DEUXIEME PARTIE :
LES CDR ET L'EXERCICE DU
POUVOIR SOCIO-ECONOMIQUE
DU CNR :PARTICIPATION
POPULAIRE ET CONSTRUCTION
D'UNE SOCIETE NOUVELLE
Le projet politique du CNR était
intrinsèquement lié à son ambition
socio-économique. L'occupation du champ politique par les CDR devait
garantir des conditions favorables au CNR pour mettre en oeuvre son projet de
développement et construire une société nouvelle. Les CDR
ont constitué la plaque tournante de cette politique
socio-économique et de construction de société nouvelle.
Ils canalisèrent une participation populaire qui permit au CNR de
réaliser son projet de développement économique et
social.
Comment les CDR se sont-ils appliqués dans la gestion
révolutionnaire de l'économie et dans la réalisation des
programmes populaires de développement? Dans quels domaines ont-ils
intervenu? En quoi ont-ils aidé le CNR à changer les consciences
pour construire une société nouvelle ? Telle est la
problématique de cette partie de notre étude.
Notre approche se structure en deux chapitres. Le premier
marque notre attention sur l'oeuvre socio-économique des CDR. La
deuxième traite des rapports sociaux des CDR avec la population dans le
cadre de la révolution des mentalités pour l'édification
de la société nouvelle.
Chapitre V : L'ACTION SOCIO-ECONOMIQUE DES CDR :
L'IMPLICATION DES CDR DANS LA POLITIQUE SOCIO-ECONOMIQUE DU CNR
L'ambition socio-économique du CNR fut de
révolutionner les statistiques et les performances sur le plan
économique et social, afin de se démarquer des politiques
économiques des régimes antérieurs, qui selon lui, avaient
étendu leur impotence à promouvoir des schémas de
développement pertinents. Pour cela, il fallait favoriser le
développement « d'une économie nationale,
indépendante, auto-suffisante et planifiée au service d'une
société démocratique et populaire
».242
L'édification de cette économie donna
l'opportunité au CNR d'entreprendre des réformes qu'il chercha
à réaliser en s'appuyant sur les CDR. Dans cette logique, ces
derniers se virent confiés la gestion du pouvoir économique et
consacrés comme le socle de l'exécution des projets populaires du
CNR.
Notre réflexion dans ce chapitre a comme point de mire
deux interrogations :
ü Comment les CDR ont-ils assuré la gestion du
pouvoir économique ?
ü Quel a été le rôle des CDR dans
l'exécution des programmes populaires du CNR ?
V.1. La gestion du pouvoir economique : contriller et
lutter contre la corruption
L'association des CDR à la gestion du pouvoir
économique déduisait le besoin du CNR de parvenir à un
contrôle véritable des circuits de production et de distribution.
Pour le CNR, sans une maîtrise effective de ces circuits, il était
pratiquement illusoire d'édifier une économie indépendante
au service du peuple.243
Ainsi, les institutions économiques étatiques
toutes comme les sociétés privées devaient
nécessairement accepter la présence des CDR en leur sein et tenir
compte de l'avis de ces derniers dans la gestion de leurs affaires
intérieures. A ce propos, le 15 octobre 1984, le CNR prit l'Ordonnance
N° 84-57/CNR/PRES244 qui
242 CNR, 1983, DOP : « Pour une
révolutionnarisation de tous les secteurs de la société
voltaïque », page 38.
243 Idem, page 42.
244 Ordonnance N°84-57/CNR/PRES du 15 octobre
1984 in Pascal ZAGRE, 1994, Les politiques économiques du Burkina
Faso : une tradition d'auto-ajustement structurelle, Paris, Karthala, page
150.
91 réforma entièrement les principes
régissant la gestion des sociétés. Cette nouvelle
réglementation permettait aux CDR de siéger dans les conseils
d'administration des sociétés et établissements au
même titre que les actionnaires. Tous les acteurs économiques
devaient obligatoirement composer avec les CDR, au risque d'être
accusés de ramer à contre-courant des idéaux
économiques du pouvoir.
