VI.2.4. A bas, le mariage force et l'amour commercial
Le CNR considéra le collectif des procédures et
des moyens qui procédaient du droit coutumier pour le mariage comme
inconséquent et révolu. Dans l'optique du CNR, le droit
traditionnel en matière de mariage dans son ensemble était un
instrument d'oppression utilisé par les hommes pour confiner
l'épanouissement des femmes sur tous les plans. Le DOP parlait de
traditions séculaires qui vouaient la femme au rang de bête de
somme.431
L'émancipation passe par le respect de la personne de
la femme, de sa liberté dans le mariage. Ceci étant, la politique
féministe du CNR opta de dénoncer de façon
impénitente le code traditionnel du mariage puisqu' « il n'y a
de révolution sociale véritable que lorsque la femme est
libérée ».432
Le mariage forcé, pratique bien courante dans la
société burkinabé de l'époque, fut ainsi
réprouvé comme un usage liberticide qui outrageait la
dignité de la femme. Effectivement, au moment de l'avènement de
la révolution, l'emprise de la réglementation traditionnelle du
mariage était tenace sur la population, analphabète et rurale
dans sa grande majorité. Or, cette réglementation déniait
aux jeunes filles le droit de se choisir elles-mêmes leurs conjoints.
Ainsi, la plupart des mariages relevaient de l'arbitraire des géniteurs
des filles qui désignaient au gré de leurs intérêts
les hommes à marier.
Le plus souvent, pour échapper à ce dictat
conjugal, les filles préféraient aller trouver asile chez les
soeurs des congrégations religieuses catholiques.433 Celles
qui ne parvenaient pas à trouver cette solution étaient
mariées naturellement de force. L'avènement du CNR
déboucla un nouveau chapitre qui désavoua sérieusement ce
type
431 CNR, 1983, DOP, page 35.
432 David GUKUNZI, 1991, Thomas SANKARA: oser
inventer l'avenir, Paris, Pathinder - L'Harmattan, page 245.
433 Germaine SAWADOGO, « Mariage forcé
: des filles en quête de liberté », in CARREFOUR
AFR1CA1N N° 832 du 23 mai 1984, page 24.
de mariage sans le consentement de la femme dans un premier
temps, puis l'interdit dans un second temps.
Le courant féministe du CNR critiqua acrimonieusement
l'institution de la dot dans le mariage traditionnel. Préalable dans les
contractures de mariage, la dot fut dénoncée comme un type de
marchandage de la femme. Effectivement, la fille burkinabé en âge
de se marier symbolisait pour ses géniteurs un véritable magot ;
ces derniers profitaient de cette situation pour faire fortune en accordant la
fille au soupirant le plus offrant. De ce fait, on peut convenir avec le CNR
sur l'aspect mercantile que soustendait la tradition de la dot. Ce qui fait
ressortir le rejet du droit de la fille à se choisir un mari.
La dénonciation de la dot comme usage désuet et
spoliation constitua un chamboulement qui à l'instar des autres
initiatives du CNR en faveur de la femme excita bien de controverses. A
Aïcha TRAORE du SGN-CDR qui affirma que les femmes n'étaient pas
des bêtes de somme qu'il fallait livrer à des hommes qui avaient
les moyens et qui en feraient par la suite des esclaves, un homme avait
rétorqué qu'une femme qui n'avait pas été
achetée ne respectait pas son mari.434 Ces objections
peignaient fortement la complexité de l'usage dont l'ancrage dans les
moeurs constituait un écran à la volonté d'abolition du
CNR. Si pour certaines personnes comme les hommes infortunés et les
femmes, cette volonté était la bienvenue, pour d'autres comme les
parents et les "capables", elle était la malvenue.
Le CNR décria également la polygamie comme une
vilenie symbolisant la démesure sexuelle des hommes qui prenaient
plusieurs femmes qu'ils ne parvenaient malheureusement pas toujours à
entretenir correctement. Pour le CNR, la polygamie était source de
difficultés pour les femmes et dévalorisait leur image en leur
déniant le droit de s'exiger pour chacune d'elles un seul homme.
Cependant, des réalités économiques
découlait souvent la polygamie. En effet, la richesse dans le
passé s'assimilait à l'importance numérique des membres
d'une famille puisque le principal mode de production qui était
l'agriculture demandait un nombre important de bras valides.
Nonobstant ces réalités
socio-économiques, le CNR en réfléchissant avec
l'organisation des femmes décida que la monogamie était la
règle et la polygamie l'exception.435
Pour terminer, le lévirat qui était très
courant dans la société de l'époque connut une
interdiction. Désormais la veuve n'était plus obligée de
consentir à cette tradition. Avec le surgissement des maladies
sexuellement transmissibles, surtout le
434 Christine BENABDESSADOK, « Femmes et
révolution: comment libérer la moitié de la
société » in POLITIQUE AFRICAINE N° 20, Le
Burkina Faso, Paris, Karthala, page 60.
435 Idem, page 61.
142 Sida, cette décision a été, à
n'en pas douter, convenable et indispensable. Elle devait permettre par
ailleurs à la veuve d'être exemptée de toute tentative de
dépossession des biens laissés par son mari défunt. En
effet, la mort du mari était une opportunité pour ses parents
pour s'accaparer de ses possessions et dans la plupart des cas aux
dépens de la veuve et de ses enfants.
L'appréciation de l'ensemble de toutes ces mesures
prises sous le chapeau du CNR exprime un télescopage de deux types de
mentalité : la mentalité traditionnelle à la quelle se
heurte une nouvelle mentalité proposée par le CNR. De
façon explicite, l'ensemble de ces initiatives a trouvé des
résistances au niveau des sphères traditionnelles et musulmanes
pour lesquelles les pratiques décriées étaient bien
justifiées dans leurs principes socioreligieux. Malgré ces
oppositions, l'essentiel des questions soulevées a fait l'objet d'une
réflexion ayant abouti à la promulgation d'un code des personnes
et de la famille en 1988.
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