Vl.1.5. Une culture nouvelle au service de la
revolution
La culture est l'ensemble des valeurs matérielles et
spirituelles qu'un peuple se crée au cours de son évolution. Le
pouvoir révolutionnaire pensait que la culture dans sa globalité
contribuait à l'affermissement d'une classe dominante au sein de la
société.389 Par conséquent, elle n'est donc ni
neutre ni immuable. La culture se meut en fonction des fluctuations
sociopolitiques et économiques. Stigmatisant les régimes
précédents, la première conférence des CDR leur
dénia la capacité « d'entreprendre une politique
culturelle dans le sens des aspirations des masses
386 Cheick KARAMBIRI, « La révolution
est vigilance et exigence : un sport de masse pourquoi ? » in
CARREFOUR AFRICAIN N° 903 du 04 octobre 1985, page 35.
387 Ibidem.
388 J.P AUGUSTIN et Y.K DRABO, in POLITIQUE AFRICAINE
N° 33, 1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 65.
389 Voir le rapport de la 1ère
conférence des CDR, page 101.
129 populaires ».390 La culture
prérévolutionnaire était alors marquée du sceau de
la réaction et de l'impérialisme.
Dès son avènement, le CNR fit de la culture un
champ d'expression révolutionnaire. On assista à l'affirmation
d'une nouvelle dynamique culturelle résolument attentionnée
à la cause révolutionnaire : « Pour nous [CDR],
l'objectif a atteindre est une culture qui contribue au renforcement de notre
révolution dans son étape actuelle ».391 Le
pouvoir demanda aux écrivains de mettre leur plume au service de la
révolution et aux musiciens de célébrer par leurs chants
et danses l'espérance d'un futur radieux et prometteur dans la
révolution.392 « La Révolution attend de nos
artistes [..] qu'ils mettent leur génie créateur au service d'une
culture [..] nationale, révolutionnaire et populaire
».393
Sous l'impulsion des CDR, la vie culturelle expérimenta
une effervescence qui à tout point de vue était carentielle sous
les autres régimes ayant précédé la RDP. La
responsabilisation d'un militant à l'animation culturelle au niveau de
chaque bureau CDR constitua une base importante pour la
révolutionnarisation de la culture. Ainsi, des troupes
théâtrales, des chorales, des ballets, des bals populaires...
rythmaient l'expression culturelle d'abord au niveau des secteurs pour ensuite
se répandre au plan national, notamment à l'occasion des grandes
manifestations marquant les temps forts de la révolution. Des
poèmes magnifiant la révolution furent
régulièrement imprimés dans les pages des quotidiens
d'information qui étaient étroitement contrôlés par
le pouvoir révolutionnaire. Toutes les représentions culturelles
devaient intervenir dans le cadre de la révolution et contribuer aux
actions révolutionnaires. Dans l'ensemble, les productions artistiques
ou culturelles étaient devenues des carrioles privilégiées
des mots d'ordre révolutionnaires. Elles permettaient en
résumé l'allégation de l'idéologie
révolutionnaires et la légitimation des actions qui en
découlaient.
Précisons que c'est dans ce même contexte que la
Semaine Nationale de la Culture (SNC) trouva son origine. La première
édition fut organisée à Ouagadougou en décembre
1983. Elle se tint par la suite successivement à Gaoua (décembre
1984), à Bobo-Dioulasso (mars 1986), à Koudougou et à
Réo (1988) avant de s'établir définitivement à
Bobo-Dioulasso. L'initiative de la SNC servait de levier à la
revalorisation du patrimoine culturel selon les schémas
révolutionnaires. On peut alors partager cette compréhension de
Wend-Lassida Sylvestre SAM qui avance que le nouveau pouvoir qui avait
présenté la culture comme l'une de ses priorités
traduisait ses intentions en actes par l'organisation de la première
édition de la SNC cinq mois
390 Voir le rapport de la 1ère
conférence des CDR, page 101.
391 Ibidem.
392 CNR, 1983, DOP, pages 40 et 41.
393 Ibidem.
130 après son avènement.394 De nos
jours, cette messe culturelle a acquis ses lettres de noblesse et est en passe
de devenir une manifestation de la sous-région de l'Afrique de
l'Ouest.
Dans le domaine cinématographique, la reconnaissance de
l'oeuvre des défenseurs de la révolution en faveur du
cinéma est une exigence. De 1960 à 1983, la ville de Ouagadougou
ne disposait que de quatre salles de cinéma.395 Durant les
quatre ans de révolution, les CDR en construisirent six et une salle de
théâtre (grâce à l'appui de la République
Populaire de Corée).396 Le pouvoir encouragea les
cinéastes et s'appuya sur les CDR pour ériger de nombreuses
salles à travers tout le pays dont ils assumèrent la
gestion.397 A Ouagadougou, au niveau des secteurs et dans les
établissements scolaires et universitaires, le cinéma fut
employé comme moyen de sensibilisation et d'éducation des masses.
