Chapitre IV : L'ACTION POLITIQUE DES CDR
Le rôle des CDR était de servir de bastion
politique au CNR. Dans ce sens, les CDR s'accaparèrent de toutes les
affaires publiques et subordonnèrent toutes les institutions politiques
de l'Etat. La mission politique des CDR était en somme de combattre tout
ce qui était susceptible de nuire à la révolution, et de
renforcer la conception unilatérale de la politique du CNR. Dans ce
contexte où la contestation était synonyme de
contre-révolution, plusieurs organisations sociopolitiques subirent
l'action des CDR.
Notre propos dans ce chapitre se déroule en quatre
points essentiels : l'oeuvre administrative des CDR, la lutte contre les
ennemis de la révolution, l'action judiciaire des CDR et la cohabitation
difficile avec les institutions religieuses.
IV.1. L'ceuvre des CDR dans l'administration
La participation des CDR à la gestion administrative
contribua à une décentralisation du pouvoir. La
préoccupation fondamentale était de rapprocher l'administration
des administrés et de procéder ipso facto au
contrôle de la population.
L'implication des CDR dans l'administration se traduisit par
la vulgarisation et l'application des directives du CNR, l'exécution des
tâches administratives et le maintien de l'ordre public.
IV.1.1. La vulgarisation et l'application des directives
du CNR
La mise sur pied de Structures Dirigeantes de
l'Exécutif Révolutionnaire (SDER) matérialisa
l'implication des CDR dans l'administration par le CNR. Ces structures
installées par le Décret N°85-108/CNR/PRES du 02 novembre
1985111 étaient principalement au nombre de quatre : le
Comité d'Action Ministérielle (CAM), la Commission du Peuple
chargé du secteur Ministériel (CPM), le Conseil National
d'Administration Ministérielle (CNAM) et la Conférence des
Commissions du Peuple chargées des secteurs Ministériels (CCPM).
Tous ces organes étaient chargés du contrôle de la gestion
et de l'action des structures des ministères.
Les CAM et les CPM étaient des structures propres
à chaque ministère et leur objectif premier fut de veiller sur la
conduite des affaires ministérielles. Les CAM se réunissaient par
semaine sous la présidence des ministres respectifs et évaluaient
l'application de la politique des ministres, l'exécution des mots
d'ordre du CNR, les
49 dossiers soumis par les ministres et les problèmes
de personnel (décision de décoration, de sanction des agents,
nomination et affectation de personnel).112 Quant aux CPM, elles
étaient en quelque sorte des CAM élargis, en ce sens qu'elles
s'étendaient aux responsables des services rattachés aux
ministères (établissements publics, sociétés
d'Etat, organismes). Les CPM se rassemblaient tous les trois mois sous la
direction des ministres pour adopter les suggestions des CAM concernant
l'application de la politique des ministères, proposer au conseil des
ministres les grandes orientations des activités des ministères,
statuer sur les avancements du personnel, donner des directives en vue d'un
meilleur fonctionnement des ministères.113
Le CNAM et la CCPM étaient respectivement un conseil
d'administration réduit et élargi du gouvernement. Le CNAM
regroupait tous les CAM des ministères et se prononçait sur
toutes les questions qui lui étaient soumises par le conseil des
ministres, proposait des solutions pour encourager la cohésion et
l'efficacité de l'action gouvernementale. Le CNAM se réunissait
par trimestre sous la présidence du président du CNR. La CCPM
constituait une véritable assemblée consultative du peuple
comprenant toutes les CPM des différents ministères. La
première CCPM se tint du 13 au 21 septembre 1986 à
Ouahigouya.114 Pendant trois jours, trois commissions de travail
avec lesquelles coopérèrent les CDR, se penchèrent sur la
vie administrative en vue d'adopter une série de résolutions pour
améliorer le fonctionnement de l'administration. La première
réfléchit sur les structures administratives et politiques, la
deuxième sur les ressources humaines et la troisième sur la
logistique.
