V.2.3. La santé a la portée de tous
Promouvoir une santé accessible à tout le monde
faisait partie des préoccupations cardinales du CNR. Très vite,
ce dernier entreprit des actions concourant à cet objectif. Tout ce qui
était lié au domaine sanitaire fit l'objet d'une réflexion
de la part des révolutionnaires en vue de trouver des moyens et des
méthodes d'action adéquats pour garantir la santé de la
population.
Ainsi, le DOP stipulait : « Dans le domaine sanitaire
et de l'assistance sociale en faveur des masses populaires, les objectifs a
atteindre se résument en ceci
ü Une santé a la portée de tous,
ü La mise en oeuvre d'une assistance et d'une
protection maternelle et infantile,
ü Une politique d'immunisation contre les maladies
transmissibles par la multiplication des campagnes de vaccination,
ü Une sensibilisation des masses pour l'acquisition de
bonnes habitudes hygiéniques.
287 Confère Rapport de la 1ère
Conférence des CDR, page 69.
288 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les
années sankara, Paris, L'Harmattan, page 133.
Tous ces objectifs ne peuvent etre atteints sans
l'engagement conscient des masses populaires elles-memes dans le combat sous
l'orientation révolutionnaire des services de santé
».289
Ces déclarations formulaient toute l'importance de
l'engagement du CNR qui entendait se baser sur la mobilisation et la
responsabilisation de la population pour promouvoir une meilleure santé
au grand bonheur de celle-ci. Un engagement qui ne s'est pas contenté de
se répéter dans le style monotone de la parole, mais qui
s'était traduit par des actions et des résultats probants.
Ainsi, dans le cadre d'actions dites commando, le CNR
lança dans un premier moment une vaste campagne de vaccination
dénommée « vaccination commando ». Les actions
commando furent initiées par le CNR pour agir de façon
concertée et rapide face à des situations d'urgence auxquelles la
société était confrontée. Cette vaccination
commando constitua une opportunité fort salvatrice pour des milliers
d'enfants qui étaient menacés par des maladies comme la rougeole,
la fièvre jaune, pour ne citer que celles-là.
En effet, le Burkina Faso avait un taux de mortalité
infantile des plus élevés au monde, estimé à 150%o
à la naissance et à 36%o avant la quatrième
année.290 Sous la présidence de Sangoulé
LAMIZANA, un vaste programme de vaccination avait été
conçu et devait être exécutoire à partir de 1980.
Mais, ce programme avait connu des retards assez criards non seulement à
cause de l'inexistence des ressources humaines et de logistique
adéquates pour assurer la vaccination, mais encore à cause des
remous politiques qui ne permettaient pas sa mise en oeuvre. Le CNR à
son accession au pouvoir se résolut le 19 septembre 1984 à
rattraper ce retard à l'issue d'un conseil de ministres. Les CDR furent
vivement sollicités pour cette campagne inédite.
Elle se tint du 25 novembre au 10 décembre 1984 et
remporta un succès qui fit écho dans le monde entier et provoqua
une admiration internationale pour le pays. Les tâches de sensibilisation
et d'organisation furent « royalement » assumées par les CDR.
Ceux-ci passèrent dans les familles pour convaincre les parents de faire
vacciner leurs enfants, procédèrent au recensement de ces
derniers, à la vente des carnets et à l'organisation des
séances de vaccination. La presse nationale fut mise largement à
contribution pour faire passer cette propagande.
Grâce à cette sensibilisation et à cette
mobilisation populaires réussies par les CDR en liaison étroite
avec les services de santé, plus de 2 millions d'enfants de
289 CNR, 1983, DOP : « Pour une
révolutionnarisation de tous les secteurs de la société
voltaïque », page 42.
290 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les
années sankara, Paris, L'Harmattan, page 79.
105 moins de 14 ans avaient été
vaccinés291. Rarissime succès dans le monde, ce qui
valut aux autorités les vives congratulations du Directeur
général de l'UNICEF, Monsieur James GRANT, en ces termes : «
J'ai été impressionné par l'engagement que le
gouvernement a montré a l'occasion de cette campagne, aussi bien en
ressources humaines et financieres que la maniere dont toutes les
méthodes disponibles ont été utilisées pour
réussir la nécessaire mobilisation de la communauté [...]
