La formation militaire avait pour but de conférer aux
CDR des aptitudes physiques dans la défense pratique de la
révolution. Chaque bureau CDR responsabilisa un militant à la
sécurité et à la formation militaire. La formation
militaire était faite en deux phases : le recrutement et
l'instruction.
97 Le secteur 4 regroupe des quartiers comme
Paspanga, Koulouba,
98 Ousmane WANGRAWA : entretien du 27 juillet 2004
à Paspanga.
99 Richard BENEGAS, 1993, Insoumissions populaires
et révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, page 26.
100 Voir le rapport des travaux de la première
conférence des CDR, page 43.
101 Allusion ironique aux origines peul de Thomas
SANKARA. D'après Richard BENEGAS, cette tournure en dérision
pourrait être aussi une remise en cause de la politique du CNR qui avait
proclamé son attachement aux paysans démunis, mais ne faisait pas
beaucoup d'effort pour aider les Foulbé du Nord, ethnie originaire de
Thomas SANKARA. Richard BENEGAS, 1993, op cit, page 29.
44
Le recrutement représentait la porte d'entrée
à la formation et consistait au choix des éléments
à former militairement dont la responsabilité incombait au bureau
CDR. En principe, tout prétendant ne devait pas être retenu, il
fallait préalablement jouir d'une bonne moralité. Mais, par
manque de critères bien établis, le recrutement qui était
supposé être le point de triage avait été
vicié.
En effet, il suffisait qu'un militant exprimât sa
volonté de s'initier à l'art militaire pour que l'on retienne son
nom. Dans les services, il était courant de voir le responsable à
la sécurité dresser arbitrairement une liste des
éléments à former sans les avoir consultés. Ceux-ci
ne pouvaient que se soumettre « aux risques de passer pour des
contre-révolutionnaires ».102
Le recrutement découlait donc du volontariat et de
l'arbitraire. Ces insuffisances créèrent des conséquences
néfastes, tels des accidents au cours de la formation à cause de
la mauvaise santé de certaines personnes. En plus, il faut noter
qu'elles avaient ouvert la porte à des individus de moralité peu
recommandable, qui allaient « commettre toutes sortes d'exactions pour
discréditer les structures populaires ».103
Quant à l'instruction, elle était
dispensée dans les centres d'instruction des unités militaires
comme le CNEC de Po, l'ETIR de Kamboinsin, le BIA de Koudougou... Elle n'avait
pas une durée déterminée clairement : elle pouvait durer
deux à trois semaines, voire un mois. Les matières étaient
: l'idéologie, l'armement et le combat. L'idéologie
revêtait un aspect civique qui devait inculquer aux formés le
savoirvivre, le respect des valeurs nationales, l'esprit de sacrifice,
d'abnégation et par conséquence le dévouement à la
patrie.104
Cependant, les CDR avaient fait leur autocritique en
reconnaissant que cette formation civique a souvent été
négligée ; de ce fait, elle ne sut pas toujours constituer des
garde-fous nécessaires pour limiter les égarements de certains
militants formés qui une fois en tenue et une arme en main, se prirent
pour des spécialistes, mimant un modèle désavoué en
son temps : celui du militaire impopulaire, terroriste de son
Etat.105 L'armement et le combat constituaient des matières
de pratique consistant en un apprentissage du maniement des armes et du
combat.
Après leur initiation à l'art militaire, les
militants rejoignaient leurs comités d'origine et veillaient à la
sécurité de leurs localités. Ils faisaient la patrouille
la nuit venue dans le secteur. Les armes qui avaient été mises
à leur disposition étaient surtout des PMC (Pistolet Mitraillette
Chinois) et des kalachnikovs, avec des balles
102 CNR, SGN-CDR, 1986, Résultat des
travaux de la première conférence des CDR, page 134.
103 Ibidem.
104 Idem, page 138.
105 Idem, page 139.
45 réelles. L'usage des armes n'était admis que
lorsque les CDR se trouvaient dans une situation d'agression. Mais, il est
ressorti que certains CDR n'honoraient pas cette disposition légale.
