7.2.2. Le sentiment
d'être trahi par les institutions.
Les griefs émis à l'encontre de leurs ex
conjointes représentent alors surtout autant de plaintes
adressées aux institutions, qui représentent la
société :
« Le souci de la conception de parent, chacun a
sa part différente mais aujourd'hui la société peut qu'on
soit sur le même pied d'égalité. Alors qu'on donne
l'investissement à un père dans la société, et
à la mère dans la société, et là tout le
monde sera content. » (Pierre)
Aussi le fonctionnement des administrations que sont la
justice mais également l'école, est décrit comme un
soutien aux mères dans l'exclusion que les pères subissent, les
conduisant à dénoncer une injustice, ainsi que le souligne un
adhérent quand il dit : « Quand ils font la
démarche, c'est qu'il y a eu un grave problème en amont,
ça peut être un enlèvement d'enfant international, mais
aussi national..Les problèmes de non présentation d'enfants, ils
portent plainte mais elles sont classées sans suite.
L'éloignement géographique, c'est une des martingales, si je puis
dire pour une mère qui veut mettre de la distance entre le père
de ses enfants et ses enfants. C'est très simple, il suffit de les
déscolariser, ça se passe sans aucun problème, c'est
malheureux, mais c'est la vérité, les responsables
d'établissements scolaires ne demandent pas l'autorisation expresse, ne
s'enquièrent pas du jugement à partir du moment où la
mère a décidé d'enlever les enfants et de les amener
ailleurs, ils ne demandent pas l'autorisation du père.
A partir du moment où le père a l'autorité
parentale, il n'y a aucune raison d'enlever les enfants ». Le rapport
à l'institution scolaire est en effet fréquemment
évoqué, et vécu tout comme l'institution judiciaire comme
non soutenant, dans une position de parti pris, en faveur de la mère.
Aussi quand ils s'investissent pour obtenir de meilleurs droits auprès
de leurs enfants, ils soulignent l'importance à tenter de maintenir un
lien avec l'école, et quand ils ne le font pas, l'association les
incitent à participer à la vie scolaire de leurs enfants,
à consacrer du temps auprès d'eux de façon à
s'investir dans leur rôle de parent. Comme pour Martin, qui malgré
l'éloignement géographique ou en raison de cela, s'investi
auprès de son enfant grâce au lien qu'il entretient avec
l'école :
« Je suis accompagnateur. Sa mère est
à côté, moi je suis à 500 km, j'arrive. J'ai fais
les sorties classe nature. Je le fais déjà c'est pour être
avec ma fille, et puis après je fais un petit reportage photo, je
l'envoie, j'ai les remerciements de tout le monde, les gamins ils sont
contents. »(Martin)
Il se dégage de leurs discours qu'au-delà de la
séparation conjugale, ils ont l'impression d'être
lâché par la justice, par les institutions.
