La contribution des syndicats fut capitale dans la
conquête du pouvoir étatique par le CNR. Depuis
l'indépendance du pays jusqu'à l'avènement de la
révolution, la part des syndicats dans l'instabilité politique a
été déterminante. Rappelons ainsi que ce fut un mouvement
de masse canalisé par les syndicats qui mit fin au régime du
président Maurice YAMEOGO sous la première République. A
partir de cet instant, les syndicats s'étaient rendu compte de toute
leur importance, de toute leur capacité à décider de
l'évolution politique du pays. Ainsi, tous les régimes qui se
succédèrent jusqu'à l'avènement de la
révolution furent obligés de composer avec les syndicats. Les
syndicats étaient devenus un cheval de Troie pour la conquête du
pouvoir. Ceci étant, ils n'étaient pas politiquement neutres et
leurs accointances et manoeuvres avec les partis politiques n'étaient
point cachées.
A l'instar des partis politiques, qui idéologiquement
s'opposaient, les syndicats aussi défendaient des revendications
antagonistes : d'un côté, les centrales syndicales dites
réformistes comme la CNTV et l'ONSL qui flirtaient avec les
organisations politiques de droite, et de l'autre, celles progressistes comme
l'USTV et surtout la CSV, qui militaient pour l'instauration d'un pouvoir
révolutionnaire. Il n y avait donc pas bon ménage entre ces deux
tendances qui idéologiquement, politiquement et
socio-économiquement étaient antinomiques. Effectivement, de
façon classique, le courant réformiste cherche à s'appuyer
sur l'Etat bourgeois et le capitalisme pour créer un Etat et une
société prospère. Il ne prône pas un renversement de
l'Etat bourgeois capitaliste.160 Contrairement à ce dernier,
la tendance révolutionnaire remet en cause le système capitaliste
qu'elle considère comme étant source d'exploitation et de
misère du peuple. Il est donc impérieux de renverser l'ordre
capitaliste et d'installer un système socialiste.161
Ceci étant, on peut comprendre aisément le
rôle de catalyseur que la CSV pro révolutionnaire avait
joué en faveur de l'avènement du 04 août par ses liens
étroits avec la LIPAD-PAI,162 et par ricochet avec les
militaires qui avaient été à la tête du mouvement.
L'amitié entre la CSV et les militaires progressistes se scella surtout
lors du congrès du SUVESS (un syndicat affilié à la CSV)
en janvier 1983 où Thomas
160 Emmanuel ILBOUDO, 1985, Révolution et
pratiques syndicales au Burkina, mémoire de maîtrise,
Université de Ouagadougou, E.S.D, page 23.
161 Idem, page 24.
162 Créée en 1974, la CSV
était surtout animée par des militants qui politiquement
étaient du côté de la LIPAD-PAI. Son Secrétaire
général, Soumane TOURE, avait été un des fondateurs
de la section estudiantine du PAI à Dakar.
65 représentant l'aile révolutionnaire du
CSP163 fut invité. A l'issue de cette réunion
syndicale, Thomas SANKARA fit des déclarations qui lui valurent la
sympathie des syndicats de gauche. Ce qui était tout à fait
compréhensible puisque tous partageaient une idéologie commune.
Dans son intervention, il avait encouragé les syndicats à oeuvrer
pour restituer aux travailleurs voltaïques leur dignité tout en
leur assurant la solidarité du CSP qui s'interdirait de tout caporalisme
à leur l'endroit.164 Il parla d'une relation d'amitié
qui allait se nourrir d'apports critiques mutuels.165
En cherchant à s'approcher des syndicats de gauche,
Thomas SANKARA était bien conscient de leur soutien nécessaire
pour la conquête du pouvoir compte tenu de leurs aptitudes à
mobiliser les masses. Du côté de la CSV, cette amitié
était utile puisqu'elle lui permettait d'avoir des alliés
militaires pour l'épauler dans ses options. Donc, les uns servaient les
intérêts des autres et vice-versa, visant tous un
objectif commun : la prise du pouvoir et l'instauration d'un régime
révolutionnaire. Ce qui fut une réalité le 04 août
1983 avec l'avènement du CNR.
En soutenant la conquête du pouvoir, la CSV contribua
à marginaliser les autres centrales syndicales. Au lendemain du 04
août, il ne recela point son admiration pour le nouveau régime.
