1.4. Suspicion du
père et contractualisation du couple autour de l'intérêt de
l'enfant
Une amorce de la déchéance paternelle pendant la
période révolutionnaire, tout en se prolongeant par le maintien
de la suprématie du père dans l'ordre matrimonial, va se
poursuivre sous la période de l'industrialisation. Avec les
transformations sociales, va s'opérer un véritable déclin
du pouvoir patriarcal, et on assiste alors à un dédoublement de
la figure paternelle. A côté du père bourgeois toujours
insoupçonnable, on découvre, principalement chez les ouvriers,
l'existence de mauvais pères dont le comportement abusif en
matière de travail des enfants, notamment, de refus de scolarité
obligatoire ou de mauvais traitements graves, rend nécessaire une mesure
de déchéance (loi de 1889). Puis en 1935, le droit de correction,
celui de faire enfermer ses enfants, tombe en désuétude. Le
père, écarté par l'Etat qui introduit du droit en
condamnant les abus, devient alors également suspect. Dès lors,
les conduites critiquables les plus diverses seront sanctionnées
à la faveur d'une intervention croissante de l'Etat par
l'intermédiaire des tribunaux et des travailleurs sociaux ; Avec le
développement de la pédiatrie, de la pédopsychiatrie, se
met en place une certaine forme de contrôle fonctionnel de cette
puissance paternelle, par l'approche nouvelle d'attention aux enfants.
Dans ce mouvement démocratique, durant la
première moitié du XXème siècle, l'effort
législatif se tourne vers une reconnaissance progressive des droits de
la femme et de l'enfant, toujours au détriment des privilèges du
père, dans une logique égalitaire. Avec la fin de la puissance
maritale, en venant restreindre le droit des pères, la notion
d'égalité des époux fait son apparition dans le droit vers
1938, qui marque la suppression d'incapacité civile des femmes. Mais en
1942, pour maintenir la hiérarchie dans la famille et en l'absence de
nombreux pères de famille partis à la guerre, la loi donne au
père et mari, le titre de chef de famille, même si dans la
pratique ce sont les femmes qui assurent cette fonction en subvenant aux
besoins matériels durant cette période. On peut dire alors que le
père est déjà situé dans une représentation
paradoxale de place symbolisant toujours l'ordre familial, mais dont les
prérogatives asservissantes pour la femme et l'enfant, sont remises en
question, au nom d'un courant égalitaire en plein essor dans une
volonté de démocratisation politique et sociale.
Ainsi le mouvement démocratique, concomitant avec
l'industrialisation et l'entrée dans le monde du travail des femmes,
s'est traduit par l'instauration du divorce par consentement mutuel, en 1975,
une augmentation des divorces s `étant poursuivie dès 1965.
Des dispositifs législatifs vont s'en suivre, tels que,
l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux,
instaurée par la loi du 23 décembre1985, puis l'exercice conjoint
de l'autorité parentale après le divorce, en 1987. Enfin,
l'esprit de la loi du 26 mai 2004, dans le prolongement de la réforme de
l'autorité parentale, tente à réhabiliter les époux
en tant qu'acteurs de leur séparation, par une volonté de
simplification et de pacification des procédures. L'impératif de
la responsabilité conjointe des parents dans l'éducation de leurs
enfants s'affirme ainsi progressivement, la question du divorce pouvant
apparaitre alors comme moteur à cette innovation. On peut ainsi
subodorer que la conquête d'indépendance, dans le mariage,
conduisaient hommes et femmes à s'émanciper de leur père.
Plus récemment, la loi du 15 novembre 1999 instaurant le Pacte civil de
solidarité, offre à deux partenaires, même de sexe
identique, la possibilité d'établir un contrat de vie commune.
Inscrite dans le code civil, cette formule contractuelle apparaît comme
une alternative au mariage. Initialement instaurée en réponse
à une revendication de la communauté homosexuelle, elle est en
effet en grande majorité utilisée par les couples
hétérosexuels.
Ainsi le mariage n'est plus le cadre de
référence nécessaire à la construction d'une
famille, et le principe d'indissociabilité matrimoniale a laissé
place à une conception plus contractuelle du couple, qui vient bousculer
celle de la filiation. I.Théry appelle ce
phénomène, le démariage :
« La fragilisation sans précédent de la
paternité, dans tous les cas où les parents ne sont pas ou plus
mariés, se prolonge par une incertitude plus générale sur
les fondements de la filiation.. C'est la signification attachée
à la composante généalogique qui s'est obscurcie,
dès lors que le mariage a cessé d'être le socle commun de
référence sur lequel s'élevait l'édifice symbolique
de la filiation » (Théry, 1993).
