Le Burkina Faso est un pays sahélien. En dehors des
régions du SudOuest qui bénéficie d'une
pluviométrie relativement abondante, le reste du pays éprouve
dans son ensemble un régime pluviométrique souvent
précaire et capricieux. Le cas du
275 Ludo MARIENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la
révolution, Paris, EPO International, page 168.
276 Helmut ASCHE, 1994, Le Burkina Faso
contemporain : l'expérience d'un auto- développement, Paris,
L'Harmattan, page 105.
277 Voir les comptes rendus du conseil des
ministres du CNR dans CARREFOUR AFRICAIN ou SIDWAYA. Par
exemple CARREFOUR AFRICAIN N° 892 du 19 juillet1985 et N°
974 du 13 février 1987 respectivement dans les pages 12 et 6.
101 Nord est très désolant avec un total
pluviométrique atteignant difficilement 500mm par an. La
végétation dans son ensemble qui résulte de cette
situation n'a rien d'extraordinaire. Elle est caractérisée par
une savane dégradant des régions Sud et Ouest aux
localités de l'Est et du Nord. Le Nord est quasiment exsangue d'arbres
et est dominé par le désert, raison pour laquelle le pays est
reconnu comme un pays sahélien.
La population du Burkina Faso en pleine croissance a
développé dans l'espace et dans le temps des agissements
prédateurs à l'endroit de la nature favorisant la
désertification.
Pour illustrer toute la gravité du
dépérissement de la nature, Thomas SANKARA déclarait lors
de la conférence internationale sur l'arbre et la forêt tenue le
05 février à Paris en 1986 : « Les Burkinabe ont regarde
mourir des mares, des peres, des filles et des fils que la faim, la famine, la
maladie et l'ignorance decimaient par centaines. Les larmes aux yeux, ils ont
regarde les mares et les rivieres se dessecher, les arbres mourir et le desert
les envahir a pas de geant. On estime a 7 km par an l'avancee du
desert ».278
Pour combattre ce fléau, le CNR institua un
ministère de l'environnement qui s'appuya sur les CDR : « La
lutte contre la desertification est surtout et avant tout (...) une affaire qui
concerne directement les CDR » affirmait la commission
économique de la première conférence nationale des
CDR.279 C'est ainsi que le mot d'ordre « les trois
luttes » a été lancé. Trois luttes pour
espérer venir à bout du phénomène de la
désertification : il s'agissait de la lutte contre la coupe abusive du
bois, la lutte contre la divagation des animaux et la lutte contre les feux de
brousse.
Le bois constituait la principale ressource
énergétique. Le pourcentage du bois dans la consommation
énergétique annuelle était de 94% en
moyenne.280 Pourtant, il fallait parcourir plusieurs dizaines de
kilomètres autour de Ouagadougou pour trouver des arbres morts et les
couper pour la consommation domestique. Ce qui n'était pas toujours le
cas car les commerçants de bois n'hésitaient pas à couper
des arbres verts au mépris de la flore. L'urgence de décourager
cette pratique appelée coupe abusive du bois se posait au CNR. La
solution fut le contrôle du commerce par les agents forestiers et les CDR
qui taxèrent des amendes aux commerçants lorsque ceux-ci ne
respectaient pas le règlement en vigueur. A partir de juillet 1985, les
CDR obtenaient exclusivement le contrôle du commerce du bois ; les
commerçants devaient désormais retirer des agréments de
coupe et de vente du bois et du charbon auprès des CDR. Ces derniers
acquirent de ce fait l'autorisation de sélectionner les demandes qui
étaient
278 Thomas SANKARA, « Sauver l'arbre,
l'environnement et la vie tout court », Discours prononcé lors
de la tenue de la conférence internationale sur l'arbre et la
forêt à Paris le 05/02/1986% in SIDWAYA N° 456 du 10
février 1986, pages 3 et 4.
279 Voir le rapport de la conférence à
la page 62.
280 Bruno JAFFRE, Burkina Faso : les années
sankara, Paris, L'Harmattan, page 131.