Lors d'un meeting organisé 18 décembre 1983 pour
commémorer la grève des 17 et 18 décembre
1978,166 son secrétaire général, Soumane TOURE,
exerça une violence verbale contre les autres syndicats qui
dédaignaient de suivre la démarche de la CSV. Il les condamna en
bloc, les accusant d'avoir conspiré avec les régimes pro
impérialistes et les politiciens réactionnaires contre les
travailleurs ; il lança un appel aux militants de ces syndicats à
rejoindre la CSV s'ils ne voulaient pas trahir les héros du 04
août.167 Il s'agissait en fait d'une
stratégie de liquidation des autres organisations syndicales pour
contrôler à elle seule le monde des travailleurs. La CSV
disconvenait ainsi le droit d'existence aux syndicats qui se
démarquaient du processus en cours : toutes les autres centrales
devaient alors se mettre sous le chapeau de la CSV.
Ce comportement de la CSV était vraiment
bénéfique pour le CNR car il affaiblissait
considérablement les organisations de la droite dont l'inimitié
à son égard
163 Le CSP était profondément
divisé en deux tendances : une droitiste qui naturellement était
supportée par les organisations de droite et une gauchiste
appuyée par les partis et syndicats de gauche.
164 Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et
démocratie en Afrique noire : l'expérience du Burkina Faso,
Paris, INADES-Karthala, pages 171 et 172
165 Ibidem
166 Il s'agit d'une grève qui avait obligé le
président LAMIZANA à renoncer à son projet de constitution
d'un parti unique en l'occurrence le MNR (Mouvement National pour le
Renouveau).
167 L'OBSERVATEUR N°2741 du 19 décembre
1983, page 11, cité par John David KERE, Syndicats et pouvoirs
politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de
BORDEAUX I, IEP/CEAN, page 82.
66 était visible : en réalité, comme le
souligne éloquemment Kabeya Charles MUASE, « l'opposition de la
CSV et le reste du mouvement syndical va au-deld de la distinction classique au
Burkina entre syndicalisme réformiste et syndicalisme de 0' lutte de
classe ». La convergence d'intérêts entre la volonté
hégémonique de la CSV sur le mouvement syndical et celle du CNR
sur le champ politique et social est ici intéressante
».168
Les déclarations de la CSV n'étaient pas du
tout inopinées, mais intrinsèquement liées à
l'attitude de certains syndicats notamment le SNEAHV,169 qui
affichèrent très vite leur hostilité au CNR. En effet, le
SNEAHV qui était en congrès170 au moment de
l'accession du CNR au pouvoir ne s'était pas abstenu de propos
acérés à l'endroit de ce dernier qu'il accusa dans une
motion de censure d'être une autre appellation du fascisme
déjà célèbre du CSP première
formule.171 La LIPAD-PAI,172 défendant le CNR,
répliqua que le SNEAHV « n'a jamais eu le courage de ses
opinions politiques parce que sans assise populaire et passée madtresse
dans l'art de l'infiltration et de la phagocytose des mouvements progressistes
et révolutionnaires qu'elle n'a jamais suscités
».173
Le 25 septembre 1983, le SNEAHV radicalisa davantage sa
position en affichant explicitement son opposition inoxydable au pouvoir en
place. Dans un communiqué, le SNEAHV critiqua encore une fois
sévèrement le CNR, dénigra la LIPADPAI de laquelle il
invita les gens à se démarquer, puis s'attaqua aux CDR, les
accusant d'être de moralité douteuse.174 Contre-attaque
du SGN-CDR : « Ce communiqué diffusé en Haute-Volta par
une certaine presse vise trois objectifs : désintégrer le CNR par
la tactique des manceuvres de diversion, mener des opérations de sape en
vue de discréditer le CNR, alerter la réaction nationale et
internationale dans le but de l'amener a renverser notre pouvoir. Ces objectifs
constituent des menaces pour l'existence de la révolution dont nous
sommes librement et consciemment engagés a défendre quoi qu'il en
coilte ».175
168 Kabeya Charles MUASE, « Un pouvoir des
travailleurs peut-il etre contre les syndicats ? » in POLITIQUE
AFRICAINE N° 33, 1989, Retour au Burkina, page 52 et 53.
169 Le SNEAHV était très proche du FPV
de Joseph KI-ZERBO.
170 Le congrès se tenait à
Bobo-Dioulasso du 02 au 07 août 1983.
171 Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et
démocratie en Afrique noire : l'expérience du Burkina Faso,
Paris, INADES-Karthala, page198.
172 Rappelons que la LIPAD-PAI était
soutenue par la CSV, rival du SNEAHV. Ce dernier était affilié
à la première dans le passé. Leur rupture était
intervenue à l'occasion de l'avènement du CMRPN au pouvoir. En
1981, le pouvoir de Saye ZERBO soutenu par le SNEAHV avait supprimé le
droit de grève. La volonté de la CSV de récuser ladite
suppression provoqua sa dissolution le 02 novembre1981. Le SNEAHV
désavouant l'option de la CSV l'avait quittée aussitôt.