Cet effort national est une des étapes mémorables du monde actuel
vers la révolution pour la survie de l'enfant, et je suis fier que
l'UNICEF ait pu etre associé a ce succes historique du gouvernement du
Burkina Faso ».292
A partir 1983, le CNR lança l'opération «
un village, un poste de santé primaire » afin de doter
chaque village d'un local sanitaire dans lequel les habitants pouvaient
bénéficier de soins élémentaires. Cette
opération que Basile GUISSOU appela symboliquement « la
santé des cases rondes » remporta aussi un succès. Bien
sûr, par la suite, certaines cases manquèrent de locataires pour
donner les soins sollicités par les villageois. Mais, ce qui est
spectaculaire ici, c'est l'engouement populaire rural obtenu par la
sensibilisation des CDR ayant permis l'érection de ces infrastructures
de santé. Même en ville, on assista à la construction
d'infrastructures sanitaires grâce à l'action des CDR. Pour
obtenir les fonds, ceux-ci faisaient cotiser les gens, organisaient des
kermesses ou s'adressaient à des ONG. La main-d'oeuvre était
assurée gratuitement. Le bilan de la première conférence
des CDR faisait état de la construction de 24 Centres de Santé et
Promotion Sociale (CSPS), 6 maternités, 90 dépôts
pharmaceutiques, 28 dispensaires et 1 centre médical, tout cela
grâce aux CDR.293 Par exemple dans la ville de Ouagadougou,
les CDR des secteurs 17, 19, 28 et 30 construisirent des dispensaires, un pour
chacune des circonscriptions. Au secteur 25, ils édifièrent un
PSP.294
Ce qui fut déplorable dans l'érection de ces
différentes formations sanitaires fut la coercition qu'elles
causèrent souvent. Ceux qui refusèrent de cotiser ou de
travailler bénévolement endurèrent parfois de mauvais
traitements de la part des CDR au nom de l'intérêt du peuple. Des
déviations comme l'escroquerie, la mauvaise gestion de l'argent
récolté constituent de nos jours des données qui mettent
à jour les insuffisances de cette autogestion sanitaire de
proximité animée par les CDR.295
291 Basile GUISSOU, 1995, Burkina Faso : un espoir
en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 121.
292 Propos cités par Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso :
les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 80.
293 Voir le rapport de la 1ère
conférence des CDR à la page 86.
294 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée
à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris,
Karthala, page 320.
295 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la
révolution, Paris, EPO International page 212.
La politique de santé du CNR intégra
l'éducation sanitaire (assainissement) de la population et la question
de l'eau potable dans son programme. Ainsi, le pouvoir montra son aspiration
à inculquer dans l'esprit de la population de bonnes habitudes
hygiéniques susceptibles d'aider à la prévention des
maladies. Quoi de plus logique, salubrité rime bien avec
bien-être. Les CDR agirent dans ce sens pour amener les gens à se
créer un cadre de vie sain. Toutes ces actions se faisaient en liaison
étroite avec l'ONASENE.
Dans le cadre des travaux d'intérêt commun, les
CDR effectuèrent régulièrement des nettoyages. Ils
organisèrent des opérations dites « mana mana
» ou « ville propre » à Ouagadougou pour y faire
de la propreté une réalité. Des lieux de
dépôt des déchets publics furent alors choisis dans les
secteurs. Une fois que la nécessité d'un ramassage se posait, les
CDR qui en assuraient la surveillance faisaient appel à l'ONASENE, qui
se chargeait de transférer les ordures ailleurs. Les latrines publiques
furent considérées comme un outil indispensable dans la promotion
de l'hygiène publique. Le bilan de la première conférence
des CDR indique que jusqu'à l'avènement du 04 août 1983,
seulement deux latrines publiques existaient dans la ville de
Ouagadougou.296 Sylvy JAGLIN confirme ce fait en ces termes : «
Equipements nouveaux a Ouagadougou, il en existe deux seulement au
marché central avant 1983 ».297 Grâce
à un appui de l'UNICEF, les CDR en construisirent douze entre 1983 et
1986.298 Le gardiennage de ces édicules étaient
assuré par les CDR qui s'occupaient du même coup de l'entretien
grâce à un matériel obtenu de l'UNICEF (balais, bottes,
savon...).299
L'éducation de la population en matière
d'hygiène s'inséra dans cette politique d'assainissement. La
discipline fut imposée à cet effet. Par exemple l'interdiction de
jeter des ordures, des eaux usées, des emballages en dehors des
dépôts publics ou de « faire ses besoins » en dehors des
latrines publiques. Les CDR réprimandaient sévèrement les
contrevenants, parfois à coup d'amende. Cette volonté de
gendarmer les comportements quotidiens pour exiger un code de conduite amenait
les CDR à s'infiltrer dans les pratiques journalières des
familles d'où des mésententes. Cette ingérence
était détestée par les ménages qui accordaient aux
CDR du crédit pour conduire des chantiers collectifs mais leur
déniaient le pouvoir de juger et de dicter les moeurs internes
familiales.300
En ce qui concerne la question de l'eau, le pouvoir
révolutionnaire ambitionnait de fournir au moins 25 litres d'eau potable
à chaque habitant par jour.
