TROISIEME PARTIE 0
LES CONSEQUENCES DE
L'ACTION DES CDR
Les CDR durant les quatre années de révolution
ont participé de façon déterminante au déploiement
du pouvoir révolutionnaire du CNR. Chargés de défendre et
de consolider la révolution, les CDR ont pu réellement
s'infiltrer dans tous les domaines de la vie nationale. Du politique en passant
par l'économique et le social, les stigmates de l'action des CDR
s'étaient faites ressentir et avaient assurément
déterminé l'évolution de l'Etat révolutionnaire
dont le CNR était aux commandes.
Notre préoccupation dans cette partie de notre
étude est de connaître les répercussions causées par
la participation des CDR à l'exercice du pouvoir révolutionnaire
du CNR, d'abord sur le plan politique, ensuite sur le plan économique et
enfin sur le plan social.
Chapitre VII : L'UNIPOLARISATION DU POUVOIR ET LE CHAM
BOULEMENT DES RAPPORTS D'HEGEMONIE
Les CDR ont mené une action politique « b..]
en vue d'écraser completement la résistance des
réactionnaires »443 et de s'emparer du pouvoir
où il se trouvait. Les CDR ont été de véritables
fossoyeurs pour tous ceux qui ont tenté de prendre le contrepied de la
politique du CNR, ce qui permit ainsi à ce dernier d'unipolariser le
pouvoir en mettant en sourdine les contestations. La mort de l'opposition
politique fut vite célébrée au lendemain du 04 août
1983 tandis que les milieux syndicaux connaissaient leurs pires
déboires.
Dans notre analyse, nous évoquons premièrement
le cantonnement des partis politiques et l'effacement de l'opposition.
Deuxièmement, il s'agit pour nous d'expliquer l'affaiblissement des
syndicats par les CDR. En troisième point, il est question pour nous de
nous pencher sur les répercussions de la croisade pro-
révolutionnaire au niveau de la presse. Nous terminons notre analyse sur
la contribution des CDR à la chute du CNR.
VII .1. Le cantonnement des partis et la condamnation B
mort de l'opposition
La politique du CNR a été éminemment
marquée par l'exclusion de toutes les forces dont la conception de
l'Etat était en déphasage avec celle défendue par celuici.
De ce fait, la période 1983-1987 a été un vrai calvaire
pour les partis politiques d'opposition, notamment ceux qui faisaient la pluie
et le beau temps du temps de la IIIème République : RDA, UNDD,
UPV (devenue FPV), UNI, IPRA, GAP... Ceux-ci s'étaient trouvés
dans l'impossibilité de prendre part librement aux débats
concernant la gestion de l'Etat. En s'appuyant sur les CDR, le CNR était
parvenu à se singulariser comme le chantre incontesté de la
politique étatique. On a assisté à l'illustration d'un
système politique ayant dicté la soumission complète
à toutes les composantes politiques pour instaurer un ordre collectif
dont le CNR devait être le maître à penser et d'action. Nous
analysons la situation en deux points essentiels : d'abord,
l'élimination des partis politiques de droite, et enfin la
légitimation dictée du pouvoir révolutionnaire.
443 CNR, 1983, DOP, page 23.
VII.1.1. L'élimination des partis politiques de
droite
La conjoncture sociopolitique qui prévalait au Burkina
Faso avant la révolution était déterminée par la
cristallisation d'une crise nourrie d'intrigues entre la droite et la gauche
pour le contrôle de l'Etat. Le 04 août 1983, l'avènement de
la révolution constitua une étape de mort certaine pour toutes
les organisations qui soulevaient l'étendard de la droite. Le
système politique qui se mit en place à partir du 04 août
signa son refus total de partager le pouvoir avec tout mouvement issu de la
droite. Se réclamant comme une révolution démocratique et
populaire, marxisteléniniste, le régime politique du 04
août 1983 désigna très vite à travers son discours
d'orientation politique ses ennemis dont la droite, auxquels il se
résolut à opposer une bataille sans mesure. C'est de bonne guerre
quand on sait bien toute l'antinomie historique qui a toujours existé
entre les organisations de ces deux tendances politiques concernant leurs
propositions de gouvernance politique. D'ailleurs, l'analyse de l'histoire
politique du Burkina Faso renseigne abondamment sur les heurts auxquels ces
deux tendances se sont toujours livrées pour la conquête du
pouvoir.
L'arrivée de la gauche révolutionnaire au
pouvoir par le coup de force du 4 août 1983 constitua sans conteste une
nouvelle orientation politique définie par un unilatéralisme
idéologique. L'ostentation de la RDP avec ses tendances
marxistesléninistes comme le modèle politique idéal pour
le bonheur du peuple dénia le droit d'existence de la droite.
