La propagande est un art de séduction que tout pouvoir
en quête de popularité n'a jamais écarté. C'est une
stratégie de conquête populaire qui a toujours été
le propre des révolutionnaires. Là-dessus, le DOP se voulait
formel : « L'action [des CDR] en direction des masses populaires vise
a les entraîner a adhérer massivement aux objectifs du CNR par une
propagande et une agitation intrepides et sans reldche
».90 C'est pour cette raison que dans chaque bureau CDR, il y
avait un responsable à l'information et à la propagande.
La finalité de la propagande était de
mobiliser, de former et d'amener les masses par conviction ou par contrainte
à apporter leur soutien au CNR. Dans cette perspective, les CDR
utilisèrent largement les structures d'information de l'Etat : la
télévision, la radio, les journaux tels CARREFOUR AFRICAIN,
SIDWAYA, l'INTRUS. Les CDR eux-mêmes avaient créé
leurs propres journaux. On peut citer par exemple LOLOWULEN qui
paraissait au niveau du SGN-CDR, le COMBAT de l'Université de
Ouagadougou, le MESSAGER du Houet... Toutes ces parutions
participaient « infailliblement a cette noble t7che de mobilisation,
d'agitation et de conscientisation des militants ».91 Dans
les écrits de ces journaux qui émanaient des CDR, la
préoccupation capitale était la diffusion des idées
révolutionnaires. On y remarque de l'enflure dans le propos
véhiculé, un panégyrique de la révolution qui ne
traduisait autre chose que le
90 CNR, 1983, DOP, page 26.
91 CNR, SGN-CDR, 1986, Résultat des travaux
de la première conférence des CDR, page 39.
42 besoin d'exercer un puissant ascendant sur les esprits, et
la pratique d'un certain clientélisme à l'endroit de la
population.
Il faut également relever les formations politiques ou
idéologiques qui faisaient corps avec la propagande
révolutionnaire. Celles-ci consistaient en des séminaires, des
veillées-débats, des conférences... Nos investigations
nous ont fait découvrir que ces formations avaient trouvé
l'engouement de la population. Certes, elles ont eu le mérite de faire
naître un esprit patriotique dans la population, l'engageant ainsi dans
l'exécution des programmes révolutionnaires. Mais, comme l'a si
bien remarqué la première conférence des CDR, un
opportunisme manifeste sous-tendait cette participation : «
L'enthousiasme développé autour des écoles (formations)
populaires est lié aux intérêts de concours. A la recherche
d'un passeport de la RDP et surtout pour certains, a légitimer leur
terrorisme intellectuel au cours des débats politiques
».92
Enfin, il est nécessaire de faire mention de
l'importance du slogan qui conférait au discours révolutionnaire
une violence et une agressivité verbale : « L'outil du langage
se veut etre une arme de choc pour le nouveau régime
».93 Les slogans intervenaient lors des meetings, mais aussi
pendant les émissions telles que La vie des CDR, Le temps de la
Révolution au niveau de la radio et de la
télévision. Les slogans jouaient un rôle dans la
dénonciation des ennemis de la révolution et dans l'exaltation de
la ferveur révolutionnaire. Selon Claude DUBUCH, ils ont favorisé
l'usage d'une pléthore de néologismes fortement connotés
sur le plan idéologique, imagés et émotivement
chargés qui aidait à la captation des affects et contribuait
à la disposition des esprits individuels aux pratiques
collectives.94 Ce que les CDR confirmaient : « Pour nous
révolutionnaires, le slogan est un engagement, un acte politique qui
nous motive dans notre combat. Les slogans traduisent notre adhésion aux
principes directeurs de notre organisation et nous démarquent des
rencontres de routine des régimes réactionnaires pour donner une
vivacité a nos retrouvailles militantes
».95 Ils renchérissaient que lancés
avant, pendant ou après, les slogans marquaient leur adhésion
à la RDP et à ses idéaux, et leur détermination
à aller toujours de l'avant, raison pour laquelle ils faisaient trembler
et désarmer leurs ennemis.96
Il y avait deux catégories de slogans. La
première était celle qui servait à galvaniser
l'élan révolutionnaire : « gloire au peuple, honneur au
peuple ! », « vive la révolution, vive le
CNR, vive les CDR » ! Ou « Victoire au peuple
! ». La deuxième catégorie était
surtout pour la caractérisation des ennemis de la révolution :
« La bourgeoisie, a
92 CNR, SGN-CDR, 1986, Résultat des travaux
de la première conférence des CDR, page 40.
93 Claude DUBUCH, « Langage du pouvoir,
pouvoir du langage » in POLITIQUE AFRICAINE N° 20%
décembre 1985, Le Burkina Faso, Paris, Karthala, page 45.
94 Richard BENEGAS, 1993, Insoumissions populaires
et révolution au Burkina Faso, page 13.
95 Voir le rapport des travaux de la première
conférence des CDR, page 95.
96 Ibidem.
43 bas ! », « Les forces
rétrogrades, a bas ! », « Les
caméléons équilibristes, a bas ! »,
« Les renards terrorisés, a bas ! »
«L'impérialisme, a bas ! ».
Mais, l'usage excessif et systématique des slogans
créait parfois un certain automatisme dans la foule qui les reprenait. A
ce propos, Ousmane OUANGRAWA militant CDR du secteur 4 97 affirme :
« 2l est bien vrai que les slogans contribuaient beaucoup a la
sensibilisation. Mais, ils avaient créé de l'automatisme et de la
monotonie parce que les gens répétaient sans trop comprendre le
fond et sans concentration ».98 A cela, il faut ajouter
une forme de réappropriation des slogans qui était signe de
résistance en sourdine. L'humour, l'ironie et la dérision
utilisés dans cette réappropriation manifestaient selon Richard
BENEGAS, une capacité d'insubordination symbolique qui jouait le
rôle d'acide corrodant les réseaux de sens que le pouvoir
s'efforçait de construire.99 En effet, la première
conférence des CDR s'était rendue compte de la viciation des
slogans par les ennemis de la révolution dans un but intoxicateur et
qu'il était courant d'entendre des reprises erronées de ceux-ci,
parfois tournées à l'ironie et au ridicule.100 Par
exemple, le slogan « la patrie ou la mort, nous vaincrons »
avait donné des variantes telles : « la patrie ou l'amour, a
partir de la mort nous verrons » ou « la patrie de la mort
nous verrons et nous viendrons ». Quant au slogan « Gloire
au peuple... », il fut tourné en dérision pour
donner « gloire au Peul, pouvoir au Peul, victoire au Peul
»101.
Malgré ces formes de résistance, force est de
reconnaître que la phraséologie révolutionnaire avait
réussi à susciter un enthousiasme populaire sans
précédent en faveur de la révolution. Un enthousiasme qui
était éperonné aussi par le charisme de Thomas SANKARA
dont les discours constituaient l'expression des qualités d'un tribun
exceptionnel.