7.3. Face à la
réalité : espoir et restauration d'une place de parent par
le dialogue
L'inscription dans l'avenir
L'espoir que leurs enfants ne les oublieront pas et sauront
plus tard qu'ils se sont battus pour tenir leur place de père, leur
permet de ne pas sombrer pour certains. Dans la douleur d'être
séparés de leurs enfants, ils expriment des projets d'avenir pour
eux et cultivent l'espoir que leurs enfants ne les oublient pas, ce qu'ils
témoignent parfois par des sentiments passionnels, de survie :
« Je me suis mis à genoux devant la
poussette, pour dire à mon fils je suis ton papa, je t'aime et je pense
à toi tous les jours, je lui ai répété ça,
je t'aime, je pense à toi tous les jours et je ne t'abandonnerai
pas. » (Vincent)
« Ce qui me manque le plus, C'est l'amour que
j'ai pour lui, que je ne peux pas lui donner ; Avoir un moment de
câlin, lui parler, lui dire que je suis son papa, que je l'aime, que j'ai
envie de faire des choses avec lui, que c'est mon fils, et que je serai
prêt à mourir pour lui. C'est ça qui me manque. »
(Julien)
« Même si on est soutenu, il y a beaucoup
de papas qui s'écroulent, enfin, à leur manière. Par
exemple, les points rencontre, ils abandonnent, parce que c'est trop dur. Le
premier conseil que je donne aux gens qui sont vraiment très mal, c'est
l'instinct de survie, vous devez bien boire, bien manger, bien dormir,
même si c'est très dur à entendre, c'est la base de tout.
Si vous faites attention à bien manger, vous hydrater, vous êtes
sur vos pattes et le cerveau, il suit. Si vous êtes en plus
fatigué, déshydraté, avec des manques, et des carences,
vous explosez ; si en plus vous êtes appelé par les flics
pour une garde à vue, vous êtes foutus. »
(Etienne)
En pères impliqués absents, désireux de
s'inscrire comme parent malgré tout, ils vont s'accrocher au fait que
tout ce qu'ils tentent de mettre en place, profitera d'une certaine
façon à leurs enfants plus tard :
« Et bien moi, l'attente, j'espère que
mes enfants vont pouvoir se construire en ayant une image de leur papa et de
leur maman qui ont pu les aider au maximum, et se construire correctement. En
espérant qu'ils ne tiennent pas trop compte de nos déraillements,
de nos faiblesses, ça c'est un gros souci pour moi, moralement parce que
je me dis que dans quelques années on pourra me faire le reproche de ne
pas avoir trop assez assisté à la façon dont la maman a
déraillée, ça c'est quelque chose qui me hante un
peu ; Et puis j'espère que mes enfants me diront un jour et bien on
est content, on a réussi, vous nous avez aidé, là on vous
pardonne parce que vous avez déconné. Parce que mes enfants ce
n'est pas ma propriété, c'est ma chair, c'est la chair de mon ex
compagne, mais ce ne sont pas des objets et ça il faut bien le
comprendre, beaucoup de gens ne l'ont pas compris, pour qui les enfants sont
des objets, un moyen de pression sur l'autre, un moyen de détruire
l'autre. » (Patrick)
Face à l'engrenage judiciaire qui épuise leur
espoir d'obtenir un aménagement de vie leur permettant d'exercer leur
rôle de père, ils peuvent prendre acte de la situation et pour
certains comme pour Martin, organiser entièrement leur vie autour de
l'aménagement du droit de visite. Ce qui devient leur raison de vivre,
devant leur vie professionnelle ou même personnelle, pour laquelle ils
sont prêts à investir un deuxième logement quand
l'éloignement géographique l'impose :
« Je me suis dit, je m'en sors plus. - Vous ne
vous en sortez plus dans les procédures ?
