VI.2.5. La lutte contre l'excision
Ce fut lors de la semaine nationale de la femme de mars 1985
que le CNR décida la lutte contre la pratique de l'excision. On assista
à une condamnation unilatérale de la pratique. Selon Thomas
SANKARA, l'excision matérialisait ce que la tradition africaine avait de
pire, de plus dur et de plus inadmissible.436 Il s'agissait donc
d'une condamnation sans appel d'une pratique pourtant très populaire
dont la finalité était d'aboutir à son extirpation totale
de la société.
Tâche épineuse lorsqu'on sonde la
réalité sociale sur laquelle la prégnance des symboles
culturels et religieux représentés par l'excision demeure
éminente.437 En effet, comme le fait remarquer Mathias KANSE,
l'exercice de l'excision était relatif à un ensemble complexe de
mythes et de croyances. Ainsi, on a pu penser que le maintien du clitoris chez
la femme tuait le nouveau-né qui l'effleurait. Dans certaines
traditions, la femme ne revêtait sa vraie nature que lorsqu'on lui
enlevait son clitoris qui constituait un organe virilisant. D'autres, surtout
dans les milieux musulmans, voyaient en l'excision une étape qui rendait
la femme pure. Il faut enfin relever cette opinion générale qui
estimait que l'excision était une nécessité pour s'assurer
la fidélité de la femme mariée. A ce propos, Adja Fatimata
SAMASSEGOU, exciseuse depuis l'âge de 12 ans affirmait : « Jadis
lorsque les hommes allaient en guerre ou bien étaient choisis pour faire
le guet et prévenir en cas d'agression, ils faisaient exciser leurs
femmes pour que durant leur absence elles n'éprouvent pas le
désir de rapport sexuel. [...] ll faut avouer
436 Mathias S-KANSE, « Le CNR et les femmes :
de la difficulté de libérer la moitié du ciel »
in POLITIQUE AFRICAINE N°33, 1989, Retour au Burkina, Paris,
Karthala, page 71.
437 Ibidem.
que les femmes non excisées sont plus sensuelles et
plus enclines a tromper leurs maris ».438
Le CNR se trouvait ainsi en butte à une situation
délicate qui le forçait à transiger avec l'exactitude
sociale. Mathias KANSE soutient dans ce sens qu' « il a pu mesurer la
difficulté qu'il y a a engager une lutte contre des symboles
profondément enracinés dans l'imaginaire populaire
».439
Fort de ce constat, le CNR opta pour une stratégie
souple. Il ne s'agit pas d'une décision ou d'un décret à
appliquer systématiquement, mais plutôt d'un ensemble
d'initiatives par le biais de la sensibilisation de toutes les couches
populaires pour transmuer graduellement les mentalités. Dans cette
perspective, on assista à des forums-débats sur la question,
organisés par les CDR, de concert avec les responsables des
organisations féminines et les responsables de culte. La presse fut mise
à contribution pour conférer une envergure à la
dénonciation de la pratique. Par exemple, on n'a pu lire à la une
de l'hebdomadaire CARREFOUR AFRICAIN des titres de dossier comme :
« L'excision : un égoïsme déguisé
», « Ma fille ne sera pas excisée
».440 Notons que « Ma fille ne sera pas
excisée » était d'ailleurs le titre d'un film
coréalisé par Boureima NIKIEMA et Norbert ZONGO qui a
été diffusé à la télévision pour
rendre plus agissante la sensibilisation.441
Toute analyse faite, les résultats de la croisade
contre l'excision obtenus sous le CNR demeurent rachitiques. Les
résistances à l'abandon de cet usage prôné à
cor et à cri par le CNR furent des plus vives, surtout dans les espaces
ruraux dont le taux élevé de l'analphabétisme consacrait
un certain ésotérisme au message du CNR. Il n'en demeure pas
moins que dans les centres urbains comme Ouagadougou, on a pu observer un recul
de la pratique.442
De nos jours, l'excision est devenue une pratique illicite
sévèrement punie et une opinion de plus en plus large souscrit
à cette disposition légale. Les efforts du CNR ont eu le
mérite d'avoir interpellé l'opinion nationale sur une pratique
qui était dangereuse pour la santé de la femme et que des
considérations culturelles et religieuses impertinentes avaient
légitimée à tort. Le CNR a été au
début de cette longue
438 Apolline OUEDRAOGO et Ferdinand DABIRE, «
L'excision, une ceinture de chasteté » in CARREFOUR
AFRICAIN N° 874 du 15 mars 1985, entretien avec Adja Fatimata
SAMSEGOU, exciseuse, page 19.
439 Mathias S-KANSE, op cit, page 71.
440 Apolline OUEDRAOGO et Ferdinand DABIRE, « La
mutilation sexuelle : un égoïsme déguisé ?
» in CARREFOUR AFRICAIN N° 874 du 15 mars 1985, pages 19 et
20, et Yirzaola MEDA, « Ma fille ne sera pas excisée :
plaidoyer contre l'excision » in CARREFOUR AFRICAIN
N°1006 du 02 octobre 1987, page 23.
441 Voir CARREFOUR AFRICAIN N° 1006 du
02 octobre 1987 à la page 23.
442 Christine BENABDESSADOK, « Femmes et
révolution: comment libérer la moitié de la
société » in POLITIQUE AFRICAINE N° 20, Le
Burkina Faso, Paris, Karthala, page 50.
144 marche qui a permis aux gouvernants actuels de proscrire
légalement la pratique de l'excision
En somme, la politique de révolution des
mentalités a constitué un véritable code moral et social
nouveau avec des implications diverses et complexes faites souvent de
passivité ou de résistance au niveau des couches sociales. Cela
révèle la difficulté que le CNR avait à faire
adhérer la société à un nouveau style de vie
contredisant des habitudes ou pratiques longtemps enracinées. Il ne faut
cependant pas réfuter que ce civisme révolutionnaire ait
éveillé la conscience de la population par rapport à des
questions dont le traitement avait permis de la décharger de
comportements à effets pervers.
Le rôle socio-économique des CDR a
révélé un nouveau schéma directeur de
développement déployé par le CNR dont l'originalité
s'était traduite par la sollicitation permanente des masses populaires
et l'exhortation à une vie simple basée sur
l'austérité économique. La réalisation de cette
nouvelle conception de développement fondée sur la participation
populaire s'était exprimée par la mise en route de deux
programmes de développement qui à tous points de vue ont
contribué à transformer les réalités
socio-économiques du Burkina Faso. On a assisté à un
volontarisme spectaculaire qui, tout en impliquant la population aux
activités de développement, a milité contre vents et
marées pour une reconversion des mentalités, gage d'un
développement véritable et durable. L'appréciation du
rôle socio-économique des CDR et leur exercice du pouvoir
politique met en évidence une série de bouleversements complexes
de tous ordres qui ont déterminé le cours de la
révolution. Nous analysons ces réalités dans la
troisième partie de notre travail.
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