296 Rapport de la 1ère conférence des CDR, pages 87
et 88.
297 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine
partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries,
Paris, Karthala, page 325.
298 Ibidem .
299 Ibidem .
300 Idem, page 329.
107 L'eau c'est la vie, dit-on généralement. La
question de l'eau constituait donc une préoccupation majeure du CNR.
Dans les milieux villageois, les habitants ne disposaient guère de l'eau
potable, et en ville, l'approvisionnement en eau de façon
régulière et suffisante n'était pas toujours une
évidence.
Pour juguler le problème, le CNR créa un
ministère de l'eau. Grâce à la mobilisation des structures
populaires, plus de 250 retenues d'eau et de 2 000 forages dans les campagnes
et dans les villes purent être édifiés.301 Entre
1945 et 1980, on dénombrait 7 centres de distribution d'eau courante
dans tout le territoire national. Entre 1980 et 1986, on en comptait 17, et de
1986 à 1990, 34.302
A partir de l'année 1985, le CNR confia la gestion et
la distribution de l'eau potable aux CDR. Les bornes-fontaines, les postes
d'eau autonome et les pompes manuelles passèrent sous le contrôle
direct des CDR. Il s'agissait de faciliter la distribution en veillant au
respect de l'ordre au niveau des dispositifs de distribution et d'éviter
les spéculations au niveau de la revente. A cet effet, une lettre du
directeur régional de l'ONEA adressé au haut-commissaire du
Kadiogo stipulait : « L'évènement est d'importance
d'abord par le simple fait de la gestion du bien du peuple par lui-même a
travers ses organisations démocratiques révolutionnaires ;
ensuite parce qu'il permet le nécessaire controle aussi bien a l'amont
qu'd l'aval de la vente d'eau dans un contexte particulier
caractérisé par une rareté de la ressource et oft les
fossoyeurs des intérêts des masses populaires spéculent et
font de l'eau une marchandise a sources de revenus ».
303
Au-delà de cette volonté de socialiser les
services d'eau pour l'intérêt général, le transfert
de l'affermage des bornes-fontaines aux CDR connotait politique. Avant 1983,
les pouvoirs traditionnels contrôlaient majoritairement les circuits de
distribution d'eau. Le fond de la nouvelle disposition fut alors de leur
retirer l'affermage afin d'émousser leur assise populaire ;
assurément il n'a pas été révélé que
les chefs moose étaient les seuls à contrôler la
distribution collective de l'eau dans la ville de Ouagadougou avant 1985,
« mais il est acquis qu'ils en profitaient largement dans certains
quartiers ».304
En définitive, eu égard aux avancées
obtenues malgré certains dysfonctionnements, on peut convenir que la
politique sanitaire du CNR a enregistré des résultats concluants.
Elle a permis la conception de schémas dans lesquels les structures
populaires ont contribué largement à créer des conditions
de bien-être social.
301 Confère le rapport de la 1ère
conférence des CDR, page 67.
302 Basile GUISSOU, 1995, Burkina Faso : un espoir
en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 112.
303 Cité par Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion
urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et
périphéries, Paris, Karthala, page 349.
304 Ibidem.
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