V11.2.2. La repression des syndicats
La décision de l'usage de la répression totale
contre les syndicats procédait de l'échec de la tentative de leur
vassalisation par le CNR. Le refus catégorique des
459 Les syndicats signataires de la déclaration
: CSB, FSB, SAMAB, SNAID, SYNTER, SYNTETH, SYNTRAGMIH.
460 John David KERE, 1988, Syndicats et pouvoirs
politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de
Bordeaux I, Institut d'Etudes Politiques de Paris, CEAN, pages 83 et 84.
461Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et démocratie
en Afrique : l'expérience du Burkina Faso, Paris, Karthala, page
204.
462Kabeya Charles MUASE, « Un pouvoir des
travailleurs peut-il etre contre les syndicats » in POLITIQUE
AFRICAINE N° 33, 1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page
55.
155 syndicats de s'incorporer dans les CDR et leur
dénégation de la politique du CNR avaient valu l'application de
la coercition sur eux. Babou Paulin BAMOUNI déclarait à ce sujet:
« La place des syndicats ne peut être qu'd coté de notre
Révolution pour l'aider dans sa marche irréversible vers la
société nouvelle, source de bonheur pour le Voltaïque. Un
syndicat qui se situerait hors de cette logique ne peut plus prétendre
défendre les intérêts des travailleurs et encore moins ceux
du peuple. Son camp est connu : celui de la minorité
réactionnaire décidée a utiliser des sigles syndicaux
[...] pour satisfaire ses intérêts égoïstes et
funestes dans un esprit petit-bourgeois exécrable et vilement
abominable ».463
L'usage de la répression n'est pas une innovation
découlant seulement de la conjoncture conflictuelle du début de
l'année 1985 où le CNR avait contre-attaqué le corps
syndical. L'exercice de la coercition comme instrument de contrôle du
mouvement syndical a toujours été une constante dans les
méthodes politiques du CNR. La décapitation du SNEAHV en
constitue une illustration exemplaire. En prenant la décision de
réprimer le mouvement syndical, le CNR révélait une fois
de plus sa volonté éditée de contrôler sans
concession l'ensemble du corps social. Cette répression
occasionnée par la déclaration du 28 janvier 1985 avait
évolué dans une certaine constance jusqu'à
l'avènement du 15 octobre 1987. Une répression dans laquelle les
CDR composaient un outil efficace pour le CNR.
La campagne antisyndicale du CNR fut sitôt mise en
branle au lendemain du 28 janvier 1985. Les propos et les actions bellicistes
ne se sont pas fait attendre du côté du CNR et de ses structures
populaires. Dès le 31 janvier 1985, un décret présidentiel
suspendait et dégageait 26 responsables syndicaux.464 Pierre
OUEDRAOGO proféra des menaces allant des sévices à la
neutralisation physique à l'encontre des syndicats ; il promit le
"poteau n° 5" comme support d'exécution des
syndicalistes.465 Les CDR de service et les CDR des
commerçants commentèrent que la déclaration du front
syndical n'avait d'autre philosophie que de la contre-révolution et
regrettèrent que les révolutionnaires n'eussent pas fait
suffisamment usage de césarisme sur des réactionnaires
(syndicats) qui méritaient bien d'être mâtés et
brisés.466 Quant aux CDR de garnisons notamment ceux de
Ouagadougou et de Po, ils estimèrent que les syndicats étaient
devenus anarcho-populistes et putschistes, c'est-à-dire qu'ils se
cachaient derrière des intérêts dits du peuple pour refuser
l'autorité de l'Etat
463 Propos cités par John David KERE, 1988, Syndicats
et pouvoirs politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA,
Université de Bordeaux I, IEP/CEAN, page 78.
464 Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et
démocratie en Afrique : l'expérience du Burkina Faso, Paris,
Karthala, page 210.
465 John David KERE, 1988, Syndicats et pouvoirs
politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de
Bordeaux I, IEP/CEAN, page 89.
466 C. T. « Levée de boucliers contre les
anarcho-syndicalistes » in CARREFOUR AFRICAIN N°86E du
08 février 1985, page 16.