Assimilée à la bourgeoisie, la droite voyait son champ politique
se rétrécir sous les lance-flammes des CDR.
En s'appuyant sur les CDR, le pouvoir révolutionnaire
avait saboté sérieusement les organisations rivales de droite et
même celles qui flirtaient avec le socialisme comme le FPV de Joseph
KI-ZERBO. Dès le 04 août 1983, le CNR décidait la
dissolution des partis politiques. Cette mesure liquidatrice marquait
évidemment l'intolérance du CNR vis à vis de
l'émergence d'une force concurrente. En agissant de cette
manière, le CNR s'était adjugé le monopole de la
conception et de la direction de l'Etat.
Se servant des CDR, le CNR avait mis en place un
système de contrôle effectif des anciens responsables de l'Etat.
Au niveau des secteurs, ceux-ci veillaient au grain. Ils devaient amener ces
anciens responsables à ne pas se soustraire aux prescriptions qui leur
avaient été faites à l'occasion de leur rencontre avec
Thomas SANKARA aux lendemains du 04 août.444 En plus, ils les
conspuaient sévèrement à travers leur campagne de
propagande des idées révolutionnaires, appelant ainsi le peuple
à ne voir en eux que les fossoyeurs de son bonheur.
444 Revoir à ce propos L'OBSERVATEUR
N° 2667 du 05 septembre 1983 à la page 10.
L'appui des CDR a été indéniablement
utile au CNR dans sa politique d'exclusion de la droite du débat
politique. Comme le consent Bruno JAFFRE, la canalisation du mouvement
populaire a permis le balayage rapide des organisations de droite toutes plus
ou moins issues du RDA ou du Social-démocrate de Joseph KIZERBO comme le
FPV qui malgré sa coloration socialiste avait été
contraint à la cessation de ces activités.445 Le
leader du FPV lui-même a dû prendre le chemin de l'exil pour
échapper à la furie révolutionnaire. On l'accusait en mai
1984 d'être le principal inspirateur d'une tentative de coup
d'Etat.446 A cette occasion Luc Adolphe TIAO écrivit : «
La tentative de putsch de la droite rappelle une fois de plus aux
révolutionnaires et aux démocrates conséquents que la
lutte contre l'impérialisme international et la réaction
nationale est permanente. [...]. Lorsqu'on regarde les comploteurs, on se rend
compte que ce sont des individus insignifiants sans aucune assise populaire
susceptible de les soutenir. Ces ramassis de réactionnaires dont la
haine contre le CNR n'a d'égal que leur anticommunisme
viscéral... ».447
Cette affirmation est une illustration parfaite des
péchés dont la responsabilité était chaque fois
mise sur la droite par les concepteurs de l'Etat révolutionnaire.
Creuset de la bourgeoisie, de la réaction nationale et internationale et
de l'impérialisme, la droite fut ainsi condamnée à mourir
puisqu'elle complotait contre la révolution. Cette optique permettait au
CNR de se livrer à la construction d'un nouvel ordre
hégémonique dans lequel il constituait le sommet. La mise
à l'écart de la droite devait favoriser la réalisation de
cette volonté hégémoniste : « Désormais,
on ne doit plus distinguer un Voltaïque a travers son ethnie ou sa
région, mais il faut le considérer ~ travers son appartenance de
classe, c'est-d-dire comme homme de gauche ou homme de droite, ami ou ennemi du
peuple ».448 L'instrumentalisation des CDR a permis au CNR
de « dompter par la terreur les ennemis »449 de
la révolution et de la faire tourner au profit de ceux qui la
soutenaient.450
Le CNR restait ainsi la seule organisation "authentique" à
la tête de l'Etat dans un système où l'opposition n'avait
pas eu droit de cité.
445 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les
années sankara, Paris, L'Harmattan, page 185.
446 Clément TAPSOBA, « Tentative de
déstabilisation déjouée : la genese d'un complot de plein
naïveté » in CARREFOUR AFRICAIN N°835 du 15
juin 1984 p. p. 12%16.
447 Luc Adolphe TIAO, « Les lecons d'un
complot droitiste » in CARREFOUR AFRICAIN N° 835 du 15
juin 1984, page 7.
448 Babou paulin BAMOUNI, « Idéologie
: qu'est-ce que la gauche ou la droite ? » in CARREFOUR AFRICAIN
N° 796 du 16 septembre 1983, page 16.
449Propos de ROBESPIERRE in J.M.Alain BERNARD et
Michel ROCHE, 1983, Europe d'hier et d'aujourd'hui, Paris, Editions
Magnard, page 141.
450 Propos de Saint Just, ibidem.
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