Oui, là j'ai plongé, j'étais
assigné. Alors aussi, il faut que je vous dise, entre temps, j'avais
acheté un appartement pour voir ma fille, j'ai acheté un
appartement à Epinal. Je me suis installé là bas, le
même appartement que j'ai ici, tout en double, de A à Z. En face
de la gare, je peux la recevoir, le week end qui vient j'y vais trois
jours, j'ai loué une voiture... J'ai quand même compris même
si c'est douloureux, qu'un jour tout ça on ne le fait pas pour soi, mais
que c'est pour ses enfants, et un jour, et bien elle partira, ce sera autre
chose. (Martin)
« En tout cas, ils vont quand même vivre
leur vie d'adolescent, ils vont grandir, donc moi, j'ai fais mon deuil du reste
en quelque sorte ; tout ce que je pourrais obtenir, ce sera du
positif. » (Léon)
Leur situation les conduit en effet à se satisfaire de
la moindre évolution qui leur permettra d'améliorer leur niveau
de relation avec leurs enfants. Ils vont ainsi, avec l'aide des associations,
concentrer toute leur énergie autour de stratégies pour obtenir
du temps avec leurs enfants, ce qui nécessite de leur part un travail
visant à favoriser le dialogue.
La restauration d'une place
parentale
Dans ces associations qui offrent des espaces de paroles aux
pères, ils tentent de retrouver une place, une dignité de parent.
Pour certains, comme pour Martin, ce peut être l'épreuve de la
séparation qui les conduit à se remettre en question :
« Alors je m'accroche, je suis présent
dans la vie de ma fille, l'école, je fais tout, je suis un super papa,
on est dans la surenchère. Je suis élu parent
d'élève, je fais tout ce qu'il faut, mais pourquoi je fais tout
ça, je pense que quelque part je me suis révélé. Il
y a eu la naissance de ma fille, et la séparation, ça
été une deuxième naissance, et je me suis dit, tu es
effacé des tablettes, c'est fini, j'ai vu les autres et je me suis dit
si tu ne te manifestes pas, là maintenant, c'est fini, tu seras
rayé. » (Martin)
De façon générale, une fois passée
la surprise, révoltés par ce qui leur arrive ils sont
étonnés des réponses apportées par l'association,
qui relèvent de conseils de l'ordre de la négociation avec la
mère, même et surtout en cas de conflit. C'est alors
l'écoute et le réconfort d'autres personnes ayant vécues
les mêmes expériences, étant passées par les
mêmes étapes, qui vont les faire accepter une certaine orientation
dans leur position. De celle de conflits de pouvoirs, à celle d'une
stratégie par la négociation, en se centrant sur la
réalité de leurs désirs pour leurs enfants. Ils vont ainsi
sur les conseils des plus avertis, devoir adopter des choix pragmatiques, en
préparant leur dossier pour les audiences. Mais aussi tenter des
négociations à l'amiable avec la mère de leurs enfants,
donc apaiser le conflit, en renouant, voire en instaurant le dialogue, afin de
conserver le lien avec l'enfant :
« En venant ici, cela m'a permis d'arrêter
la procédure, il m'a dit d'être diplomate. Et puis j'ai vu des
gens pour qui c'était pire. Donc cela m'a fait considérer la
chose autrement. Qu'il ne fallait pas que je bosse pour les avocats..Cela m'a
beaucoup aidé pour prendre cette décision là, elle a
même été surprise la mère de mon fils. Mais pourquoi
tu n'as pas pris un avocat, on ne t'a pas prévenu, m'a-t-elle dit. J'ai
dit non, je vais à l'association, et là ça l'a
rassurée. Et à mes enfants, je leur ai dit. Et puis, je lui ai
dit, écoute, si tu es correcte il n'y a pas de soucis, et cela a
apaisé. » (Jacques)
Quand la procédure judiciaire est en cours, les
conseils stratégiques sont alors donnés dans ce sens, où
il s'agit de calmer le jeu, en facilitant le travail du juge et en se
positionnant autour de l'intérêt de l'enfant, sans incriminer
l'autre parent. Aussi, les pères sont amenés à travailler
sur leur dossier ainsi que la préparation aux audiences, dans le but
stratégique d'obtenir les meilleurs résultats, selon une bonne
connaissance du dispositif judiciaire.
