PREMIERE PARTIE :
L'AVENEMENT DU CNR ET DES
CDR :INSTITUTION ET
EXERCICE DU POUVOIR
POLITIQUE
Le 04 août 1983 en Haute-Volta, des militaires
progressistes appuyés par des civils, opéraient un coup d'Etat et
proclamaient la révolution, sous la conduite de leur organisation
dénommée Conseil National de la Révolution(CNR). La
compréhension des causes de cette révolution nécessite une
rétrospective sur la période qui la précède. En
effet, son avènement fut la résultante d'une spirale de faits
sociopolitiques antonymes et subversifs dont les ascendances remontaient aux
pouvoirs de la Troisième République, du CMRPN et du CSP.
La proclamation de la révolution constitua une
innovation politique originale dans la Haute-Volta de l'époque.
Considérant que les régimes politiques précédents
avaient méprisé le peuple, le CNR, dès la nuit du 04
août, entama l'expérience d'une implication de la population par
la création de structures populaires appelées Comités de
Défense de la Révolution(CDR). Il invita le peuple entier
à militer dans ces CDR pour participer à la réalisation de
son projet révolutionnaire.
Dans cette première partie de notre étude, nous
analysons les circonstances d'accession du CNR au pouvoir, l'institution des
CDR et leur implication directe dans la gestion du pouvoir politique pour
défendre le CNR et sa révolution. Notre propos évolue en
quatre grandes phases correspondant à des chapitres. D'abord, nous
évoquons la conjoncture sociopolitique à la veille de la
révolution. Ensuite, nous analysons le déclenchement de la
révolution par le CNR et la création des CDR. Après, nous
expliquons l'organisation et le fonctionnement des CDR pour l'exécution
du programme révolutionnaire du CNR. Enfin, nous apprécions
l'action politique des CDR pour défendre la révolution.
Chapitre I : LE CONTEXTE SOCIO-POLITIQUE A
LA VEILLE DE LA REVOLUTION
L'avènement de la révolution burkinabé
ne fut pas un fait isolé. Il a découlé d'une situation
sociopolitique explosive dans laquelle, partis politiques, organisations
syndicales et générations de militaires s'affrontaient.
L'exacerbation des chocs et des conspirations politiques, auxquels les
Voltaïques de l'époque étaient familiers depuis les
indépendances, a été à la source d'une succession
de trois coups d'Etat en moins de trois ans. Ce fut dans cette logique de
désordre politique, où les coups de force ne manquaient pas, que
le CMRPN (liquidateur de la Troisième République), le CSP et le
CNR s'étaient succédé respectivement à la
tête de l'Etat.
Dans ce chapitre, notre préoccupation est d'analyser
la fragilité et les soubresauts de ces pouvoirs qui ont
préparé l'avènement de la révolution :
premièrement la Troisième République, deuxièmement
le CMRPN, enfin le CSP.
I.. Les malaises de la Troisieme Republique
Des élections législatives et
présidentielles, tenues respectivement en avril et en mai 1978
après l'adoption de la Constitution, avaient marqué
l'avènement de la IIIème République. Aux
présidentielles, le Général Sangoulé LAMIZANA,
soutenu principalement par le RDA et le PRA6, avait
été mis en ballotage avec le candidat de l'UNDD, Macaire
OUEDRAOGO. Néanmoins, il réussit à se faire élire
au deuxième tour.
A la veille de ces élections, les principaux partis
toutes tendances confondues qui se disputaient le pouvoir se composaient du PRA
de l'époque coloniale, de l'UPV de Joseph KI-ZERBO, de l'UNDD de Hermann
YAMEOGO, du RDA qui soutenait LAMIZANA et du Front de Refus-RDA, une section
dissidente du RDA qui avait comme leader, Joseph OUEDRAOGO.
Après sa victoire, LAMIZANA nomma Issoufou Joseph
CONOMBO Premier ministre et le chargea de former un gouvernement d'union
nationale. L'UPV de Joseph KI ZERBO refusa de participer à ce
gouvernement. Ce refus de prendre part était un élément
qui préfigurait déjà des contestations. De même, la
popularité de ce gouvernement était vraiment mise à
l'épreuve, vu le manque d'intérêt témoigné
par les Voltaïques lors des élections. En effet, le taux
d'abstention7 avait atteint 60% des inscrits aux législatives
et 65% aux présidentielles.
6 Le PRA n'avait remporté que 6 sièges
et l'UNI un seul à l'issue des consultations législatives.
7 Pierre ENGLEBERT, 1986, La révolution
burkinabé, Paris, L'Harmattan, page 56.
Selon Basile GUISSOU, les raisons de ces taux d'abstention
élevés étaient dus à la lassitude de la population
qui « n'attendait plus rien des urnes et des partis, les mêmes
depuis toujours. Seuls les noms et les cigles des partis changeaient, les
hommes restaient les mêmes ».8 Ce sentiment de
monotonie et de lassitude ressenti par la population représentait
déjà un handicap pour le système politique mis en place.
Pire, le gouvernement allait connaître un fonctionnement vicié et
anormal.
La complaisance du pouvoir avait fait de l'administration une
classe de licence qui se livrait à toutes les formes de gabegie. Le
népotisme et le clientélisme étaient devenus des exercices
courants dans l'administration. L'Assemblée nationale connaissait un
certain nombre de dysfonctionnements dont le non respect des règles de
démocratie parlementaire, l'absence d'une collaboration étroite
avec le gouvernement et des luttes de préséance entre les partis
au sein de ce dernier.
