Les permanences étaient des services chargés
d'assurer le fonctionnement et la continuité du pouvoir
révolutionnaire local représenté par les CDR. Tous les 30
secteurs de la ville de Ouagadougou s'étaient dotés d'une
permanence CDR.
80 La gestion des finances était assurée par le
trésorier élu au bureau CDR. Cependant, le choix de ce
trésorier n'exigeant pas un profil requis, il a été
parfois fait cas de mauvaise gestion des ressources pécuniaires.
Dans un premier temps, les CDR réquisitionnaient des
maisons de particuliers pour en faire des permanences provisoires. Ce fut le
cas du secteur 14 (Zogona)81. Au secteur 29, les CDR ont d'abord
occupé une salle de l'école de Wemtenga 1 ; ensuite, ils ont
transféré la permanence à l'école
Dagnoen82 avant d'occuper une des cours du chef coutumier de ce
quartier.83 Ce fut le cas des secteurs 24 et 30. Mais, il faut
souligner que les CDR de ces deux secteurs avaient indemnisé
symboliquement les deux propriétaires spoliés : le bureau CDR du
secteur 24 déguerpit l'occupant au prix de 1,5 millions, et celui du 30,
3 millions.84
Modestes au début, les permanences devinrent
très vite des édifices ostentatoires de prestige et
illustrèrent une concurrence sérieuse entre les différents
secteurs. A la première conférence nationale des CDR, une
résolution développa cette compétition en ces termes
très révélateurs : « Considerant que la
permanence CDR est le lieu privilégie de rencontre de tous les militants
du Comité de Defense de la Revolution et que de ce fait, elle constitue
un centre d'expression et d'épanouissement de l'action
révolutionnaire [...], la Premiere Conference Nationale des CDR affirme
que la permanence reflete la revolution elle-m-eme et demande en consequence
que toute permanence CDR ait une agréable presentation qui
témoigne de la créativité militante, responsabilise tous
les bureaux CDR dans ce sens et demande au SGN-CDR d'entrevoir une
possibilité de recompense aux CDR les plus dynamiques
».85
Un autre fait avait attisé cette « guerre »
des permanences : le mercredi 24 juin 1987, le Conseil des ministres se tenait
à la permanence du secteur 30.86 Il loua la hauteur de
l'organisation et la ferveur révolutionnaire des militants de ce
secteur.
Ces événements très significatifs
marquèrent certainement les esprits des CDR qui saisirent que
l'édification d'un bâtiment de charme constituait un gage de leur
militantisme révolutionnaire. Les secteurs se lancèrent donc dans
de nouveaux chantiers ; en exemple, on peut citer les secteurs 17, 20, 21, 22
et 23 notamment.87
81 Le propriétaire de la cour, Emmanuel ZOUNGRANA a
expliqué que les CDR ont retiré sa cour parce qu'elle avait
l'apparence bourgeoise.
82 Suite au découpage de Ouagadougou en 30
secteurs, Wemtinga et Dagnoen étaient devenus un même secteur, le
29.
83 Entretien avec Henri KABORE, responsable aux
activités socio-économiques du secteur 29 à son domicile
au dit secteur.
84 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée
à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris,
Karthala-ORSTOM, page 311.
85 CNR, SGN-CDR, 1986, Rapport des travaux de la
première conférence nationale des CDR du Burkina, page 97.
86 Sylvy JAGLIN, 1995, op cit, page 486.
87 Ibidem.
Pour financer les travaux, les CDR multipliaient
l'organisation des kermesses, des cotisations... La permanence du secteur 22
par exemple coûta la somme de douze millions de francs CFA88
malgré la gratuité de la main-d'oeuvre.
Cependant, ces rivalités entre CDR dans la
construction défavorisèrent souvent la gestion de
proximité dans les secteurs. On assista ainsi entre 1986 et 1987
à une survalorisation de la permanence en ce sens qu'elle constituait un
enjeu capital dans les rapports avec le pouvoir révolutionnaire. Ce que
Sylvy JAGLIN a critiqué en ces termes : « L'indigence de leurs
(CDR) moyens et l'intense compétition qu'elles [permanences]
déclenchent contraignent ainsi les CDR a des gauchissements
circonstanciels de leurs programmes dont l'empilement menace l'ensemble de
l'édifice gestionnaire de proximité ».89
Au-delà de ces aspects que nous venons
d'évoquer, la permanence représentait le siège du pouvoir
local révolutionnaire, le centre administratif et le lieu de
commandement par excellence des CDR dans le secteur. Elle constituait le centre
de diffusion du message révolutionnaire, le quartier
général des CDR dans la localité concernée.
Cependant, le symbole de fierté que
représentait la permanence n'était pas une vision
partagée. Pour ceux qui avaient eu des accrocs avec les CDR,
c'était le lieu de la terreur, des tracasseries et des sanctions de tous
genres. Ainsi, la permanence n'avait pas toujours
bénéficié d'un bon regard.
Figure 4: Le bureau CDR du secteur 12 de Bobo Dioulasso
devant sa permanence. Source : SIDWAYA/ Archives
88 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée
à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris,
Karthala-ORSTOM, page 486.
89 Idem, page 497.
Figure 5: Permanences CDR des secteurs 20 et 22. Source
: Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagee a Ouagadougou : pouvoirs et
peripheries, Paris, Karthala, page 313.
Figure 6: La permanence CDR de la Cité An 11.
Source : S1DWAYA/ Archives