VI.1.4. Citoyens! Au sport pour défendre la
revolution
Le CNR mit le sport au centre de sa politique mobilisatrice et
moralisante. Ceci étant, il inscrivit la construction de 7000 terrains
de sport à travers le territoire national dans le PPD. En s'appuyant sur
les CDR, le pouvoir invita vivement la population à souscrire à
sa volonté sportive.
Cette incitation trouva un écho favorable au niveau des
CDR, et ceux-ci s'engagèrent à l'aménagement de surfaces
pour servir de terrains de sport. Dans la ville de Ouagadougou, chaque CDR
devait doter d'un terrain de sport son secteur. L'animation sportive devint
alors une constante dans la vie des CDR. Ce fut d'ailleurs pour cette raison
que chaque bureau CDR avait responsabilisé un membre aux sports et
loisirs. Ce dernier se chargeait de la coordination de toutes les initiatives
qui concouraient à créer une ferveur sportive au niveau des
masses. Par exemple, le budget 1986%1987 du secteur 30 consacra 60 000 F
à l'achat de ballons de football.379. Les secteurs 15 et 29
ne s'étaient pas contentés de réaliser un seul terrain,
mais deux. Les secteurs avaient des équipes de football qui
s'affrontaient à l'occasion de tournois comme la coupe Amilcar CABRAL du
haut-commissaire du Kadiogo.380 Sur le plan national, la
contribution des CDR à la création d'infrastructures sportives
pour
376 Voir le rapport de la 1ère
conférence des CDR, page 94.
377 Henri KABORE : entretien du 03 août 2004
à son domicile au secteur 29.
378 Babou Paulin BAMOUNI, « Idéologie
: le mot camarade », in CARREFOUR AFRICAIN N°808 du 09
décembre 1983, page 13.
379 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine
partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries,
Paris, Karthala, page 327.
380 Rapport de la 1ère conférence des CDR, page
122.
127 permettre une pratique vivante du sport dans toutes les
localités peut être saluée comme une oeuvre extraordinaire.
De 1983 à 1986, 3855 « stades » ont été
construits à travers le territoire du Burkina Faso grâce à
la mobilisation populaire exercée par les CDR.381
Le 24 septembre 1984, le CNR procéda à
l'institution du sport de masse. Chaque jeudi, les citadins avaient ce devoir
révolutionnaire de faire le sport sous la supervision des CDR. Au niveau
des services comme au niveau des CDR géographiques, une cellule de dix
militants dirigée par le responsable aux activités sportives et
culturelles fut instruite pour engager une action de sensibilisation sur la
nécessité de pratiquer le sport.382 Lors du
deuxième anniversaire de la RDP en 1985, Thomas SANKARA justifiait
l'institution du sport de masse en ces termes : « Parce que voulons
une société saine, bien équilibrée, assurée
sur ses jambes, fraiche d'esprit et de corps, la RDP a décidé
d'introduire le sport a tous les niveaux de la vie de ce pays [...]. 2l a
été décidé que le sport sera au cceur de toutes les
préoccupations des Burkinabé ».383
Cependant, résumer l'essence de cette popularisation et
cette « spectacularisation » du sport dans la seule recherche d'un
bien-être physique signifie biaiser la face cachée d'une
rhétorique qui se voulait incessamment politique. Le sport devenait
ainsi un instrument de combat révolutionnaire qui permettait au pouvoir
de s'approprier une conscience d'appartenance des masses : « Ce n'est
pas un simple creuset du divertissement. 2l nous aide a effacer toutes nos
divisions conjoncturelles et pousse tout le monde [...] a regarder la
nécessité absolue d'unifier nos rangs ».384
Le sport apparaît alors comme un moyen de mobilisation populaire au
bénéfice de la révolution.
En outre, la pratique du sport symbolisait les valeurs morales
édictées par le CNR pour la construction de sa nouvelle
société. Il s'agissait donc d'une campagne éducative
à travers laquelle se profilaient le volontarisme,
l'austérité, l'amour du travail, la combativité et la
productivité : « Le sport, c'est la victoire sur soi-meme, la
victoire sur nos instincts de paresse et de mollesse. Une lutte contre le
défaitisme et la peur de perdre. Une lutte contre l'adversité,
contre autrui ».385
L'analyse de la réaction des masses dont la ferveur
révolutionnaire devait transparaître à travers la pratique
du sport de masse est ici intéressante à faire. Très
381 Rapport de la 1ère
conférence des CDR, page 121.
382 J.P. AUGUSTIN et Y.K. DRABO, « Au sport,
citoyens ! » in POLITIQUE AFRICAINE N° 33, 1989, Retour au
Burkina, Paris, Karthala, page 61.
383 Capitaine Thomas SANKARA, « Le
deuxième anniversaire de la RDP ponctue une étape qualitative
nouvelle dans notre marche en avant », discours de l'An II in
SIDWAYA N°327 du 06 août 1985, page 4.
384 Thomas SANKARA, cité par J.P AUGUSTIN et
Y.K. DRABO, in POLITIQUE AFRICAINE N° 33, 1989, Retour au Burkina,
Paris, Karthala, page 64.
385 Propos de Thomas SANKARA cités par
Pascal LABAZEE, « La société burkinabé vue par le
pouvoir révolutionnaire : du discours a l'action » in CEAN, 24
juin 1986, Changement politique et ordre social au Burkina Faso,
Bordeaux, pp. 20 - 21.
128 vite, l'exigence de la pratique du sport de masse avait
nourri plusieurs intrigues au niveau de la société, notamment
dans les services où elle était devenue un critère
d'évaluation et d'allégeance politique. En effet, le CNR avait
décidé de ne plus se baser seulement sur les compétences
professionnelles pour avancer les fonctionnaires, mais de tenir compte de
l'assiduité de ces derniers dans la pratique du sport de
masse.386 « C'est dire que l'inaptitude totale de tout
individu a la pratique du sport équivaut a une inaptitude totale de ce
dernier a servir le peuple dans la fonction publique. Et il faut alors en tirer
toutes les conclusions ».387 De ce fait, la pratique du
sport de masse s'était révélée comme une
réalité indéniable, mais dans quel climat ?
Assurément dans un climat de coercition et de suspicion. Les
fonctionnaires dans les services n'avaient certainement pas le choix.
Néanmoins, des résistances s'étaient
dessinées. Effectivement, on assista à un télescopage
entre les CDR et les syndicats dans les services. Même lorsque cette
contestation n'était pas ouverte, elle s'exprimait de manière
insidieuse. Ces résistances furent d'autant plus efficaces qu'elles
tentèrent de contourner les décisions de l'Etat. Dans de
nombreuses administrations, la protestation face aux mesures obligées
prit des formes variées telles le retard aux exercices, la disparition
discrète après l'appel, le non achat de la tenue exigée
(le jogging frappé du sigle du CDR de l'administration). «
Cette maniere de jouer avec les normes imposées par l'Etat peut
prêter a sourire, mais elle cachait en réalité l'agacement
d'une grande partie de la population qui reprochait au gouvernement de
pratiquer la dialectique du vouloir et du non-vouloir
».388 L'utilisation du sport comme moyen de mobilisation
populaire et de défense de la révolution s'insérait dans
une réforme culturelle qui mettait au centre de ses
préoccupations, les intérêts de la révolution.
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