« Ce qu'il faut comprendre c'est que les juges ont
très peu de temps pour chaque dossier, donc quand un juge va voir un
dossier conflictuel, il ne va pas lire tous les arguments, toutes les
attestations. Donc un juge va préférer un dossier où on va
lui faciliter les choses, où les arguments ne seront pas contre le
parent mais en faveur de l'enfant, pour expliquer comment va être
organisé la vie de l'enfant, c'est surtout ça qui
l'intéresse le juge, donc ce qu'il faut, c'est que les gens aient dans
l'idée de remettre un dossier positif. »
Par ailleurs, au-delà de l'intérêt
stratégique de la démarche, l'énergie concentrée
sur cette action leur permet par un travail de remise en question de leur
vécu, une restauration identitaire autour de leur place
parentale :
« C'est deux ans et demi de traversée du
désert depuis la grossesse, ça m'a énormément
atteint émotionnellement, et forcément ça coupe avec le
réseau d'amis. Je suis en train de reconstruire, à partir d'ici,
et je recontacte aussi mes anciens amis. Actuellement je suis aux Assedic,
ça va aussi avec ma dépression, j'étais dans
l'incapacité de travailler et de monter un dossier. Quand j'ai
reçu les conclusions adversaires avec un pavé, il a fallu que
moi, je monte un dossier, c'est une énergie, même si ce n'est pas
huit heurs par jour, c'est extrêmement éprouvant, on fait une
lettre on y passe deux heures, on y pense tout le temps, même en
dormant. » (Vincent)
Il s'agit, comme l'explique les adhérents, de se
remettre en cause, se reconstruire, et une fois le deuil de la relation faite,
de travailler part rapport aux enfants. « C'est vrai qu'on a ici un
rôle social parce que quand on reçoit ici des gens en très
grande souffrance, souvent certains sont au bord du suicide, ne savent plus
quoi faire, donc forcément les mots qu'on va dire, ils auront une
résonnance. Donc, permettre aux gens d'échanger, pour
accompagner ce travail de restauration. »
Hormis les résultats escomptés, ce travail en
lui même permet non seulement aux pères de se poser, mais aussi de
se déplacer du conflit conjugal, et se recentrer autour de l'enfant dans
une action réflexive sur leur parcours. Les adhérents permanents
ou animateurs les poussent alors dans leur retranchement, ce qui leur permet de
se repositionner à leur place de parent responsable :
« En même temps ça me fait grandir,
pourquoi ça me touche autant, ça m'atteint autant, ça m'a
fait vraiment avancer, ces derniers sept mois depuis que je suis allé en
justice, j'ai enfin pris la décision, j'arrête d'être
à la merci de cette femme, pour dire non, je ne t'abandonne pas à
mon fils. » (Vincent)
En venant dans ces associations, Il est question alors pour
ces pères de se redresser, tel que l'exprime Julien :
« Donc c'est moi qui fais à chaque fois
le dos rond et c'est pour ça que je viens voir cette association
là. Quelles choses on peut mettre en place pour avoir un terrain
d'entente, pour F, mes droits de visite et de contribution parentale, c'est
normal, c'est mon enfant. » (Julien)
Ainsi, se dévoilant maltraités
psychologiquement, les pères rencontrés dans ces associations se
présentent dans une posture d'apprentissage, d'aide à la
négociation, pour trouver une place de père. Leur lutte porte sur
le manque de soutien de la part des institutions, de reconnaissance, dans leur
statut de parent. Et la question d'égalité des sexes, pour ces
pères, les renvoie surtout à la recherche d'un meilleur
équilibre possible :
« Entre les hommes et les femmes, c'est de
compromis dont il s'agit, pas d'égalité »
(Paul)
Ce qui nécessite un apaisement du conflit, sans perdre
de vue l'adulte en devenir que représente l'enfant, au coeur des
tensions figées autour du choix de la résidence :
« Même les deux parents ne peuvent pas
apporter tout, s'il n'y a qu'un homme dans la vie des enfants, il y aura
forcément un manque mais ce manque il va exister aussi même avec
un homme et une femme tout aussi équilibrés qu'ils puissent
être. Donc l'histoire de savoir si c'est mieux qu'il soit avec le
père, qu'il soit avec la mère, c'est un faux problème.
Enfin je crois qu'on n'écoute pas assez les enfants. »
(Léon)
Ainsi la demande de ces pères se situerait autour de la
recherche d'un équilibre plutôt qu'une égalité
stricte, ce qui nécessite par ailleurs un apaisement du conflit
conjugal. Cependant, c'est bien l'existence de conflit qui est à
l'origine de leur démarche d'une revendication égalitaire.
Mettant alors en avant que le conflit profite aux mères sur la question
de résidence des enfants, ils se trouvent face à une impasse, et
se positionnent donc autour d'un travail de restauration de leur place
parentale.
