VI.2. L'emancipation de la femme: une exigence
revolutionnaire
Le CNR considéra l'émancipation de la femme
comme une nécessité dans l'approfondissement du processus
révolutionnaire : « La révolution et
l'émancipation de la femme vont de pair. Et ce n'est pas un acte de
charité ou un élan d'humanisme que de parler de
l'émancipation de la femme. C'est une nécessité
fondamentale pour le triomphe de la révolution. Les femmes portent en
elles l'autre moitié du ciel ».405 Cette conception
de la révolution sur la femme fut à l'origine d'une
véritable reconversion des mentalités qui mit désormais la
femme au coeur de la vie politique et socio-économique, faisant d'elle,
une actrice de premier plan dans le projet de développement. Dans un
pays où les femmes étaient condamnées par la routine
coutumière à jouer les seconds rôles, la politique
féministe du CNR constitua une profonde redéfinition des rapports
de genres. La complémentarité entre l'homme et la femme fut
célébrée comme une grande valeur pour l'enracinement de la
révolution. Il s'est agi de façon globale d'une politique qui a
engagé résolument les femmes dans la lutte collective
révolutionnaire pour développer le Burkina Faso.
Notre préoccupation dans cette partie de notre travail
est d'appréhender l'ampleur et la qualité des initiatives du CNR
avec le soutien des CDR pour l'émancipation de la femme.
VI.2.1. La creation de l'UF B : une structure
statutairement rattachée aux CDR
L'idée de créer une organisation féminine
pour la promotion des femmes germa très vite au niveau du CNR. Les bases
de cette organisation furent jetées avec l'institution de la Direction
de la Mobilisation et de l'Organisation des Femmes (DMOF) en octobre 1984, une
structure directement liée au SGN-CDR qui assurait son
fonctionnement.
La DMOF fut réellement un cadre de réflexion et
d'action dont la finalité était d'aboutir à
l'épanouissement véritable de la femme burkinabè. Elle a
servi de premier canal au pouvoir pour mettre en valeur toute sa politique en
faveur de la femme. Du 1er au 08 mars 1985, eut lieu à
Ouagadougou la semaine nationale de la femme. Grâce à l'oeuvre de
la DMOF, plus de 300 femmes de tous les horizons du Burkina Faso se
rassemblèrent pour réfléchir sur les problèmes qui
les encellulaient dans les conditions difficiles. A cette occasion, trois
commissions principales menèrent des réflexions et
proposèrent des résolutions pour améliorer la condition
féminine. Une
405 CNR, 1983, DOP, page 36.
133 commission réfléchit sur la situation
juridique de la femme, surtout au niveau de la famille, et émit
l'idée d'élaboration d'un code de la famille. La deuxième
commission traita du droit de la femme à l'éducation et
prôna une alphabétisation et une scolarisation des personnes de
sexe féminin à grande échelle. Quant à la
troisième commission, elle mit le cap sur la place de la femme dans la
construction économique et sociale du pays.
Dans le souci de rendre plus efficiente l'oeuvre de la DMOF,
le SGN-CDR créa en septembre 1985 l'UFB, structurellement
rattachée aux CDR. La directive instituant L'UFB affirmait vertement
d'ailleurs que l'UFB était une émanation des comités de
CDR.406 Cette dépendance de l'UFB vis-à-vis des CDR
était encore visible au niveau des dispositions statutaires qui se
calquaient directement sur le Statut général des
CDR.407 La dissolution de la DMOF à la fin de
l'année 1986 décapita l'UFB qui sombra dans la
désorganisation. Thomas SANKARA annonça la mise en place d'un
bureau national le 08 mars 1987, mais cela s'avéra sans suite. Les
tractations nourries par des calomnies et des mesquineries, des
rivalités et des querelles de préséance maintinrent l'UFB
dans un certain dysfonctionnement jusqu'au 15 octobre 1987.408
Le pouvoir a eu une nette responsabilité dans les
dysfonctionnements dont a été victime l'organisation des femmes.
Il y a lieu alors de mettre en cause le rattachement intrinsèque de
l'UFB aux CDR. Cette subordination fut à la source des
difficultés de l'UFB et au lieu de libérer la femme consacra son
maintien dans un certain confinement politique. On peut reprendre à ce
compte cette affirmation de deux responsables de l'UFB peu après le 15
octobre : « Dans l'UFB, nous ne madtrisions plus notre action. Les
dirigeants du CNR passaient au-dessus de la tete des responsables de l'UFB pour
donner des instructions a des elements de base ».409 De
même, Alima TRAORE affirma : « Le Secretariat General National
nous considérait comme une structure subordonnée qu'il controlait
étroitement. Sur papier nous étions chargées de la
coordination de toutes les actions des femmes, mais on nous refusait les moyens
politiques de la réaliser. Pour chaque action que nous voulions
entreprendre, il fallait l'approbation du secretariat general. Ainsi, beaucoup
d'initiatives ont été tunes, nous devenions de plus en plus une
structure administrative et bureaucratique ».410
Finalement, un travail de sape à l'égard de l'indépendance
effective des femmes était
406 Capitaine Pierre OUEDRAOGO « Directive du
Secretariat general des CDR relative a la mise en place de l'Organisation des
femmes » in SIDWAYA N° 359 du 23 septembre 1986, page
2.
407 Capitaine Pierre OUEDRAOGO « Directive du
Secretariat general des CDR relative a la mise en place de l'Organisation des
femmes » in SIDWAYA N° 359 du 23 septembre 1986, page
2.
408 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la
révolution, Paris, EPO International, pages 27 et 28.
409 Propos de Véronique KANDO et de Madeleine
OUEDRAOGO rapportés par Ludo MARTENS, 1989, op cit, page 23.
134 ourdi par les dirigeants du CNR. Du discours
profondément féministe à l'action, la contradiction
était flagrante.
Ce n'est cependant pas l'occasion de noircir toute l'oeuvre
entreprise par le CNR en faveur de la femme à travers
premièrement la DMOF et ensuite l'UFB. Cette politique a eu la vertu
d'avoir suscité une réelle prise de conscience sur le rôle
indispensable de la femme dans la société et la
nécessité de la participation des femmes à la construction
d'une société prospère. Malgré toutes ces
inadvertances, c'est une politique qui a provoqué un véritable
chamboulement des mentalités pour un regard plus juste sur la femme.
Jamais aucun gouvernement au Burkina Faso ne s'y était investi à
un tel degré pour cette cause pourtant juste.
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