173 Déclaration de la LIPAD-PAI, in Kabeya
Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et démocratie en Afrique noire :
l'expérience du Burkina Faso, Paris, INADES-Karthala, page 198.
174 «
Communiqué du SNEAHV » in L'OBSERVATEUR N°2687 du 03
octobre 1983, pages 8 et 9.
175 Lieutenant Pierre OUEDRAOGO, «
Communiqué de presse du SNEAHV, les CDR répondent »
in L'OBSERVATEUR N° 2690 du 06 octobre 1983, page 8.
Quelle compréhension peut-on avoir de l'attitude du
SNEAHV contre les révolutionnaires ?
En réalité, les rebonds du SNEAHV expliquaient
sa désapprobation de l'interdiction des partis politiques par le CNR,
surtout que cette interdiction ne concernait pas des partis comme le PAI-LIPAD
qui partageait le pouvoir avec le CNR. En outre, au-delà de cette
perception, on peut avancer le fait que le SNEAHV voulait se faire la caisse de
résonance de tous ceux qui avaient été mis à
l'écart par le régime. Ce qui était naturellement
dangereux pour ce dernier qui n'avait pas du tout intérêt à
avoir en face de lui une contestation structurée. Enfin, comme le fait
remarquer Kabeya Charles MUASE, « Il réclamait un gouvernement
d'union nationale, comme il avait fait lors des coups d'Etat
précédents, tandis que la LIPAD-PAI et le CNR entendaient bien
garder le pouvoir pour eux seuls ».176 A ce propos, le
secrétariat général des CDR Pierre OUERAOGO
déclara: « La direction réactionnaire du SNEAHV se fait
objective cheval de Troie de politiciens véreux dont le credo constant
dans les moments difficiles consiste a réclamer un gouvernement d'union
nationale. C'est là une manifestation de cécité
politique si elle n'est pas une provocation ».177
Ainsi, face à l'hostilité permanente du SNEAHV
contrôlé par le MLN, le CNR s'appuya sur les autres mouvements
alliés et ses CDR pour l'altérer. Il refusa désormais tout
dialogue avec ce dernier : « Le gouvernement, disait le CNR, n'avait
pas encore besoin de dialoguer avec le SNEAHV ».178 Le 12
janvier 1984, le Ministre de l'Education Nationale, Mardia Emmanuel DADJOUARI,
signifia au SNEAHV qu'en marquant ostensiblement son indocilité
vis-à-vis du CNR, il se montrait comme un ennemi politique et tant que
durerait cette option, il ne serait plus question d'un quelconque contact avec
ladite organisation.179 Le 03 février, le Ministre de
l'Information Adama TOURE interdisait la diffusion de tout communiqué
émanant du SNEAHV sur les antennes nationales.180 Le bras de
fer continua et le SNEAHV, dans une lettre circulaire datée du 20
février 1984, blâma le CNR en ces termes : « Les hommes
aiment a changer des madtres espérant chaque fois trouver mieux, en quoi
ils font un mauvais calcul, car ils s'apercoivent qu'ils ont changé un
cheval borgne contre un aveugle ».181
176 Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et
démocratie en Afrique noire : l'expérience du Burkina Faso,
Paris, INADES-Karthala, page 199.
177 Lieutenant Pierre OUEDRAOGO, « A
propos du communiqué de presse de la direction réactionnaire et
contre révolutionnaire du SNEAHV » in CARREFOUR AFRICAIN
N°799 du 07 octobre 1983, page 36.
178 Déclaration du CNR in Kabeya Charles
MUASE, 1989, Syndicalisme et démocratie en Afrique noire :
l'expérience du Burkina Faso, Paris, INADES-Karthala, page 199.
179 Lettre du ministre de l'Education Nationale
citée par Kabeya Charles MUASE, idem, page 200.
180 Ibidem
181 Lettre circulaire du SNEAHV datée du 20
février 1984, citée par Kabeya Charles MUASE, 1989,
Syndicalisme et démocratie en Afrique noire : l'expérience du
Burkina Faso, Paris, INADES-Karthala, pages 199 et 200.