102 déposées au niveau des permanences,
d'attribuer les certificats aux grossistes et aux détaillants, de
contrôler les prix de vente et de revente sur les
marchés.281
La volonté d'amoindrir l'usage du bois dans la
consommation énergétique domestique s'accompagna d'une campagne
pour amener la population citadine à utiliser le gaz. Toujours dans ce
cadre, le Ministère de l'Essor familial en concertation étroite
avec les CDR conçut et vulgarisa des foyers dits
améliorés. « Cette campagne a été
entreprise en vue de sensibiliser chaque famille a la nécessité
d'avoir au moins un foyer amélioré permettant aux femmes
d'économiser 40% de leur bois ».282
En 1986, on estimait à 1749, le nombre de formatrices
initiées par le ministère de tutelle et les CDR.283
Enfin, des campagnes de reboisement furent organisées
régulièrement. Le reboisement devint un cheval de bataille
principal pour contrecarrer la désertification. Il ne se passa plus de
cérémonies sans plantations d'arbres. Lorsqu'il y avait une
cérémonie de mariage, les conjoints devaient se munir de plants
à la permanence. Ainsi, on estime à 10 millions le nombre
d'arbres qui ont été plantés dans le cadre du
PPD.284 Effort louable jamais fait sous les régimes
antérieurs.
Le cas de la lutte contre la divagation des animaux a
suscité beaucoup de controverses et de frustrations. Le CNR estima que
la part de destruction de l'environnement due à la divagation des
animaux était considérable. Il chercha alors a
sédentariser le bétail « afin de privilégier le
caractere intensif de l'élevage pour lutter contre le nomadisme
sauvage »285 dangereux pour l'environnement.
D'après les informations dont nous disposons par rapport à cette
guerre contre le fléau, les CDR avaient l'obligation d'abattre tout
animal censé être dans un enclos en temps normal qui divaguait.
Cependant, comme le souligne la première conférence des CDR,
l'application de cette mesure à savoir l'abattage systématique
des animaux avait connu une vraie désapprobation, notamment dans les
milieux ruraux.286 Les heurts entre éleveurs et CDR
étaient naturellement fréquents, les derniers exagéraient
dans l'application de la mesure. En réalité, ils en abusaient
pour disposer de la viande puisqu'ils se l'appropriaient chaque fois qu'un
animal était abattu. Même entre CDR, les conflits ne manquaient
pas au sujet des animaux abattus, notamment pour le partage de la viande
obtenu, au niveau des permanences. Finalement, il en résultait une
interprétation abusive de la mesure à des fins de gourmandise.
281 Voir Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée
à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris,
Karthala, page 309.
282 Marcelline SAMA et Omar OUEDRAOGO, « Les femmes
dans la RDP » in CARREFOUR AFRICAIN N° 894 du 2
août 1985, page 19.
283 Consulter le rapport de la 1ère
conférence des CDR, page 64.
284 Confère Discours de Thomas SANKARA sur
l'arbre et la forêt prononcé à Paris le 05 février
1986 in SIDWAYA N°456 du 06 février 1986, pages 3 et 4.
285 Ibidem.
286 Confère Rapport de la 1ère
Conférence des CDR, page 69.
103
Enfin, en ce qui concerne les feux de brousse, il faut
reconnaître qu'ils constituaient en vérité un
phénomène dont les méfaits sur l'environnement
étaient expressifs. Avant l'arrivée du CNR au pouvoir, le
phénomène était fréquent surtout après la
saison pluvieuse à cause des compagnes de chasse et des travaux
champêtres. Au pouvoir, le CNR décida de faire abandonner cette
pratique calamiteuse. En effet, les feux de brousse étaient
utilisées comme techniques de défrichage ou de chasse. En
collaboration avec le ministre de tutelle de l'environnement, les CDR
organisèrent des campagnes de sensibilisation au niveau des villages au
cours desquelles ils promirent de lourdes peines aux pyromanes.287
Dans l'ensemble, la diminution des feux a été une
effectivité entre 1983 et 1987. Faite pacifiquement ou coercitivement,
l'oeuvre sensibilisatrice avait porté du fruit. Cependant, après
la chute du CNR, le phénomène allait reprendre de plus
belle.288 La sensibilisation n'avait donc pas touché tout le
monde ou du moins on avait respecté le mot d'ordre sans rien comprendre
de sa vertu.
On ne peut certainement pas dresser un bilan négatif
en ce qui concerne les trois luttes contre la désertification. Les trois
luttes ont été des écoles dont la contribution à la
responsabilisation du citoyen burkinabé vis-à-vis de son
environnement a été possible au-delà des écueils
qu'elles ont comportés avec l'action des CDR.