La fonction de maintien de l'ordre public était
confiée aux CDR. Ils devaient l'assurer dans les secteurs et lors des
grandes manifestations ou mobilisations. Il était une mission permanente
des CDR « consistant en un travail de vigilance populaire [englobant]
la recherche et la démascation des ennemis de la RDP
».127
125 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée
à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris,
Karthala-ORSTOM, page 307.
126 Ibidem.
127 CNR, SGN-CDR, 1986, Résultat des
travaux de la première conférence des CDR, page 137.
Ce fut principalement les éléments
militairement formés qui reçurent la charge du maintien de
l'ordre en collaboration avec les policiers des commissariats de secteur. En ce
qui concerne ces derniers, il faut souligner qu'avant l'avènement de la
révolution, ils existaient sous le nom de commissariats de quartier.
Avec la liquidation du quartier au profit du secteur, ces commissariats avaient
été changés en ceux de secteur. En principe, les CDR
devaient entretenir des rapports de complémentarité avec les
policiers de ces commissariats, ce qui n'avait pas toujours été
vérifié, car certains CDR zélotes ne se dispensaient pas
d'attitudes méprisantes vis-à-vis des policiers de ces
commissariats dont ils contestaient la légitimité. Ils
reléguèrent au second plan le rôle de ces commissariats et
s'accaparèrent totalement du contrôle des secteurs. Logiquement,
il y'avait donc des conflits de compétences entre ces deux structures,
ce que Ernest Nongma OUEDRAOGO a déploré en ces termes :
« Il ne devrait pas y avoir de conflits de compétence entre CDR
et policiers. Malheureusement, les rapports entre les deux structures
subissaient les effets des humeurs des hommes qui les animaient
».128 Le maintien de l'ordre fut de ce fait monopolisé
par les CDR qui jouissaient d'une meilleure reconnaissance du CNR, lequel les
avaient d'ailleurs consacrés organisation authentique du peuple. Dans
cette logique, les policiers dénonçaient les pratiques peu
orthodoxes des CDR militairement formés qui se traduisaient par des
rançonnements de personnes interpellées, des châtiments
corporels exagérés...
Cette lutte de prééminence entre les deux
cellules de sécurité avait mis la population dans une situation
de dilemme car ne sachant plus à quelle structure se
référer sans être prise à partie : «
Inquiets, les citadins naviguent malaisément dans un climat d'aigre
rivalité et se voient toujours reprochés de n'avoir pas eu
recours O. l'autorité a
· légitime m : un voleur doit-il
etre conduit au commissariat du secteur ou les (CDR) peuvent-ils rendre
a
· justices m eux-memes ? ».129 La
responsabilité de cette brouille entre CDR et policiers fut imputable au
sommet qui n'établit pas des textes clairs pour régir la
collaboration entre ces deux structures. Les transferts improvisés de
responsabilités mal préparés et partiels créaient
les concurrences malsaines qui à l'opposé des objectifs de la
décentralisation enchevêtraient l'organisation des niveaux de
responsabilité.130
Cependant, de façon globale, le pouvoir des CDR avait
largement dominé celui des policiers dans le cadre du maintien de
l'ordre public. Cette hégémonie ne put être
expliquée autrement que par la couverture sans faille du CNR. Un
militant CDR qui n'était pas policier oeuvrait pour la révolution
tandis qu'un policier qui n'était pas CDR ne faisait qu'un travail de
sape à la révolution.
128 Entretien avec Ernest Nongma OUEDRAOGO le 25
février 2005.
129 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée
à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris,
Karthala-ORSTOM, page 307.
130 Idem, page 308.
Les CDR ont réellement réussi à
maintenir l'ordre public à travers les couvre-feux, les patrouilles
nocturnes, les encadrements de la population lors des grandes manifestations. A
ce propos, les témoignages s'accordent à reconnaître que
les vols, les viols et les autres méfaits sociaux avaient diminué
sensiblement. Les déviations perverses des opérations de
contrôle s'expliquaient par la présence de personnes de mauvaise
réputation dans les rangs des CDR qui avaient pu commettre des pratiques
qu'elles mêmes étaient censés combattre. La première
conférence avait en effet reconnu « des cas de viols, de vols,
de brimades diverses vis-à-vis des populations, ce qui aura
contribué a certains moment a créer une véritable psychose
a l'évocation des CDR qui supporteront tous les sobriquets possibles et
qui se verront attribuer la paternité de toutes sortes de
méfaits ».131 Claudette SOVONNET-GUYOT explique les
débordements des CDR par le fait que ces derniers étaient
composés majoritairement de jeunes, de chômeurs et de marginaux
auxquels s'ajoutaient des opportunistes de tous bords dont l'encadrement et le
contrôle échappaient au SGN-CDR.132
En définitive, la présence remarquée des
CDR dans les schèmes administratifs du CNR commentait la
préoccupation de ce dernier de maîtriser en amont comme en aval
toutes les localités du territoire. En rapprochant les
administrés de l'administration, le CNR prospectait un tremplin pour
faire valoir de façon efficace son message révolutionnaire. Cette
démarche définissait également une tactique pour amener
les populations à collaborer dans la liquidation des ennemis de la
révolution.