La crise ouverte entre le CNR et le SNEAHV continua son
effervescence et atteignit son paroxysme au mois de mars 1984 où elle se
dénoua aux dépens du dernier. Le 09 mars, le secrétaire
général du SNEAHV, le secrétaire aux Relations
Extérieures et le Responsable chargé des problèmes
pédagogiques furent arrêtés pour complot contre la
sûreté de l'Etat. Le SNEAHV décida une grève pour
exiger leur libération. Le CNR fit des avertissements
sévères afin que les instituteurs qu'il pensait
instrumentalisés boycottent la grève. Mais les 20, 21 et 22 mars,
elle fut largement suivie. La réaction du CNR est impitoyable : 1380
instituteurs (chiffre exact selon Valère SOME) furent licenciés
sans autre forme de procès.182 Les CDR participèrent
à l'arrestation de nombreux militants. Le SNEAHV à partir de cet
instant était décapité et réduit au silence.
Ajoutons que dans ce même contexte de crise, le SAMAV qui accusait les
CDR de faire pression sur les décisions de justice dans le cadre des
TPR183 fut par la suite reproché de collusion avec les forces
réactionnaires, puis persécuté.
Les CDR ont été au centre de toutes les
intrigues qui ont essaimé l'opposition entre les syndicats et le CNR.
Ils composaient la principale pomme discorde entre le CNR et le monde syndical.
La dégénération des relations entre la CSV et le CNR par
la suite constitue une pièce à conviction. Les origines de cette
confrontation remontaient à novembre 1983 où on avait
assisté à la création des CDR de service et des
commerçants.184 A cette occasion, le Secrétaire
Général National des CDR, Pierre OUEDRAOGO, laissa entendre ceci
: « Aucun syndicat n'est pret aux sacrifices que les CDR
consentiraient volontiers, a moins que CDR et syndicats fusionnent pour le
meilleur quand le premier n'a pas mange le second ».185
La création des CDR de service sous-tendait une
volonté manifeste du CNR d'imposer les CDR comme cadre unique
d'organisation des travailleurs, d'autant plus que le DOP affirmait sans nuance
leur prééminence sur toute autre organisation. Or, les CDR
étaient une émanation du CNR. Les syndicats en fusionnant avec
les CDR devaient alors former un seul front syndical pour soutenir le CNR :
« Le proletariat voltaïque n'a pas besoin de disperser ses forces
dans un syndicalisme electif controls par la petite bourgeoisie. 1l lui faut un
syndicalisme unitaire d'ou seront bannis les syndicats patronaux, les syndicats
super révolutionnaires. Le proletariat doit s'ouvrir a un
182 Valère SOME, 1989, Thomas SANKARA,
l'espoir assassiné, Paris, L'Harmattan, page 117. Les instituteurs
licenciés furent remplacés par des jeunes formés à
la hâte mais idéologiquement sûrs. Dans ce lot, bon nombre
était des CDR,
183 En effet, la présence des CDR était
réellement supérieure à celle des magistrats de
métier dans les jurys des TPR
184 CNR/SGN-CDR, « Communiqué
autorisant la creation des CDR dans les services » in OBSERVATEUR
N°2705 du 27 octobre 1983, pages 1 et 6.
185 Propos de Pierre OUEDRAOGO cités par Bruno
JAFFRE, 1989, Les Années SANKARA, Paris, Harmattan, page181.
69 syndicalisme preoccupe d'abord des interets superieurs
des travailleurs et partant du peuple, c'est-d-dire un syndicalisme comme force
d'appui de la RDP ».186
La position du CNR était donc claire et nette : les
syndicats devaient supporter absolument la révolution qui se
réclamait comme celle des travailleurs. Pour réaliser ce projet,
le CNR créa les CDR de service et s'appuya sur la toute puissante
centrale syndicale CSV, ce qui arrangeait cette dernière puisque ses
rêves de préséance sur le monde syndical n'étaient
pas cachés ; aussi avait-elle son parti politique (PAILIPAD) dans le
premier gouvernement du CNR. Cette convergence d'intérêts, comme
nous l'avons déjà relevé plus haut, rendait possible la
collaboration entre le CNR et la CSV pour fragiliser les autres syndicats ; le
SNEAHV en avait pâti douloureusement. Cependant, celle-ci ne
résista pas à l'exercice du pouvoir.
L'appréciation de l'opportunité de la
collaboration entre le CNR et la CSV tenait seulement à des calculs
politiques. Ainsi, la position de la CSV évolua au gré des
humeurs de Soumane TOURE à travers ses ambitions personnelles et de la
métamorphose des rapports entre le PAI-LIPAD et le CNR avec ses
structures populaires. A la suite de la création des CDR de service, il
déclarait en novembre dans l'hebdomadaire JEUNE AFRIQUE :
« Les CDR sont des fourre-tout. Que vont-ils faire ? De la delation ?