Ces différentes manoeuvres contribuèrent
à creuser un écart entre la classe politique et le peuple, ce
peuple qu'elle était censée incarner. Très vite, le
désintérêt aidant, on assistait à la naissance des
sentiments de déception, de rancune, d'exaspération vis à
vis de politiciens insoucieux des difficultés de leur peuple. Les
syndicats qui avaient toujours été au rendez-vous des
bouleversements s'en saisirent et déclenchèrent un long conflit
en collaboration avec l'UPV de Joseph KI-ZERBO, devenue FPV (Front Progressiste
Voltaïque)9.
La grève fut déclenchée le 1er
octobre 1980 par le SNEAHV. Le 13 novembre, la Confédération
Syndicale Voltaïque (CSV), centrale syndicale à laquelle le SNEAHV
est affilié, récupéra la grève en organisant une
grande manifestation à la place du 03 janvier, évènement
très significatif en ce qu'il faisait allusion à la marche du 03
janvier 1966 qui avait mis fin au régime de Maurice YAMEOGO. Les
revendications étaient très politisées. Le FPV du tandem
KI-ZERBO-OUEDRAOGO exploitèrent cette situation pour lancer une campagne
de déclarations anti-gouvernementales.
Cependant, cette longue grève n'avait pas
entraîné un ralliement de masses comme en 1966. Du fait des
sacrifices énormes qu'exigeait la scolarisation d'un enfant, la
grève avait été vue d'un mauvais oeil par les parents
d'élèves, non dupes de la politisation exagérée des
revendications. L'arrêt des cours pendant près de deux mois
désolidarisa la population des enseignants grévistes. Le constat
de ce désaveu populaire poussa le SNEAHV à décréter
la fin de la grève le 23 novembre sans que le gouvernement n'ait
cédé à une seule des revendications.
8 Basile GUISSOU, 1995, Burkina Faso : un espoir
en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 50.
9 Les deux Joseph, KI ZERBO et OUEDRAOGO avaient
fusionné leurs partis pour créer le FPV. Il s'agissait d'une
combine qui visait le renversement du président de l'Assemblée
Gérard Kango OUEDRAOGO. Cette formation était très
influente auprès des organisations syndicales, notamment celles des
enseignants.
Néanmoins, même si la grève ne connut pas
un aboutissement explicite, implicitement elle le fut dans la mesure où
elle fragilisa le gouvernement en mettant à nu les excès et les
manquements du pouvoir. La grève, en effet, suscita une prise de
conscience sur les incompétences du régime qui les exposa
à ses pourfendeurs. Ainsi, une nouvelle génération de
militaires perpétra le troisième coup d'Etat le 25 novembre 1980
: ce fut l'avènement du CMRPN du Colonel Saye ZERBO.
1.2. L'6chec de la politique de redressement du CMRPN
La majorité des Voltaïques applaudirent le coup
d'Etat du CMRPN à son avènement. Même les milieux religieux
n'hésitèrent pas à cautionner le coup de
force10. En effet, à l'opposé des condamnations de la
communauté internationale, l'enthousiasme des Voltaïques à
l'égard du coup d'Etat n'avait pas été des moins
substantiels. Dans ce sens, de nombreux meetings furent organisés pour
soutenir le CMRPN.
Après avoir procédé à la
suspension de la Constitution, à la dissolution de l'Assemblée
nationale et à l'interdiction des activités politiques, le CMRPN
dévoila ses ambitions.11 Celles-ci se résumaient au
développement du pays sur la base des forces voltaïques, à
la suppression de l'exploitation de l'homme par l'homme et à la
promotion de l'unité nationale et de l'austérité dans la
gestion de la chose publique. Pour y parvenir, le CMRPN prévoyait la
création de comités d'action.
De façon globale, on peut affirmer que le discours
programme du CMRPN revêtait un caractère volontariste qui trouvait
plus ou moins l'assentiment des Voltaïques. Cela constitua un
élément justifiant l'enthousiasme populaire. Mais assez
précocement, cette caution générale s'amenuisa à
cause de la rugosité du pouvoir sur la vie morale, publique, politique
et économique.
En quelques mois, ce fut le désappointement dans la
majorité de la population. Cette déconvenue était la
conséquence des mesures dites austères prises par le CMRPN : la
fermeture des débits de boisson pendant les heures de travail, les
couvre-feux, la limitation de la liberté de la presse. La
dernière erreur gravissime fut la suppression du droit de grève
le 1er novembre 1981.
Face à cette situation, les réactions des
syndicats malgré la diversité de leurs tendances
secouèrent le pouvoir. Très vite, les dissensions politiques et
idéologiques gagnèrent les rangs de l'armée. Ce fut ainsi
que Thomas SANKARA,
10 Allusion faite aux propos tenus par son Eminence
le Cardinal Paul ZOUNGRANA. Il avait déclaré que le coup
était une grâce de la providence divine.
11 Voir le discours programme CMRPN
prononcé le 1er mai 1981 par Saye ZERBO in Roger Bila KABORE,
2002, L'Histoire politique du Burkina Faso : 1919%2000, Paris, Karthala,
Annexe 8, page 463.
15 Secrétaire d'Etat à l'Information
démissionna de son poste après avoir critiqué le pouvoir.
Il avait déclaré : « Malheur a ceux qui bdillonnent leur
peuple ». Ces propos adressés au pouvoir
étaient une illustration parfaite du manque de consensus dans les rangs
des gouvernants militaires.
Cette crise entre les membres de la couche dirigeante se
traduisait par des querelles de génération entre colonels et
capitaines. Ces rivalités exacerbées par les disparités
idéologiques furent fatales au CMRPN le 07 novembre 1982 avec
l'intervention d'un nouveau coup d'Etat militaire qui annonça
l'avènement du CSP.
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