La participation des CDR à la gestion des institutions
économiques était une démarche qui ne se résumait
pas simplement au contrôle des opérations économiques, elle
devait permettre également de combattre la corruption. Les CDR avaient
le droit et le devoir de faire montre de vigilance afin de pouvoir
dénoncer les faits de fraude, de gabegie...
Pour une meilleure compréhension du contrôle des
activités économiques par les CDR, notre travail se consacre
à une étude de cas : d'abord le commerce, ensuite les entreprises
publiques et privées, après les activités
douanières, enfin les recettes et le budget de l'Etat.
V.1.1. Le contrôle du commerce
D'entrée de jeu, faisons remarquer que le
commerçant n'avait pas toujours bénéficié d'un bon
jugement de la part du CNR à son avènement. En effet, le discours
révolutionnaire avait perçu le commerce comme un creuset
d'embourgeoisement, d'enrichissement illicite qui naturellement était
dangereux pour la révolution : « Cette fraction, de par ses
activités m-emes, est attachée a l'impérialisme par de
multiples liens. La suppression de la domination impérialiste signifie
pour elle la mort de a · la poule aux ceufs d'or m. C'est pourquoi elle
s'opposera de toutes ses forces a la présente révolution
».245
La volonté manifeste du CNR de contrôler les
pratiques commerciales se traduisit par la création des CDR au niveau
des marchés urbains. Le CNR confia alors aux CDR la surveillance de tous
les circuits de production et de distribution en instituant des services de
contrôle pilotés par eux. En amont, il y avait une direction de
taxation des prix des produits de première nécessité, et
en aval, une direction de contrôle des prix sur les différents
marchés. Le but de ces structures était surtout de lutter contre
les spéculations afin de socialiser les prix. Cette socialisation des
prix devait permettre aux gens de pouvoir s'approvisionner facilement, surtout
en ce qui concerne les produits de première nécessité.
Dans ce cadre, l'OFNACER fut confié aux CDR. La
présence de ces derniers dans cette institution avait non seulement
permis la protection de celle-ci contre la concurrence des privés, mais
aussi le plafonnement des prix des céréales. Cela
245 CNR, 1983, DOP : «
L'héritage des 23 années de néo colonisation
», pages 15 et 16.
92 avait été possible parce que les
commerçants étaient tenus par une ordonnance de se munir d'un
agrément de vente qu'ils devaient retirer auprès des CDR : «
La commercialisation des céréales se fera désormais
sous le controle effectif des organisations populaires que sont les
Comités de Défense de la Révolution
».246
Ajoutons la création des magasins populaires Faso
Yaar qui venaient renforcer les dispositifs de contrôle des prix
existant. En effet, ces magasins devaient par la compétitivité
des prix de leurs produits amener les commerçants à éviter
les spéculations.
Pour terminer, il faut noter que les CDR supervisaient les
différents prélèvements de taxes ou impôts sur les
commerces dans les marchés.
De façon globale, les CDR contrôlaient
étroitement tout le secteur informel. Les acteurs du commerce furent
tenus de se conformer aux dispositions décidées par les CDR. Les
contrevenants étaient accusés de véreux et combattus
dûment.
Malgré l'existence d'organisations syndicales pour
assurer la défense de leurs intérêts, les
commerçants endurèrent une certaine coercition de la part des CDR
qui leur fut fort regrettable parce que corrodant leurs affaires personnelles.
Restons là pour dire que ce fut par cette politique du bâton que
le pouvoir entama la destruction et la reconstruction du marché central
Rood-woko. A ce sujet, El Hadji Dramane dit : « On nous avait
dit clairement que la tête de celui qui était contre le projet
servirait de premiere pierre a la construction du marché. Apres cela, il
n'y avait plus de discussion possible ».247 Avec la
présence des CDR, les commerçants n'avaient pas de liberté
de contestation, ils devaient seulement suivre. Ce que Valère SOME
confirme en ces termes : « Avant nous, en raison de l'état
délabré de Rood-Woko, tous les régimes avaient voulu lever
les commercants. Mais, ils n'avaient pas de CDR ».248
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