En tout cas, les differends entre patronat et travailleurs relevent des
syndicats et non des CDR. Il faut etablir une frontiere entre les
competences ». Face à l'affirmation de la puissance des CDR et
de leur état de grâce auprès du CNR, Soumane TOURE chercha
à en prendre la direction. Il se réajusta en décembre par
ces propos : « Il n'a jamais existe, il n'existe pas et ne devra
exister aucun conflit entre les CSV et les CDR ».187
Malgré ce revirement, le CNR déclina de confier le
Secrétariat Général National des CDR à Soumane
TOURE.
A partir de mars 1984, la crise entre la CSV et le CNR prit
une envergure décisive. Dès le 1er mai 1984, à l'occasion
de la fête du travail, Soumane TOURE accusait le CNR de stagner dans le
processus révolutionnaire : « Si le CNR ne veut pas faire la
revolution, nous prendrons nos responsabilites et les travailleurs la feront a
sa place ».188
Le 16 mai, le CNR confia la commémoration des marches
du 20 et 21 mai 1983 conjointement au Secrétariat Général
National des CDR et au Ministère de la Jeunesse et des Sports qui
était dirigé par un militant du PAI du nom de Ibrahima
186 Pierre OUEDRAOGO cité par Kabeya
Charles MUASE, 1989, « Un pouvoir des travailleurs peut-il etre contre
les syndicats ? », in POLITIQUE AFRICAINE N° 33, 1989, Retour
au Burkina, pages 52 et 53.
187 Joseph KAHOUN, « CSV-CDR : pas de
conflit » in CARREFOUR AFRICAIN N°810 du 23
décembre 1983, page 13.
188 Propos de Soumane TOURE
cités par Kabeya Charles MUASE, 1989, « Un pouvoir de
travailleurs peut-il etre contre les syndicats ? .0, in POLITIQUE
AFRICAINE N° 33, 1989, Retour au Burkina, page 53.
70 KONE. Mais, ce dernier chercha à confier
l'exclusivité de la commémoration à son parti le PAI-LIPAD
qui était naturellement supporté par la CSV. Conséquence :
le CNR le démit de ses fonctions et accusa à cette occasion le
tandem PAI-CSV de fractionnisme, de putschisme et de gauchisme
irresponsable.189 La dernière erreur fatale de la CSV et du
PAI-LIPAD fut leur tentative de destitution du maire de la commune de
Ouagadougou.190 Le CNR taxa la CSV
d'anarcho-syndicaliste191 et renvoya tous les ministres du
PAI-LIPAD192 en août 1984. Soumane TOURE qui protesta
violemment fut licencié et incarcéré avant d'être
relâché. La CSV193 ainsi disgraciée rejoignit
les autres syndicats hostiles au CNR et cosigna avec eux une déclaration
commune le 28 janvier 1985 contre le CNR. La plupart de ces syndicats
étaient proche du PCRV, un parti clandestin de gauche (frère
jumeau et rival de l'ULC, tous deux issus de la scission de l'OCV en 1978
à Paris) dont pourtant l'antipathie à l'endroit du CNR
était des plus expressives. A partir de cet instant, on assistait
à la formation d'un front syndical contre le CNR.
La globalisation et la radicalisation de l'opposition du CNR
aux syndicats furent source de plusieurs scénarii dans lesquels les CDR
se présentèrent comme de véritables fossoyeurs
privilégiés des organisations syndicales. Nous analysons ces
actions et leurs répercussions dans la troisième partie de notre
réflexion. Avant cela, il est question pour nous maintenant de
comprendre l'action des CDR dans les autres institutions de l'Etat, notamment
la justice qui a été fondamentalement reformée pour servir
la cause révolutionnaire.
189 Le gauchisme est souvent considéré comme
une maladie du communisme. Il se définit comme une déviation
préconisant un radicalisme outré dans la gestion de l'Etat
révolutionnaire.
190 Le maire, disait-on, devait être remplacé par
un militant de la LIPAD. On avança même le nom de Soumane
TOURE.
191 ILBOUDO Emmanuel, 1985, Révolution et pratiques
syndicales au Burkina, mémoire de maîtrise, Université
de Ouagadougou, page 43-L'anarcho-sydicalisme renvoie à l'anarchisme,
niant ainsi la nécessité du pouvoir d'Etat. Il prône
l'action immédiate par le boycottage, le sabotage... Il réfute la
tutelle de l'Etat dans la révolution, pensant que l'exercice du pouvoir
revient aux syndicats.
192 Les ministres du PAI-LIPAD étaient : Adama TOURE,
Arba DIALLO Philippe OUEDRAOGO, Emmanuel DADJOUARI et Ibrahima KONE
193 A partir du 04 août 1984 la CSV était devenue
CSB à cause du nouveau nom du pays, Burkina Faso.
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