui répond en
chceur a divers moments de son discours : 0' les caméléons
équilibristes ? A bas ! Les renards terrorisés ? A bas ! Le
fantochisme ? A bas ! L'd-platventrisme ? A-bas ! ».546
Ainsi, pour les admirateurs du président
assassiné, c'est le désenchantement total. Ils sont surpris par
ces événements qu'ils ressentent comme une trahison et qu'ils
sont contraints bon gré mal gré de subir. Partout, on assiste
à un véritable tâtonnement avec des regards pleins
d'interrogations sur l'avenir réel de la révolution.
Malgré les appels incessants de soutien de la part du nouveau pouvoir,
la ville de Ouagadougou offrait un visage sinistré, loin de celle dont
le sursaut populaire avait favorisé le déclenchement de la
révolution. On ne « comprend pas qu'on ait pu tuer celui qui
incarnait la "Révolution Démocratique et Populaire". S'il avait
commis des fautes, pensent beaucoup, même parmi ses adversaires les plus
résolus, il fallait l'arrêter et le juger. Au hasard des
promenades dans les rues de la capitale, au détour d'une conversation, a
quelques graffiti, a certains regards, a mille petits détails
impalpables, on a pu se rendre compte comment la mort du PF (Président
du Faso) avait été traumatisante ».547
Médusés, des militants s'embusquèrent
pendant des mois. Convaincus que le Front Populaire s'écartait de leur
action du temps du CNR, nombreux furent pris par des sentiments de
délaissement et de trahison. On assista de ce fait à des
départs à l'étranger de certains CDR. Dans les quartiers
de Ouagadougou comme dans les milieux ruraux, ce fut le retour progressif au
printemps des pouvoirs coutumiers. Ceux-ci applaudirent le 15 octobre et
clamèrent la restauration de l'ordre des ancêtres. Les TPC
disparaissaient ainsi avec la réinstallation des tribunaux
coutumiers.
Les nouveaux tenants du pouvoir annoncèrent sans tarder
l'ouverture prochaine de grands débats pour faire le bilan critique des
quatre années de la révolution. Bongnessan Arsène YE
succéda à Pierre OUEDRAOGO à la tête des CDR. Le
Front Populaire forma son premier gouvernement le 31 octobre 1987 et publia,
dès le 03 novembre, un canevas de discussion pour des assises nationales
pour un bilan critique des quatre années de la révolution. Lors
de son premier conseil de ministres le 11 novembre, le nouveau gouvernement
procéda au relâchement de certaines mesures.
545 Richard BENEGAS, 1993, Insoumissions populaires
et révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, page 18.
546 Pierre ENGLEBERT, 1986, La révolution
burkinabè, Paris, L'Harmattan, page 172.
547 René OTAYEK, « Quand le tambour
change de rythme, il est indispensable que les danseurs changent de pas
» in POLITIQUE AFRICAINE N°28 - décembre 1987 - La
politique de santé, Paris, Karthala, page 117.
181
Entre autres, l'abandon de la pratique obligatoire du sport,
l'abrogation de la mesure qui préconisait le port obligatoire du
faso dan fani dans les lieux de travail...
Le 08 janvier 1988, ce fut l'ouverture des assises nationales
pour le bilan des quatre années de la révolution à l'issue
desquelles les structures populaires avaient connue une réorganisation.
Le SGN-CDR changea de nom pour devenir la Coordination Nationale des Structures
Populaires (CNSP). De même, les CDR furent dissous le 17 mars 1988 et
firent place aux Comités Révolutionnaires (CR). Ces derniers
furent dispensés de leurs fonctions militaires d'où le retrait
des armes dont le CNR avait doté les CDR. La nouvelle organisation
s'exprima par l'institution de sept types de Comités
Révolutionnaires : les paysans, les jeunes, les femmes, les anciens, les
ouvriers, les militaires et les employés (service). En plus de l'UNAB,
l'UFB, et l'UNPB déjà existantes, on jeta en mai 1988 les bases
de l'Union Nationale de la Jeunesse du Burkina (UNJB). Selon les dispositions
de la CNSP qui les chapeautait toutes, elles avaient pour vocation de renforcer
les bases des CR afin d'apporter un soutien effectif au processus dit de
rectification.
Les 8 et 9 avril 1988 eurent lieu les premières
élections des CR de base à Ouagadougou. Malgré les appels
répétés à la population, la mobilisation
était restée précaire. Par exemple, à
l'école de Droit de l'Université de Ouagadougou, sur 650 militant
CDR, seulement 47 avaient participé aux élections.548
Après les élections, la morosité déjà
perceptible aux lendemains du 15 octobre 1987 ne dégrossit pas. Les
permanences, jadis grouillant de monde, ressemblaient désormais à
des habitations hantées abandonnées sous le regard des passants.
Les différents chantiers créés au niveau des secteurs par
les CDR sont dépourvus de travailleurs. C'est la démobilisation
et il faut payer des gens pour qu'ils exécutent ce qui était fait
gratuitement du temps des CDR... Les pratiques frauduleuses refirent surface et
de manière de plus en plus visibles. Les prix des loyers
plafonnés sous le CNR passaient de 4 000 F à 12 000F... Telle
était globalement la situation qui se dessinait après le 15
octobre 1987 et après la dissolution des CDR en mars 1988.
L'année 1988 ne faisant pas partie de notre fourchette
chronologique, nous nous sommes contenté de peindre brièvement
cette conjoncture qui objectivement au lieu de raffermir la révolution,
comme le prétendaient les rectificateurs, a constitué une sorte
de restauration émoussant l'élan révolutionnaire d'une
population orpheline de ses véritables catalyseurs d'hier. C'est le
spectacle d'une révolution malade, somnolente, condamnée à
une mort prochaine certaine. Ce que l'histoire n'a pas démenti.
A la fin de ce chapitre, nous pouvons affirmer que le CNR a
été victime de ses propres contradictions. La logique de
l'unilatéralisme politique développée pour monopoliser le
pouvoir et s'auto légitimer a effectivement permis au CNR de s'immuniser
contre les à-coups des forces politiques, qui jadis faisaient et
défaisaient les régimes politiques. Mais, la disparité
idéologique, la tentation à l'hégémonisme de ses
composants et l'instrumentalisation des CDR ont fertilisé le terrain de
la confrontation en son sein et l'ont inexorablement acculé à sa
chute. Le fruit pourrit toujours de l'intérieur.
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