Ils éprouvent le fait d'être exclu, et s'ils
espèrent rétablir leur situation quand ils s'adressent aux
associations, la tâche des animateurs est de les réveiller
à la réalité : « C'est une forme
d'exclusion aussi, en plus d'être exclu par la mère, c'est un peu
la double peine.. Donc c'est vrai qu'on a des gens qui n'ont
peut être pas fait le deuil de leur relation et qui poussent la porte, et
qui se disent tiens encore un espoir, quelque chose qui leur permettent
d'espérer. Quand ils poussent la porte, ils veulent espérer
même si c'est quelque chose qui n'est pas réaliste. Et nous, le
but dans les permanences c'est de les faire redescendre sur terre, et de leur
expliquer ce qui va se passer. »
« On rentre dans un domaine totalement
ubuesque, c'est-à-dire quand on est dedans, on réagit, et puis
ça se retourne contre nous ; on ne comprend pas, on arrive avec la
bonne foi, on essaie de s'expliquer, moi je suis rentré dans la
procédure en me disant, il y aura peut être un décalage en
faveur de la mère, ce n'est pas grave, mais je ne m'attendais pas
à me faire laminer comme ça. Et il n'y a pas de moyen de
lutter. » (Léon)
Persuadés d'être de bons pères, ils
semblent en effet surpris par les décisions de justice, et ont le
sentiment d'être trahis par l'institution, la justice en qui ils avaient
confiance. Au-delà de la décision rendue, ils se
présentent anéantis surtout par la façon dont ils sont
traités, qui les désigne comme des parents accessoires et
coupables. Au sujet des pères qui arrivent, me confie un
président d'association, le plus souvent, soit ils pensent que l'avocat
était mauvais, soit qu'effectivement ils sont de mauvais pères,
d'où le fait qu'ils aient des difficultés à prendre la
parole la première fois. Les pères arrivent ainsi dans un certain
état d `esprit selon lequel : « pendant
plusieurs années, ils ont été les meilleurs pères
du monde, et brusquement, ils deviennent des parias, complètement
détruits, inutiles » :
« Ma demande au départ, mon souci, c'est que
quand je suis passé devant le juge, j'avais demandé la
résidence alternée de base. Eventuellement après, un week
end sur deux, un mercredi sur deux. J'ai vu la juge, alors, tout de suite, moi
zéro. - Vous voulez quoi ?, la résidence
alternée ? Ce n'est même pas la peine d'en parler, vous
n'êtes pas capables de trouver un compromis entre vous deux, vous
êtes toujours en conflit, et puis l'enfant est trop petit, deux ans et
demi, c'est trop jeune, il ne pourra pas s'adapter. - Alors moi,
j'étais un peu dans le coltard.- Donc, qu'est ce que voulez ? Et
bien un week end sur deux, et un mercredi sur deux.- Ok, et puis
terminé. » (Pierre)
Il peut s'agir pour certains, d'un concours de circonstances,
dont une décision autoritaire d'un juge, qui les met face à une
impasse, pour pouvoir occuper leur place de parent :
« Quand elle a commencé à remettre
en cause la garde alternée j'ai pensé à l'association,
mais je ne pensais pas être dans une situation catastrophique qui
nécessite d'aller les voir, donc je n'y suis pas allé au
départ, et puis surtout je pensais être de bonne foi, j'avais un
contact très étroit avec mes enfants,
et ça été - Je demande qu'on retire
l'autorité parentale à monsieur- J'ai pris ça comme un
coup de massue, et je suis allé voir l'association. J'ai expliqué
le problème, et en fait c'est parce que je refusais de signer les
documents nécessaires au renouvellement des passeports américains
de mes enfants. » (Léon)
Amoindris par leur situation, ils se décrivent alors
comme des pères maltraités par un système judiciaire
que la mère de leurs enfants aurait déclenché :
« Donc cela fonctionnait (la résidence
alternée), puis retour à la case départ. Alors là
ça été terrible parce que j'ai vu tout ça partir en
vrille, mais j'ai été prévenu parce que je suis venu ici,
et là je savais ce qui allait m'arriver.
-Qu'est ce qui a été le plus dur à ce
moment là pour vous ?
D'accepter, de savoir, que j'allais passer devant un
mauvais juge qui allait rien me donner, devant qui j'allais perdre,
parce que les avocats ici me l'avaient dit
- perdre, c'est-à-dire ?