156 révolutionnaire dans la gestion des affaires
économiques. Donc, ils étaient des ennemis
débusqués de la RDP qu'il fallait purement et simplement
fusiller.467 Dans l'hebdomadaire CARREFOUR AFRICAIN, les
propos de Babou Paulin BAMOUNI furent on ne peut plus clairs et
révélèrent toute la gravité de la situation,
évidemment aux malheurs des syndicats : « L'heure est venue
d'abattre définitivement les quelques Slots de resistance
».468 A travers ses différentes interventions sur la
question, il s'évertua à soutenir que le syndicalisme
burkinabé devait avoir un esprit révolutionnaire conforme au
contexte politique du moment et dit plus tard avec cynisme qu'au cas
échéant, il ne fallait point lésiner à neutraliser
avec plaisir les anarcho-syndicalistes car la révolution grandissait en
s'épurant.469 La déclaration des CDR du secteur 11 de
la ville de Ouagadougou dénota aussi la même tendance
générale à l'extrémisme : « Jusqu'd
present aucun element CDR n'a fait usage de son arme [...]. Cela ne saurait
tarder ».470
L'analyse de l'ensemble de cette rhétorique du pouvoir
à l'égard du monde syndical met en exergue
l'opiniâtreté manifeste du premier d'annihiler le second.
L'objectif de cette intimidation était sans doute d'éclater leur
noyau dur qui était formé et par là, les amener à
renoncer à leur opposition systématique à la politique du
CNR.
Parallèlement au battage médiatique
antisyndical, des actes concrets furent posés pour empêcher
désormais les activités syndicales. Ainsi, les responsables
syndicaux suspendus ou dégagés avaient été
interdits d'accéder aux bus de la Régie X9 (Transport public) et
aux logements ou cités construits sous le CNR.471
En outre, les CDR exécutaient des arrestations de
responsables syndicaux, surtout ceux-là qui coordonnaient le front
syndical. Ils effectuaient également des perquisitions à
domicile.
Pour empêcher la communication entre les leaders et les
militants, et partant de là le grossissement du mouvement, le CNR
interdit toute manifestation syndicale. Dans ce cadre, les CDR
occupèrent le siège du SYNTER à Ouagadougou et
dispersèrent les assemblées générales des
syndicats.472 Au niveau des provinces notamment à Banfora et
à Leo, les CDR interdirent les rencontres syndicales.473 Dans
le milieu estudiantin, l'UGEB fut interdite d'organiser son treizième
congrès sur le
467 C. T. « Levee de boucliers contre les
anarcho-syndicalistes » in CARREFOUR AFRICAIN N°86E du
08 février 1985, page 17.
468 Babou Paulin BAMOUNI, « La revolution et
la prise d'assaut des syndicats » in CARREFOUR AFRICAIN
N°885 du 31 mai 1985, page 7.
469 Selon des propos de Babou Paulin BAMOUNI
cités par John David KERE, 1989, Syndicats et pouvoirs politiques
au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de Bordeaux I,
IEP/CEAN, page 90.
470 Ibidem.
471 John David KERE, 1988, Syndicats et pouvoirs
politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de
Bordeaux I, IEP/CEAN, page 92.
472 Idem, page 93.
473 Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et
démocratie en Afrique : l'expérience du Burkina Faso, Paris,
Karthala, page 210.
157 territoire national suite à une demande des CDR de
l'université. Ces derniers se livrèrent à une
véritable guerre aux militants de l'ANEB (qui était
affiliée à l'UGEB)474: des militants
furent arrêtés et virent leurs bourses d'études
coupées.475 Leur siège qui se situait au secteur 4
(Paspanga) fut confisqué par les CDR dudit secteur.
Le 1er mai 1985, le pouvoir simula jouer la carte de
l'apaisement et proclama sa volonté d'organiser les manifestations
rituelles de la fête du travail. Tentative de séduction pour
montrer qu'il était l'incarnation du pouvoir des travailleurs. Pour
cette cause, il invita les syndicats à prendre part à cette
célébration sous sa houlette. Mais ceux-ci refusèrent. Il
y eut alors trois manifestations : celle du CNR, celle du trio CNTB, ONSL,
USTB, et celle du front syndical. Lors de la réunion de ce dernier, des
individus surgirent et s'en prirent violemment aux syndiqués. Il s'en
suivit des échauffourées, ce qui entraîna l'intervention
des CDR.
