Le CSP qui prit le pouvoir le 07 novembre 1982 n'eut qu'une
existence éphémère. Dirigé par une équipe
hétérogène, le CSP ne put avoir le temps d'exercer une
politique concrètement définie. Il se singularisa surtout par une
lutte de clarification de direction politique entre deux tendances :
conservateurs de droite contre progressistes de gauche. Le coup d'Etat du 07
novembre 1982 surprit la communauté nationale et internationale. Le
Commandant Jean-Baptiste OUEDRAOGO placé au-devant de la scène
n'était pas connu.
Le nouveau régime ne bénéficia pas d'un
soutien populaire. Très rapidement, il s'enlisa dans des querelles
intestines. Commandants et capitaines s'opposaient par personnes
interposées : les Commandants Jean Baptiste OUEDRAOGO et Yorian Gabriel
SOME représentant le camp conservateur militaient en faveur de
l'instauration d'une vie constitutionnelle régulière. Les
Capitaines Thomas SANKARA, Blaise COMPAORE, Henri ZONGO et le Commandant
Jean-Baptiste LINGANI incarnant le camp progressiste oeuvraient pour
l'avènement d'une révolution.
Avec la nomination de Thomas SANKARA à la primature,
les rivalités devinrent acérées et directes. Les
épisodes de cette crise au sommet de l'Etat étaient des plus
spectaculaires. « Au cours des meetings publics, le Président
de la République et son Premier ministre tenaient deux discours
opposés dans la forme et le fond. Chacun s'adressait a son public dans
le langage politique qui rassure les siens et angoisse les autres
».12 On parle d'une « greffe politique initiée
le 7 novembre »13 qui s'avérait impossible.
Les démarches contradictoires des dirigeants du CSP
affectaient dangereusement la société voltaïque de
l'époque, la conduisant de ce fait à la division. Les uns
étaient des inconditionnels du président, les autres, ceux du
Premier ministre.
12 Basile GUISSOU, 1995, Burkina Faso : un espoir
en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 65.
13 Ibidem.
16 Ce dernier par sa truculence devint un véritable
boute-en-train rompu aux thèses révolutionnaires qui sut gagner
facilement la sympathie d'une grande partie du peuple. Sa capacité de
subjuguer les esprits par son éloquence fit de lui la
personnalité la plus populaire du régime, en témoigne
l'attitude de la population aux meetings des 26 mars à Ouagadougou et du
15 mai à Bobo Dioulasso14.
Lors de ces rencontres, l'assistance ovationna le Premier
ministre et commença à déserter les lieux pour ne pas
écouter le discours du président. Ces évènements
ravivèrent la dégradation des relations entre les militaires de
l'instance dirigeante. La montée des intolérances de tous bords
rendait le pays ingouvernable.
Se rendant compte de l'agitation du Premier ministre qui ne
facilitait pas le retour à une vie constitutionnelle, l'aile
conservatrice du CSP décida l'éviction de Thomas SANKARA. Ce
dernier fut arrêté le matin du 17 mai et emprisonné.
Egalement, les ténors militaires de la tendance progressiste furent
à leur tour exclus et emprisonnés, excepté le Capitaine
Blaise COMPAORE qui réussit à s'échapper.
Dans une déclaration radiodiffusée le 17 mai
1983, Jean-Baptiste OUEDRAOGO laissait entendre : « Le CSP a
décidé d'écarter de son sein, tous ceux qui ceuvraient a
le dévier de sa voie initiale par des comportements, déclarations
et agissements tous aussi démagogiques qu'irresponsables
».15 Il dénonça l'attitude des organisations de
gauche et promit d'oeuvrer pour une réconciliation nationale et
l'instauration d'une nouvelle constitution. Il effectua un remaniement
ministériel : ce fut l'avènement du CSP II, nouvelle formule
jugée plus homogène et modérée. Pour le
Président de la République, ces mesures devaient apaiser la
situation. Erreur de calcul car les jours suivants n'en portèrent
guère des signes. Ils révélèrent davantage
l'infirmité du CSP II à se trouver une assise populaire pour
gouverner.
Sous la houlette du Capitaine Blaise COMPAORE, rescapé
de la rafle du 17 mai qui avait pu rejoindre ses commandos à Po, et du
Capitaine Henri ZONGO retranché au Camp Guillaume OUEDRAOGO, les
progressistes s'organisaient activement en liaison étroite avec les
organisations de gauche telles le PAI-LIPAD, l'ULC et la CSV. Dopée par
le travail révolutionnaire d'agitation et d'éducation politique
des organisations dites communistes, les jeunes de Ouagadougou prirent d'assaut
les rues les 20, 21 et 22 mai aux cris de « Libérez SANKARA,
«Libérez SANKARA ! Libérez LINGANI ! A bas Jean
Baptiste ! A bas l'impérialisme ! ».16
L'organisation d'une contremanifestation le 22 mai par le CSP II échoua
à cause de l'impopularité du régime.
14 Pierre ENGLEBERT, 1986, La révolution
burkinabé, Paris, L'Harmattan, page 72
15 Déclaration radiodiffusée du
Président Jean Baptiste OUEDRAOGO le 17 mai 1983 in L'OBSERVATEUR
N°2592 du 18 mai 1983, pages 1 et 12.
16 Adama TOURE, 2001, Une vie de militant,
Ouagadougou, Hammaria, page 95.
Pressé, le Président Jean-Baptiste OUEDRAOGO
ordonna la libération de SANKARA et de LINGANI, ce qui ne contribua
cependant pas à calmer la tension. Les négociations
engagées pour normaliser la situation ne réussirent pas. Pendant
ce temps, le PAI-LIPAD, l'ULC et les mouvements syndicaux drainés par la
CSV étaient devenus les agents d'une propagande accrue en faveur d'un
régime révolutionnaire. Les tracts participèrent largement
à cette campagne.
Assurés de leur base populaire, les protagonistes de
la gauche préparaient officieusement leur accession au pouvoir en tenant
des réunions secrètement et nuitamment pour coordonner leurs
actions. On observait dans les faits que même si la révolution
n'était pas encore proclamée explicitement, elle l'était
insidieusement. La tactique des progressistes avait prédisposé
les esprits à l'accueil d'un changement radical. Ce que reconnut
Jean-Baptiste OUEDRAOGO en laissant entendre que « la motivation et la
conviction, la stratégie du harcelement, la mobilisation politique et la
preparation psychologique »17 avaient fait la
décision des révolutionnaires. Le glas de la mort prochaine du
CSP II avait commencé à sonner.
Le contexte sociopolitique à la veille de la
révolution a révélé en somme une période de
dissensions et de heurts politiques. Les régimes qui se
succédèrent furent les acteurs d'une crise sociopolitique
profonde qui servit de ferment pour le déclenchement de la
révolution.