VII.3. Les repercussions de la campagne anti
reactionnaire sur les organes de presse
Les organes de communication ou d'information composent des
outils importants d'influence en politique. Ils peuvent par la propagande
déterminer la
481 John David KERE, 1988, Syndicats et pouvoirs
politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de
Bordeaux I, IEP/CEAN, page 96.
482 SIDWAYA N°789 du 10
Juin 1987, « Communiqué du Conseil National de la Revolution :
le CNR encourage les CDR a poursuivre la neutralisation des ennemis de la
RDP », page 1.
483 John David KERE, 1988, op cit,
page 97.
160 longévité d'un régime politique
à travers leur orientation dans la lutte des idées animant le
débat politique. Un régime qui ne jouit pas d'une base imposante
d'outils de propagande est facilement vulnérable. L'expérience
enseigne que lorsque la propagande se retourne contre un régime, cela
peut constituer une prémonition de déchéance pour ce
dernier. De ce fait, les médias ont toujours été un
support politique de premier ordre pour un régime politique en
quête de légitimité.
La propagande à outrance a toujours été
l'apanage des régimes révolutionnaires. La volonté du CNR
de paraître comme le pouvoir du peuple a été une raison qui
l'avait amené à contrôler l'ensemble de la presse pour
asseoir cette propagande qui somme toute était nécessaire pour la
disqualification de ses ennemis et sa légitimation.
Notre approche sur cette question se structure en deux points
: l'instrumentalisation de la presse d'Etat et le bâillonnement de la
presse privée.
VII.3.1. L'instrumentalisation de la presse d'Etat
Après avoir créé un ministère
spécial pour le département de l'information, le CNR s'appliqua
à une redéfinition des objectifs assignés aux organes de
presse. Désormais, les organes d'information avaient pour but principal
de contribuer par le son, l'image et l'écriture à élever
le niveau de conscience politique du peuple, de le mobiliser et de le
responsabiliser en vue des tâches patriotiques.484 Tout en
définissant la mission des organes d'information qui devaient assurer la
propagande à son profit, le CNR institua un organe de contrôle et
d'orientation, le Conseil National de la Presse, une structure composée
des représentants du CNR, des CDR et des délégués
des différents départements ministériels. Le conseil des
ministres déterminait le nombre de cette
représentation.485
Ces nouvelles dispositions signifiaient nettement que les
mass-médias devaient constituer un soutien politique de premier ordre
pour le CNR. Ils avaient l'obligation d'être à l'avant-garde de la
révolution. Ceci étant, le pouvoir révolutionnaire
s'appropria tout l'appareil médiatique pour justifier et imposer son
idéologie révolutionnaire et pour nuire à ses ennemis. A
ce titre, on peut affirmer que la presse d'Etat avait subi une
instrumentalisation pour devenir un appendice par excellence du régime.
Les journalistes furent tenus de collaborer avec le pouvoir et faire preuve de
ferveur révolutionnaire.
Sous la révolution, il n'existait pas de journaliste
neutre en tant que tel. La neutralité était souvent vue comme une
inimitié insidieuse à l'encontre de la révolution
484 L'OBSERVATEUR N°2701 du 21 octobre 1983, «
Compte rendu du conseil des ministres du 19 octobre 1983 », page
8.
485 Ibidem.
161
« Un journaliste politiquement inculte est un danger
pour le pouvoir ».486 Adama TOURE, alors Ministre de
l'Information, déclarait : « Aucun régime ne
peut se passer de journalistes, c'est pourquoi le CNR a besoin de journalistes
engagés pour propager l'idéologie révolutionnaire
».487 Les organes médiatiques nationaux furent ainsi
embarqués dans le train de la révolution : « La presse
dans la période révolutionnaire évoluait dans une mouvance
générale de régime d'exception guidée par
l'idéologie marxiste-léniniste. Les réglementations et les
limites tiraient leur sens de l'idéologie communiste, appuyées
par les motions et les recommandations proposées par les 0' journalistes
révolutionnaires ». Tout journal devait se mettre au pas de la
révolution ».488
A l'évènement de la RDP, le principal organe de
presse écrite était CARREFOUR AFRICAIN, ancêtre de
la presse burkinabé créé en mars 1959. Le pouvoir
s'accapara très vite de cet hebdomadaire qui devint un axe de
déploiement de l'idéologie révolutionnaire. Les
principales rubriques parmi les douze qui composaient le journal étaient
Editorial et Idéologie. La première formulait la vision
gouvernementale sur l'actualité tandis que la deuxième mettait
l'accent sur la dissémination de l'idéologie
marxiste-léniniste pour conscientiser et éduquer les
masses.489 Pour renforcer la conscientisation du peuple et sa
mobilisation en faveur de la cause révolutionnaire, le CNR créa
le 05 avril 1984 le quotidien SIDWAYA (la vérité est
venue). Il y eut aussi la création d'un journal satirique,
l'INTRUS, « Hebdomadaire de la révélation et du
rire » dont le directeur de publication était
antérieurement attaché au service de la presse
présidentielle. Ce journal créé le 19 juin 1986 critiquait
un peu le CNR, mais restait malgré tout sous la protection de ce
dernier, notamment Thomas SANKARA, le chef de l'Etat lui-même.
Quant aux organes audio-visuels nationaux, notamment la radio
et la télévision, leurs productions à l'instar des organes
de presse écrite, furent essentiellement spécifiées par la
sauvegarde des intérêts du pouvoir révolutionnaire.
Au total, le pouvoir avait transformé l'ensemble des
mass-médias en de véritables tribunes de distillation de son
message révolutionnaire. Les pages de CARREFOUR AFRICAIN et de
SIDWAYA étaient truffées d'écrits qui tout en
rendant hommage à la révolution fustigeaient volontiers tout ce
qui ce qui semblait s'opposer au régime. Par exemple, la rubrique
«Vie des CDR » faisait cas régulièrement des
oeuvres accomplies par les structures populaires. Des « politiciens
véreux » aux « anarcho-
486 Luc Adolphe TIAO, « Les journalistes revendiquent
une presse démocratique et populaire » in CARREFOUR
AFRICAIN N°822 du 16 mars 1984, page 29.
487 Adama TOURE cité par Luc Adolphe TIAO,
idem, page 28.
488 Wendlassida Sylvestre SAM, 1999, Culture et
valeurs dans la presse burkinabé : analyse comparative du discours
culturel sous la révolution et dans le nouveau contexte
démocratique, mémoire de maîtrise en communication,
Université de Ouagadougou, FLASHS, page 13.
489 Idem, page 21.
162 syndicalistes », aucun ennemi de la
révolution n'était épargné par ces journaux qui les
persiflaient sérieusement. Au niveau de la radio et de la
télévision, c'était la même logique ; toutes les
émissions étaient tournées pour satisfaire les besoins de
défense de la révolution.
Il va sans dire que tous ceux qui n'étaient pas
d'accord avec le régime ne pouvaient évidemment pas avoir
accès aux organes de presse pour afficher leurs points de vue. Ils
subissaient les foudres verbales des CDR qui s'y adonnaient à coeur
joie. Le refus de la contestation avait conduit au bâillonnement de la
presse privée qui d'ailleurs n'avait pratiquement pas
résisté.
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