1.3. Le père
déchu replacé au centre d'une conception matrimoniale de la
famille
Avec la révolution, on assiste donc à une
montée des pouvoirs de l'Etat et à une limitation des droits
familiaux. Les juristes établissent le principe de la paternité
civile, donnant des droits similaires aux enfants légitimes, naturels,
et adoptifs, et la puissance paternelle sera limitée à la
majorité des enfants. Le droit que détenaient les pères de
déshériter leur progéniture, est supprimé, les
lettres de cachet sont bannies, et Danton proclamera que :
« Les enfants appartiennent à la République avant
d'appartenir à leurs parents ». On note ainsi une
montée du pouvoir de l'Etat au détriment de celui du père,
même si résiste une conception coutumière de la puissance
paternelle. Puis le code civil, rédigé en 1804 sous
Napoléon, décide de soumettre la famille, fondée sur le
mariage, au seul père, chargé de la diriger et de la
représenter auprès des tiers.
Il s'agit bien d'une représentation de la famille
basée sur le mariage selon la conception du droit canon, autour de la
place centrale du père, et la soumission de la femme et de l'enfant. En
effet, si en droit romain c'est uniquement le consentement qui fait le mariage
et non la cohabitation ou l'union sexuelle,- consentement pouvant facilement
être remis en cause -, pour le droit canon, le mariage suppose
communauté de vie et indissolubilité. La conception
chrétienne du mariage reposant sur la réunion de trois
vertus : la procréation, la fidélité, et le sacrement
qui justifie l'indissolubilité (Renaud, 2003). Le divorce est donc
condamné, et du seul fait du mariage, l'enfant a un père en
dehors même de la volonté de ce dernier. La filiation
légitime est la norme, elle crée la parenté, engendre
l'attribution du nom, l'autorité parentale, l'obligation alimentaire, la
vocation successorale, les empêchements au mariage. L'enfant
légitime est conçu et né pendant le mariage de ses
parents, la présomption juridique qui fixe la légitimité
est que l'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari de
sa mère. On voit ainsi comment se construit cette représentation
de la famille indissoluble du mariage qui fixe les règles et places de
chacun, et qui déterminera par la suite la production des politiques
familiales.
Comme l'expose MH Renaut après des périodes de
lutte de pouvoir entre l'Eglise et l'Etat sur l'appropriation de l'institution
du mariage, il y aura au XVIIIème siècle dissociation du contrat
civil et du sacrement dans le mariage, puis la loi du 20 septembre 1792, qui
institue l'état civil, va créer le mariage civil et en fixer les
normes. (Renaut, 2003). Si le mariage pour le code civil n'est pas un
sacrement, mais un contrat, il comporte aussi une conception
institutionnelle : il est l'adhésion à un statut
matrimonial, il constitue la fondation d'une famille, dont le père est
le garant. Le code civil a renoué avec l'ancien droit en faisant de la
présomption juridique de paternité une présomption
absolue. Ce ne sera ensuite qu'avec la loi du 03 janvier 1972 que la
présomption de paternité sera affaiblie en ne rattachant plus
systématiquement l'enfant au mariage de sa mère. Cette
période marquera l'amorce d'une chute du pouvoir patriarcal, et d'une
évolution égalitaire impulsée par le mouvement
d'émancipation des femmes autour d'une remise en question de l'ordre
matrimonial de la famille. Nous allons voir comment va s'inscrire dans ce
schéma la place du père, devenu suspect, dans une
société qui se démocratise.
|