En conclusion
Les premières données qui apparaissent dans
cette enquête, laissent à penser que les pères accueillis
dans les associations militant pour l'égalité parentale ne
présentent pas de profil type : Ils peuvent être de
différentes tranches d'âge, de catégories socio
professionnelles multiples, d'origines géographiques diverses ; ce
sont même parfois des mères. Ces éléments
viendraient invalider l'idée que ces pères pourraient constituer
un groupe spécifique, homogène, impliqué solidairement
dans une lutte de pouvoir avec les mères. Il apparait cependant que tous
rencontrent des séparations de couple très conflictuelles. Ce
sont en majorité les mères à l'initiative du divorce, ou
d'une procédure en cas de séparation. Ils ne comprennent pas
alors ce qui leur arrive et découvrent que leur place de père
n'est plus reconnue, une fois séparés de la mère de leurs
enfants. Témoignant souvent d'un lien d'attachement précoce
à leurs enfants, ils s'estiment alors d'autant plus exclu comme parent
après leur séparation conjugale. Et quand ils reconnaissent
s'être peu investis en tant que parent, ils se sentent néanmoins
injustement rejetés, d'où leur démarche volontaire pour
retrouver cette place.
La demande des pères dans les associations est celle de
voir plus souvent leurs enfants, la résidence alternée
étant présentée comme un idéal à atteindre,
quand il s'agit pour eux surtout de pouvoir maintenir un lien avec leurs
enfants qu'ils voient peu ou plus du tout. Ils attendent d'être reconnus
et traités comme un parent à égalité avec la
mère, sans avoir pour autant une représentation d'un rôle
prédéterminé pour chacun des deux. La démarche de
ces pères n'est pas celle d'une recherche d'égalité au
sens d'identité, d'être comme une mère, interchangeable.
Prenant acte du mouvement féministe ayant permis aux femmes de
s'émanciper de leur rôle de mère et d'épouse, ils
sont en demande à pouvoir exercer leur fonction parentale par une
présence auprès de leurs enfants, cherchant à
s'émanciper d'un rôle unique de père pourvoyeur de
ressources.
Mais face aux difficultés perçues et
présentées comme insurmontables, ils se disent engagés
dans un combat inégal quand il s'agit de pouvoir concrètement
exercer à égalité l'autorité parentale, visant
à obtenir un libre accès à leurs enfants. Ils s'estiment
dans ce contexte victimes d'une injustice exercée à leur
égard par l'institution, relayée par les mères, et
évoquent en cela un sentiment de trahison. Ainsi ces pères ne se
sentiraient plus soutenus par l'institution qui naguère les
désignait comme garants de l'unité de la famille et se trouvent
dans la situation à devoir prouver qu'ils sont de bons pères,
pour exercer leur rôle parental.
Ainsi, Irène Théry, identifie t elle, comme cela
a été souligné en première partie, le
problème autour du manque de cadre institutionnel de
référence pour accompagner l'émancipation. Les couples se
trouvant désorientés, les situations de conflits conduisent,
selon l'auteur, à une recherche de repères vers un schéma
traditionnel de différenciation sexuelle des rôles, soutenu, dans
les cas de séparation conjugale, par l'institution juridique.
Après avoir exploré la place du père dans
l'évolution de la famille inscrite autour d'un courant de
démocratisation, il apparait que les pères en séparation
conjugale, quand ils revendiquent leur place, font part
d'inégalités parentales les situant comme secondaires. Ainsi, au
regard de la désignation paternelle dans l'histoire de la famille, le
père déchu a été replacé au centre de la
famille dans sa conception matrimoniale. Le passage ensuite du père
institutionnel aux pères relationnels, qui marque l'émancipation
de la cellule familiale, s'accompagne de tensions, à travers une
coexistence de tradition et modernité. Ces tensions apparaissent, en
faisant obstacle à la mise en place de l'égalité, à
travers les témoignages de pères séparés en
revendication d'une place. Aussi, les freins à la mise en place de
l'égalité des sexes dans la famille, décrits par les
sociologues, semblent être illustrés par le discours des
pères dans les associations, autour de la permanence d'une
intériorisation de la division sexuelle des rôles parentaux
soutenue par les institutions. D'où l'inadéquation entre une
institution inégalitaire et le courant d'émancipation familiale,
qui laisse les pères séparés dans le désarroi,
alors que les mères sont surchargées.
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