Chapitre VI: RAPPORT AVEC LES MASSES : «
REVOLUTIONNER LES MENTALITES POUR UNE SOCIETE NOUVELLE »
S'investir pour l'avènement de nouveaux rapports
sociaux, fruits d'une société perspicace et responsable, fut un
autre pari du CNR. Il s'agissait d'écorcher une société
essaimée de vices pour en faire un creuset d'épanouissement
d'hommes justes et dévoués à la révolution. Les CDR
devinrent alors le commando d'une mission de libération d'une
société périssant sous le joug de mentalités
néocoloniales, injustes, rétrogrades. « Les militants
CDR doivent se forger une nouvelle conscience et un nouveau comportement en vue
de donner le bon exemple aux masses populaires. [..] Sans une transformation
qualitative de ceux-ld m-emes qui sont censés -etre les
artisans de la Révolution, il est pratiquement impossible de
créer une société nouvelle débarrassée de la
corruption, du vol, du mensonge et de l'individualisme de facon
générale ».357 Les CDR devinrent ainsi les
dépositaires d'une instruction à un code moral, celui de la
révolution. L'analyse de cette morale révolutionnaire par Richard
BENEGAS est ici très intéressante à souligner : «
On peut dire schématiquement que cette morale révolutionnaire
se caractérise d'une part par un volontarisme et un ascétisme
[ comme l'avons déjà observé auparavant] qui
mettent en avant l'intégrité, l'austérité et
l'esprit de sacrifice, et d'autre part par une volonté de purification
et de rédemption qui, en s'imposant a chacun, vise a créer un
homme nouveau et a · exemplaires m pour une société
nouvelle et exemplaire ».358
Il s'agit pour nous dans ce chapitre d'appréhender dans
un premier moment l'enseignement de ladite morale par les CDR. Dans un second
temps, l'oeuvre abattue par les CDR pour réhabiliter la femme.
VI.1. La moralisation de la societe
Au nom de la morale révolutionnaire, le CNR chargea les
CDR de déplanter de la société un certain nombre de maux
et d'habitudes, et de veiller à l'inculcation d'un style de vie
respectant les fondements de la révolution.
357 CNR, 1983, DOP, pages 28 et 29.
358 Richard BENEGAS, 1983, Insoumissions populaires
et révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, page 101.
VI.1.1. La mendicité : un ;léau social a
combattre
Le problème de la mendicité fut posé
explicitement lors de la première conférence des
CDR.359 Pratique bien réelle dans la ville, le CNR stipula
qu'elle illustrait l'inaptitude du système capitaliste à
créer des emplois à toutes les personnes valides et la
capitulation des pouvoirs bourgeois renversés devant l'urgence
d'assistance aux invalides, aux personnes âgées et aux autres
démunis.
La première conférence des CDR distingua trois
catégories de mendiants : les mendiants valides (constitués des
« garibous » des écoles coraniques et
assimilés, des mères de jumeaux et de personnes oisives), les
mendiants invalides (composés d'infirmes, de handicapés physiques
et de personnes âgées) et les mendiants occasionnels (population
sinistrée du Sahel et personnes étrangères
nécessiteuses).360
Pourquoi le pouvoir révolutionnaire voulait-il faire
cesser la pratique de la mendicité ? Quelle que soit son
émanation catégorielle, elle avait été
considérée comme un parasitisme social qui était
antirévolutionnaire. « Si dans les pays oft l'exploitation de
l'homme par l'homme est la regle d'or, les gens ne sont nullement émus
par le spectacle désolant des enfants guenilles et des vieillards au
ventre creux qui prennent d'assaut les passants en quête de pitance, ici
au Burkina, nous y sommes sensibles ».361
Selon le CNR, l'existence de la mendicité dans une
société marquait le malaise et le déséquilibre de
celle-ci. Une telle société souffrait d'injustices et servait les
intérêts d'une classe au mépris des droits d'être et
d'épanouissement du plus grand nombre. « La mendicité
trouve ses causes profondes dans l'exploitation capitaliste qui laisse pour
compte une catégorie de personnes jugées inaptes ou non
nécessaires dans le processus d'accumulation ».362
Le mendiant représentait donc celui qui était victime.
C'était parce qu'il y avait des inégalités que la
mendicité existait. Chercher sa suppression dérivait de
l'humanisme révolutionnaire qui oeuvrait pour le bien-être de tout
le peuple.