Ce qui est intéressant ici à relever, c'est le
caractère symbolique duquel procédait l'action du CNR. En
réalité, il s'est agi d'une tentative de
récupération qui a nié la légitimité des
syndicats comme mouvements des travailleurs. Le CNR voulait engloutir les
syndicats et se profiler comme l'organisation authentique des travailleurs. A
l'évidence, il était donc question d'empêcher l'influence
des syndicats sur l'ensemble de la population, ce qui normalement allait
conforter la popularité du régime.
La «délégitimation» politique des
syndicats par le CNR fut mieux prononcée au cours de l'année
1986. Le Ministre du Travail, Fidèle TOE, organisa une semaine
révolutionnaire qui devait se clôturer par une fête unitaire
le 1er mai. L'objectif de cette semaine fut « de poser les
jalons d'une organisation adéquate des festivités du
ler mai et de créer le cadre d'une réflexion soutenue
sur l'amélioration des conditions de vie des masses populaires
».476 A travers les CDR de service, le CNR mit en route une
opération de charme pour amener les salariés à y
participer. En agissant de cette façon, le pouvoir marginalisait les
instances syndicales et sclérosait leur influence sur la fonction
publique.
La fête du 1er mai 1986 qui fut placée
sous le signe de l'émancipation et l'épanouissement des masses
laborieuses ne connut cependant pas la participation des syndicats, ceux-ci
ayant marqué encore une fois leur refus d'une fête
unitaire.477
La commémoration du 1er mai de
l'année 1987 marqua un virage très important de la politique
syndicale du CNR. Après avoir essayé d'assujettir
474 La guerre au syndicat des
étudiants fut déclarée ouvertement le 23 octobre 1983 lors
d'une réunion des CDR de l'université.
475 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA,
COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 20.
476 Tarbzanga ZOUNGRANA, «
L'esprit du ler Mai » in CARREFOUR AFRICAIN
N°934 du 09 Mai 1986, page 10.
477 Ibidem.
158 insidieusement mais vainement les syndicats, le pouvoir
accentua la coercition sur eux. Dans cette optique, le pouvoir associa les
paysans478 à la fête dans le but de montrer la
minorité des organisations des salariés dans le pays. Les paysans
encadrés par les hommes en armes se rendirent en cortège à
la bourse du travail. L'occupation de ce haut-lieu du syndicalisme manifestait
certainement la volonté du CNR de nuire le plus foncièrement
possible aux syndicats, réduire au maximum leur base d'accueil comme
représentants légitimes du travail au niveau de la
société.
Le Ministre du Travail dans son discours affirma : «
L'ancienne vision des choses était tronquée. [...] Il faut
reconnaitre que tout salarié n'est pas systématiquement un
travailleur et qu'il existe des travailleurs qui ne sont point salariés,
et notre pays regorge de ces travailleurs qui vivent sans savoir ce qu'est le
salariat ou le fonctionnariat [...]. Les dirigeants syndicaux se comportent en
véritables féodaux [...] se servant du syndicalisme pour se
créer des bureaux de promotion personnelle ou individuelle
».479 A travers ces propos, on comprend toute la signification
de la manoeuvre du CNR qui n'était autre que la valorisation de tout
travail, même non salarié, en vue de s'approprier la sympathie de
ceux-là qui n'étaient pas concernés par le salariat et qui
somme toute constituaient une majorité dans le pays. Rappelons que le
Burkina Faso de l'époque était à 90% paysan. La manoeuvre
du CNR pouvait lui offrir des perspectives intéressantes en
matière de popularité, surtout dans le monde paysan, et de ce
fait, lui donner tous les atouts d'une mise à l'écart complet des
syndicats.