A travers les SDER, les CDR servirent d'agents de liaison non
seulement entre les différents ministères, mais aussi entre ces
derniers et le pouvoir du CNR. De ce fait, ils assumaient, en cas de vacances
gouvernementales, la direction des affaires de l'Etat dans l'attente de la mise
en place d'un nouveau gouvernement. Ainsi, les décrets
présidentiels portant dissolution des gouvernements précisaient
chaque fois, que les directeurs de cabinet des départements
ministériels étaient tenus d'être en liaison avec les CDR,
pour l'expédition des affaires courantes des
ministères.115 Ils jouaient donc le rôle de substitut
authentique et insurpassable : « L'association étroite des CDR
a l'expédition des affaires courantes des ministeres
révèle une autre dimension de la démarche : celle de la
maturité et de la responsabilité (des CDR). En confiant aux CDR
en liaison avec les directeurs de cabinet la charge de sorte d'intérim,
le pouvoir
112 Laurent BADO, « La directive en droit
public burkinabé depuis la révolution d'Aoit : le cas particulier
du Coordonnateur National des Structures Populaires (CNSP), ex
Secrétariat Général National des CDR » in
Revue burkinabé de droit, 1991, Ouagadougou, ESD, page 31.
113 Idem, page 32.
114 Bogna Yaya BAMBA, « Premieres assises de
la CCPM a Ouahigouya : la médication a la crise de l'administration
» in CARREFOUR AFRICAIN N° 954 du 26 septembre 1986, page
11.
115 Capitaine Thomas SANKARA, «
Décrets présidentiels : décret portant dissolution du
gouvernement du Burkina Faso » in CARREFOUR AFRICAIN
N°896 du 16 Août 1985, page 10.
50 revolutionnaire fait preuve de la grande maturite des
structures d'exercice du pouvoir populaire ».116
L'association des CDR aux organes décisionnels des
ministères soustendait leur capacité de contestation de
l'élite administrative au nom de la prééminence de leur
légitimité politique. En outre, elle permettait au CNR d'avoir
toutes les instances politiques sous son orbite. En conséquence, il
pouvait surveiller tous les acteurs et punir tous ceux qui étaient
indélicats vis-à-vis de la politique révolutionnaire :
« Les CDR avaient beneficie des l'avenement du CNR d'un formidable
pouvoir de nuisance dans la mesure oft ils prirent une part active dans
l'epuration du personnel administratif ».117 Elle
soulignait enfin la volonté du CNR de démocratiser le pouvoir
administratif pour rompre avec l'élitisme. Démarche que les
élitistes comme Laurent BADO118 ont stigmatisé en
déclarant que « la democratisation du pouvoir administratif
[etait] une democratisation de la mediocrite intellectuelle
».119
Pour le CNR, une telle démocratisation était
inhérente à la révolution qui était celle des
masses et non d'une classe donnée. Les révolutionnaires jugeaient
donc urgent de « demystifier l'administration bourgeoise en assumant
des responsabilites sur la base du seul engagement revolutionnaire qui [valait]
plus que les titres et diplOmes bourgeois mystificateurs
».120 Ainsi, s'affirma la présence des CDR dans tous les
rouages de l'administration. Ce maillage de l'administration peut être
schématisé de la façon suivante :
CNR
CDR
S D E R
|
CAM
|
CPM
|
CNAM
|
CCPM
|
|
Gouvernement (Ministères)
Figure 8: Illustration du maillage de l'administration
par les CDR a travers les SDER
116 S.X.S., « Dissolution du second
gouvernement : une demarche pedagogique revolutionnaire » in
CARREFOUR AFRICAIN N°897 du 23 août 1985, page15.
117 Augustin LOADA, 1993, Les politiques de modernisation
administrative au Burkina Faso, Mémoire de DEA en Sciences
politiques, Paris, Université de Bordeaux, page 87.
118 Laurent BADO est un professeur de Droit à
l'Université de Ouagadougou.
119 Laurent BADO, 1989, Au-delà du
libéralisme et du socialisme, Université de Ouagadougou, ESD,
non édité, page 361.
120 Laurent BADO, « La directive en droit
public burkinabe depuis la revolution d'aout : le cas Particulier du
Coordonnateur National des Structures Populaires(CNSP), ex-Secretariat General
National des CDR » in REVUE BURKINABE DE DROIT, 1991,
Ouagadougou, ESD, page 31.
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