Dans ce contexte, nous avons appris que des cas de vols, de rackets et autres
formes d'exactions ont été commis. Il faut ajouter que le
caractère sommaire de la formation ne permettait pas une bonne
maîtrise des armes d'où des accidents. Par exemple à
l'université en 1984, un étudiant avait trouvé la mort
suite à un mauvais maniement d'une arme.106
Les éléments militairement formés
devaient porter une tenue semblable à celle des militaires lors de leur
service. Cette tenue était dotée par le SGN-CDR, mais il
n'était pas rare de voir des militants se faire confectionner
eux-mêmes ladite tenue. La notion de grade n'existait pas. Dans un
comité donné, le premier responsable était le
délégué et le responsable à la
sécurité et à la formation militaire. Il n'y avait pas
toujours de bons rapports entre les délégués de bureau et
les responsables à la sécurité qui possédaient une
force armée. C'est dire alors que la camaraderie révolutionnaire
n'avait pas été chaque fois au rendez-vous dans les rapports
entre militants. Ces conflits de compétences compliquaient parfois les
rapports entre les CDR et les services paramilitaires et mêmes
militaires, en ce sens que les premiers prirent tendance dans leur zèle
à une immixtion systématique dans des domaines même qui
n'étaient pas de leur ressort.107
Pourquoi malgré ces risques de déviations et
d'égarements, le CNR avait-il initié et maintenu la formation
militaire des CDR ?
C'est le souci d'asseoir une armée populaire, de
confier la défense de la révolution au peuple qui guida le
pouvoir révolutionnaire : « Les CDR [...] auront l'insigne
honneur d'être comme les gardiens de notre maison nouvelle en devenant a
la fois le fondement et le rempart. Ils constituent de ce point de vue la force
de frappe. C'est encore eux le moteur, la coquille protectrice de notre
révolution au cours de sa longue marche et qui sera
inévitablement objet des attaques impérialistes diverses. C'est
pourquoi il faut [...] les transformer en citadelles de l'extérieur et
de l'intérieur pour que vive notre révolution nouvelle
».108
Par rapport à la prolifération des armes
à feu, Achille TAPSOBA109 s'en défend en ces termes :
« C'est tout a fait logique. On ne peut pas demander au peuple
d'assurer sa propre défense sans lui fournir les moyens
nécessaires. Avant la révolution, la défense du pays
était une fonction spécialisée commise a un corps
spécial qui avait le
106 Rapporté par Pierre Claver HIEN, président du
comité des étudiants de 1986 à 1987.
107 Voir le rapport des travaux de la première
conférence des CDR, pages 140 et 141.
108 Salia ZERBO, « Le train de la
révolution en marche » in CARREFOUR AFRICAIN N°
799 du 07 octobre 1983, page 23.
109 Achille TAPSOBA a été le directeur
du comité national d'organisation de la première
conférence des CDR.
46 droit de détenir des armes. Mais, avec la
logique de la défense populaire, ce n'était plus ce corps
seulement qui pouvait détenir des armes. C'est pourquoi on trouvait des
armes partout et cela était tout à fait logique
».110
Pour terminer, la formation militaire avait donné
l'opportunité aux CDR de concevoir des sanctions corporelles pour tous
ceux qui se démarquaient de la conduite révolutionnaire. Ces
sanctions corporelles créaient une peur au niveau de la population,
crainte qui avait souvent facilité la mobilisation populaire. En effet,
de nombreuses personnes craignant les sanctions répondaient aux
sollicitations ou aux conduites exigées par les CDR. La peur des
sanctions avait été la cause d'un certain suivisme observé
pendant la révolution. Entre autres nous pouvons citer :
ü le port du caporal : cette sanction consistait à
faire transporter pendant un certain nombre de minutes un gros caillou sur la
tête ;
ü faire le grigolo : il s'agissait de garder une
position verticale sur les mains la tête en bas et les pieds en haut
contre un mur. C'est une sanction qui occasionnait des vertiges ;
ü boire le whisky : on piquait le sol avec le doigt et on
faisait une rotation avec le corps en vitesse ;
ü faire le crapaud : il fallait faire des bonds ou marcher
en étant accroupi ;
ü genoux progressés : se déplacer sur les
genoux ;
ü les tractions ou pompes ;
ü les pilories ;
ü les coups de fouet ou de matraque...
Autant de sévices corporels mis au point pour
soumettre les gens. Les sanctions corporelles révélèrent
le caractère brutal et violent de l'action des CDR dans leur rôle
de défense de la révolution et fondèrent la stupeur de la
population à leur endroit.
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Figure 7: Des militants CDR militairement formes au pas
bloque lors d'un defile. Source : SIDWAYA / Archives.
La promulgation du Statut général des
CDR a constitué une démarche capitale du CNR se traduisant
par l'organisation des CDR comme ses acteurs principaux de la
révolution. Il s'est agi d'une institutionnalisation complète des
CDR comme socle du processus révolutionnaire. Avec cette implication, le
devoir et le droit d'action des CDR dans tous les domaines de la vie publique
étaient scellés définitivement.
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