C'est ainsi qu'à partir de 1964, tout le droit de la
famille a été reformé. On assiste à une
désinstitutionalisation de la famille autour de la puissance paternelle
et une modification sociale des comportements. Le mouvement s'est poursuivi
dans le sens toujours d'une plus grande égalité entre le
père et la mère, et ce, plus particulièrement à
partir des années 1970.
La loi du 04 juin 1970 marque en effet une étape
essentielle, en remplaçant la puissance paternelle par l'autorité
parentale. Ainsi le terme autorité fait place à celui de
puissance, et n'est plus l'apanage du père. Le code civil stipule
que : « L'autorité appartient au père et à
la mère pour protéger l'enfant dans sa santé, sa
sécurité et sa moralité. Ils ont à son égard
droit de garde, de surveillance et d'éducation » (art. 371-2
Code civil). Cette autorité au lieu d'être paternelle est
désormais parentale, c'est-à-dire exercée en commun par
les deux parents. Il est à noter qu'après 1970, dans le cas
particulier des familles naturelles, l'autorité parentale revient
exclusivement à la mère. Le père peut reconnaître
son enfant, mais il ne peut exercer l'autorité parentale, à moins
d'en faire la demande expresse auprès du juge, et cela avec l'accord de
la mère. Ce fait illustre non seulement la disparition du pouvoir des
pères, mais son exclusion légale, et place les hommes,
contrairement à la sphère publique, en position de retrait avec
les femmes dans la sphère privée,. Cette perte progressive de
puissance conduira à stigmatiser un père faible, absent,
défaillant. Avec le droit des enfants, le droit des femmes est venu en
quelque sorte affaiblir l'assurance du père.
A la suite de celle ci, une autre loi, celle du 03 janvier
1972 propose une refonte des règles de la filiation dans un souci de
garantir, dans une certaine mesure, l'égalité de tous les
enfants, légitimes et naturels, et en tenant compte le plus possible de
la vérité biologique, quelque soit la nature de leur filiation
(Revel, 1998). Elle constitue la base du droit de la filiation remaniée
par les différents textes qui ont suivis, jusqu'à la
dernière loi de 2006 qui supprimera les termes distinctifs de
légitime et naturel. Par ailleurs, les progrès de la biologie ont
rendu possible l'élargissement du champ de la recherche de la
paternité. On observe d'une part une perspective d'égalité
entre les hommes et les femmes à l'oeuvre, d'autre part une
évolution tendant à renforcer le droit des enfants, à
travers la notion d'exercice conjoint de l'autorité parentale,
après divorce, et progressivement pour les parents d'enfants naturels
(loi du 22 juillet 1987). C'est aussi dans cette volonté progressive
à promouvoir l'intérêt de l'enfant, que la France signera
la convention des droits de l'enfant le 06 janvier 1990. Puis
l'égalité entre tous les enfants quelque soit la situation
matrimoniale de leurs parents, sera inaugurée par la loi du 04 mars 2002
relative à l'autorité parentale. Elle s'attache à
renforcer le principe de « coparentalité », selon
lequel il est dans l'intérêt de l'enfant d'être
élevé par ses deux parents, même lorsque ceux-ci sont
séparés, prenant acte que la rupture du couple conjugal n'emporte
pas celle du couple parental.
Ainsi, progressivement, les pouvoirs du père sont
tombés en désuétude, avec la volonté d'instaurer
une autre place au père. Ce phénomène est accentué
par l'évolution sociale, sans pour autant venir réinterroger la
place des hommes dans la société autour d'une remise en question
de son organisation à « domination masculine »
(Bourdieu, 1998). Simultanément, cependant, avec l'émancipation
des familles, on assiste au déclin de l'institution du mariage
qu'accompagne l'augmentation des divorces. La généralisation de
la contraception, véritable révolution qui modifie en profondeur,
au-delà des nouveaux rapports familiaux, la société
elle-même, vient inaugurer un autre paysage des relations familiales.
Elle signe ainsi après la fin du règne paternel,
l'affaiblissement d'une conception matrimoniale de la famille.
L'évolution de la place paternelle et ses enjeux
actuels se comprennent alors à la lumière de ce qu'a
constitué le mouvement d'émancipation des femmes pour
l'égalité des sexes. Aussi, pour mieux cerner cette question,
nous allons voir comment ce concept même d'égalité a pris
consistance avec la notion de liberté individuelle, dans un élan
égalitaire inéluctable, mais à la fois
générateur d'une organisation hiérarchique des sexes.
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