Le procès du CNR à l'endroit des mendiants des
écoles coraniques se voulait sévère et catégorique
; il s'agissait d'une attitude de démission face au travail : «
2l convient d'interdire et de stigmatiser le cas de mendicité des
éleves coraniques qui est une conséquence de l'utilisation
frauduleuse et malhonnete de l'islam par des madtres coraniques pour s'assurer
des richesses sans peine et justifier leur refus de travailler
».363 L'irresponsabilité des parents des «
garibous » et des maîtres coraniques à qui il
revenait
359 Voir le rapport de la première
conférence des CDR à la page 91.
360 Ibidem.
361 CARREFOUR AFRICA1N N° 980 du 27 mars 1987,
* Editorial : Vers la disparition de la sébile », page
7.
362 Voir le rapport de la première
conférence des CDR à la page 91.
363 Ibidem.
122 l'assurance de la nourriture et de l'entretien des
initiés est à ce niveau brandie par le CNR.
Le Burkina Faso évoluait dans un processus
révolutionnaire enraciné dans le communisme. Témoigner de
la permissivité à l'endroit de la mendicité était
donc manquer de convenance aux principes de la révolution dont
l'aspiration était l'émergence d'une société
égalitaire. La mendicité pouvait conduire les jeunes à la
délinquance juvénile, « autre mal du système
capitaliste, intolérable dans la société nouvelle que nous
voulons construire ».364
La décision de proscrire la mendicité intervint
suite aux travaux du conseil des ministres le 11 mars 1987 : supprimer la
mendicité sous sa forme profession et trouver un cadre d'insertion aux
mendiants invalides plus ou moins obligés de vivre de la
générosité des autres.365
A partir du 1er juillet 1987, le Ministère
de l'Essor Familial et de la Solidarité nationale avec l'appui des CDR
entreprit une opération pour intégrer les mendiants invalides
dans des cours de solidarité.366 Cette opération
concerna tous les 30 secteurs de la ville. La tâche des CDR fut de
sensibiliser les mendiants invalides et de les conduire dans les centres de
solidarité. Mission ardue puisque les mendiants ne se laissaient pas
convaincre. Toutefois, l'opération porta fruit puisqu'au bout de trois
jours, les CDR réussirent à admettre plus d'une quarantaine.
Ceux-ci furent pris en charge, mais ils pouvaient exercer des métiers
générateurs de revenus. Il existait à cet effet un
encadrement technique mis à leur disposition.
Quant au cas des mendiants valides qui émanaient
surtout des centres coraniques, le pouvoir saisit la communauté
musulmane pour une sensibilisation des maîtres coraniques afin que leurs
disciples soient pris en charge. Cette procédure courtoise
n'empêcha cependant pas l'usage de la coercition. En effet, les CDR
n'hésitèrent pas à brutaliser des récidivistes. En
même temps, les marabouts ou les maîtres coraniques connurent la
pression. On assista à une « critique tapageuse du
"charlatanisme" (maraboutage) et de la mendicité, "déviances"
directement ou indirectement attribuées a l'islam
».367 Cette action contribua incontestablement à
dégénérer davantage les relations entre la
communauté musulmane et le CNR.
Le constat final auquel on aboutit est que les années
Sankara ont consacré la décroissance du phénomène
de la mendicité. Un constat que Bruno
364 Voir le rapport de la première
conférence des CDR à la page 92.
365 Bogna Yaya BAMBA, « Suppression de la
mendicité : difficulté d'application » in
CARREFOUR AFRICAIN N° 980 du 27 mars 1987, page 11.
366 Mathieu BONKOUNGOU, « Intégration
des mendiants dans les cours de solidarité : sensibilisation par une
approche directe » in SIDWAYA N°808 du 07 juillet 1987, page
4.
367 René OTAYEK, 1996, « L'islam et
la révolution au Burkina Faso : mobilisation politique et reconstruction
identitaire » in SOCIAL COMPASS 43(2) - REVUE INTERNATIONALE DE
SOCIOLOGIE DE LA RELIGION, Londres, ALDEN PRESS, page 240.
JAFFRE n'infirme pas : « La mendicité semble
avoir disparu de la ville excepté autour de la grande
mosguée ».368
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