Des semaines du cinéma cubain, soviétique... furent
organisées398. Quant à l'organisation du FESPACO, elle
était devenue surtout l'affaire des CDR qui contribuèrent
à son rayonnement. En effet, les CDR étaient le pivot des
festivités marquant cette fête du cinéma. Ils ont eu le
mérite de l'avoir rendue plus populaire.
La création de l'Institut des Peuples Noirs (IPN) en
1985, l'institution du Bureau Burkinabé des Droits d'Auteurs (BBDA)...,
que d'exemples ayant sans conteste coopéré à
l'avènement d'un printemps culturel qui se perpétue même de
nos jours. Les mérites de cette vitalité culturelle qui
génère tant de rentes substantielles et crée une
renommée au Burkina Faso reviennent incontestablement aux acteurs
révolutionnaires dont l'application a permis à l'identité
culturelle burkinabé jadis en hibernation de pouvoir s'affirmer au
bonheur des populations.
On peut dire donc que sous la période
révolutionnaire, la culture a été un instrument
d'expression populaire. La politique culturelle du CNR a servi de moyen de
séduction de l'opinion publique, c'est-à-dire comme un instrument
de canalisation de l'adhésion populaire à la révolution.
Mais, comme l'a dit Jean Pierre GUINGANE, ce qui est essentiel, c'est que non
seulement cette politique culturelle a popularisé les activités
culturelles, mais aussi et surtout les a valorisées : « 2l
n'était plus rare de voir de tr.s
394 Wendlassida Sylvestre SAM, 1998, Culture et
valeurs dans la presse burkinabé : analyse comparative du discours
culturel sous la révolution et dans le nouveau contexte
démocratique, Université de Ouagadougou, Mémoire de
Maîtrise, FLASHS, page 22.
395 Roger Bila KABORE, 2002, Histoire politique du
Burkina Faso : 1919 - 2000, Paris, L'Harmattan, page 216.
396 Ibidem
397 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les
années sankara, Paris, L'Harmattan, page 103.
398 Voir le rapport de la 1ère
conférence des CDR à la page 111.
hautes personnalités de l'Etat se déplacer
pour une manifestation culturelle ou de s'essayer a la pratique d'un art
».399
Tout en procédant à cette oeuvre de
popularisation et de valorisation des activités culturelles, le CNR
définissait sa nouvelle éthique. La culture devenait alors une
tribune de dénonciation de toutes les pratiques auxquelles
l'inimitié de la révolution était déclarée.
Il s'agissait par conséquent d'une école morale qui avait pour
mission de faire cesser ou reculer les attitudes telles la corruption,
l'injustice, la gabegie le mensonge, l'hypocrisie, le racisme.400 La
fierté et la sauvegarde de l'indépendance de l'économie
nationale furent également magnifiées par les productions
culturelles. Ainsi, se comprenait le contenu culturel du mot d'ordre «
Produire et consommer burkinabé ». « L'incitation
au port de l'habit traditionnel pour encourager le public a consommer
burkinabé sont des atouts importants a noter dans la lutte pour
l'indépendance économique de notre peuple
».401
Des succès importants irréfutables, mais aussi
des égarements qui constituent les limites de cette politique culturelle
révolutionnaire. A ce sujet, on peut citer la priorité
accordée aux arts de spectacle sans doute à cause de la
mobilisation des populations tant recherchée par le pouvoir : «
Pour le Burkina révolutionnaire, le terrain culturel constitue un
laboratoire permettant de tester ses capacités de mobilisation et
d'organisation ».402 Cette démarche a
piétiné sur l'éclosion des autres types d'expression
culturelle. Par exemple, Jean Pierre GUINGANE rapporte qu'à cause de ce
déséquilibre, le projet de construction d'un musée
national avait été transformé en celui d'un
théâtre populaire.403 Enfin, la formation des agents
culturels avait été reléguée au second plan, car on
considérait que la ferveur politique conférait la
compétence.404 Le processus de changement des
mentalités au-delà de la moralisation de la société
devait se renforcer par l'émancipation de la femme.
399 Jean Pierre GUINGANE, 1996, « Les
politiques culturelles - une esquisse de bilan » in (sous la
direction de) René OTAYEK, Filiga Michel SAWADOGO et Jean Pierre
GUINGANE, Le Burkina entre révolution et démocratie
(1988-1993), Paris, Karthala, page 85.
400 Wendlassida Sylvestre SAM, 1998, Culture et valeurs
dans la presse burkinabé : analyse comparative du discours culturel sous
la révolution et dans le nouveau contexte démocratique,
Université de Ouagadougou, Mémoire de Maîtrise, FLASHS,
page 37.
401 Voir le rapport de la 1ère conférence des CDR,
page 111.
402 Wendlassida Sylvestre SAM, 1998, op cit, page 32.
403 Jean Pierre GUINGANE, 1996, « Les politiques
culturelles - une esquisse de bilan » in (sous la direction de)
René OTAYEK, Filiga Michel SAWADOGO et Jean Pierre GUINGANE, Le
Burkina entre révolution et démocratie (1988-1993), Paris,
Karthala, page 86.
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