Le 1er mai 1987 fut le top départ d'une
vaste offensive contre le mouvement syndical allant même jusqu'à
une tentative de liquidation. L'occupation de la bourse du travail n'avait pas
permis aux syndiqués de tenir leur rencontre. Mais, le 17 mai 1987, un
événement majeur se produisit : on assistait à la
réalisation d'une unité syndicale à travers une
déclaration qui critiquait la situation dans le monde du
travail.480 Cette unité qui s'effectuait pour la
troisième fois dans l'histoire inquiéta fort sérieusement
le CNR. En effet, l'histoire politique du pays avait montré que lorsque
les organisations syndicales, toutes tendances confondues arrivaient à
s'unir, elles devenaient très dangereuses pour le pouvoir politique.
Pour amenuiser cette action unitaire syndicale, le pouvoir
décida une prise d'assaut des syndicats grâce à l'appui des
CDR. Ainsi, à partir du 30 mai 1987, une vaste campagne d'arrestations
s'était abattue sur les organisations syndicales. A
478 Du 29 au 30 Avril, un symposium national des
paysans du Burkina avait été organisé. A la fin de la
manifestation, près de 2500 paysans avaient marché de la Place de
la Révolution au SGN-CDR où Pierre OUEDRAOGO avait
prononcé le discours de clôture. Les paysans restèrent dans
la ville et furent conviés à la commémoration du
1er Mai.
479 CARREFOUR AFRICAIN
N°986 du 08 mai 1987 : « Extrait de l'allocution du ministre
du travail a l'occasion du ler Mai », pages 16 et 17.
480 John David KERE, 1988, Syndicats et pouvoirs politiques au
Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de Bordeaux I,
IEP/CEAN, page 94.
159 Ouagadougou, Soumane TOURE fut encore
appréhendé par les CDR du secteur 29 pour cause de subversion. Ce
fut également le cas de Halidou OUEDRAOGO, secrétaire
général du SAMAB rayé avec 19 autres magistrats militants
du corps de la magistrature et dégagés de la Fonction
publique.481 Les autres provinces ne furent pas
épargnées par ces arrestations : par exemple à
Bobo-Dioulasso, les responsables de l'USTB réunis en conseil sont
interpellés le 04 juin 1987. Le CNR applaudit et affirma ne pouvoir
« qu'adresser ses encouragements militants aux Comités de
Defense de la Revolution dont la vigilance et l'engagement
révolutionnaire ont permis de déclencher une operation qui doit
nécessairement se poursuivre..., pour neutraliser sans complaisance
partout oft ils se trouvent, dans les services comme dans les secteurs, les
ennemis de notre revolution qui croyaient l'heure venue de prendre leur
revanche sur notre peuple et sa revolution ».482
Concomitamment à cette opération de force, le
CNR tenta de développer une politique entriste vis à vis des
syndicats. Dans ce sens, le Ministre de l'Administration Territoriale et de la
Sécurité lança une sommation aux syndicats de renouveler
leurs bureaux avant le 15 juin 1987, délai de rigueur. Ce comportement
constituait une ingérence dans les affaires intérieures des
syndicats connotant de putschisme de la part du CNR. Suite à ce
communiqué, des assemblées générales sont
convoquées au cours desquelles l'influence pesante des CDR arriva
à faire élire des bureaux favorables au CNR.483 Ce fut
le cas du Syndicat Unique de la Météorologie et de l'Aviation
Civile (SUMAC) et celui du SYNTSHA. Mais, cet entrisme du CNR ne fut pas
efficace au niveau de tous les syndicats. Par exemple, la CSB et le SAMAB ne se
laissèrent pas manipuler. L'action entriste définissait bien cet
objectif de neutraliser les syndicats de l'intérieur, c'est à
dire infiltrer des alliés dans les syndicats qui allaient aider à
leur inféodation au pouvoir, donc tuer la contestation par
l'intérieur.
L'effervescence des rapports conflictuels entre le CNR et les
syndicats a été une constante. La question syndicale a
été à l'instar d'autres questions sources de divergences
au sein du CNR. L'accentuation de ces dissentiments a plongé le CNR dans
une logique de crise ayant conduit à sa chute le 15 octobre 1987.
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