Perdre la garde alternée. D'abord ne plus voir mon
enfant, c'est terrible, deuxièmement juridiquement d'être battu,
sur un terrain juridique alors que j'avais un excellent dossier. C'est
inacceptable, de savoir que le magistrat allait me passer à la
moulinette, je suis discriminé, et on me répond vous osez,
réclamer, c'est ça le discours. » (Martin)
C'était un jugement, et on m'a traité de
tous les noms, on m'a traité de gigolo, que ma femme gagnait plus que
moi. Alors ce qui fait que je suis passé pour un gigolo. Ma femme, Elle
s'est permis de m'insulter comme ça, c'est malhonnête devant le
juge. la personne qui demande entre en premier, madame est restée vingt
minutes, alors que moi, on ne m'a gardé que deux minutes avec le juge,
j'étais pris.. (Valentin)
Les animateurs disent rencontrer des personnes
« dans un état de nerfs assez avancé, de souffrance
parce qu'ils sentent que la justice de leur pays n'est pas comme ils l'avaient
idéalisée, et c'est l'étonnement total. »
« Dans toute cette histoire, le truc que je
supporte très mal, ce que je ne suis pas près de pardonner, c'est
l'incompétence des autorités. Où vous vous retrouvez avec
des assistantes sociales de façon injustifiée, et quand vous
demandez de l'aide et on n'en tient pas compte. Vous les alertez, on s'en fout,
on vous balance, alors là, vous vous retrouvez avec des enquêtes
sociales aux fesses. » (Patrick)
Une justice qu'ils estiment injuste à leur
égard :
« Mon ex femme a refusé encore une fois
d'envoyer les enfants pour cet été, c'est pour ça que je
vais déclencher une autre procédure. Ce qui est extraordinaire
c'est qu'elle refuse en se mettant en violation des décisions de
manière flagrante, et jusqu'à présent ce qui a
été fait, à chaque fois qu'elle était en
opposition, et bien on a pris la décision de justice qui
régularisait ce qu'elle avait fait, L'argumentation c'est que je refuse
la signature des papiers américains ce qui a été traduit
ensuite en cour d'appel par monsieur est incapable de prendre des
décisions pour l'éducation de ses enfants. Donc pour les juges
quand on prend une décision contraire à la maman, c'est qu'on
n'est pas capable de prendre la décision. »
(Léon)
Ils peuvent exprimer aussi le fait d'être
dévalorisés au regard de la société,
désignés en pères suspects, stigmatisés, un
sentiment d'autant plus ressenti par les pères ayant des droits de
visite dans des points rencontre :
« Et avec ce qui se passe à la
télé, si en plus on parle de violence conjugale, vous avez une
étiquette, si en plus, on parle d'attouchements, vous avez une
étiquette, donc je passe mon temps à avoir des étiquettes
et les enlever. Le problème avec la justice c'est que si on se met
à mal avec un juge, on est mort. Donc on fait des grands sourires, on
avance et on essaie de contre attaquer..Il faut être zen, car on ne vous
regarde pas comme il faut, à l'école, on ne vous regarde pas dans
les yeux, c'est immonde. Alors il y a deux solutions, soit on fuit, soit on
reste sur ses pattes et on essaie d'être droit, c'est ce que j'essaie de
faire. Mais ce n'est pas toujours évident. » (Etienne)
« En fait vis-à-vis de la justice je n'ai
pas les arguments forts, mis à part le conseil du point rencontre
où les relations se passent très bien avec les
enfants, mais derrière, il n'y a rien et il y a que des
accusations qui sont lancées sans arrêt, donc, à mettre le
doute sur les relations du père avec les enfants. »
(François)
Aussi, avec la sensation d'être méprisé
par le système, de se trouver déstabilisé et en
insécurité, ils se sentent trahis par l'institution, et à
l'extrême disent éprouver une véritable rancoeur à
l'égard de l'Etat :
« J'ai fulminé pendant des mois, en me
disant je faisais parti des abrutis qui étaient capable de dire et qui
l'ont dit, j'ai confiance en la justice de mon pays.. L'avocate elle
est dans son rôle d'avocate à la limite, c'est la partie adverse,
on peut comprendre. Mais la juge, je n'ose même pas dire de la
République, on n'imagine pas ça, quand on est naïf comme moi
en tout les cas. C'est effrayant, en plus je ne supporte pas quelqu'un qui
abuse de sa force, ceux qui sont forts ont le devoir de protéger les
faibles. Je pensais innocemment que ce qu'on appelait les valeurs de la
République, c'était ça aussi, et là clairement dans
la justice ça n'y est pas.. C'est terrible ce que je vais dire, mais on
n'est pas en sécurité en fait... Et puis toutes
les mains courantes que j'ai faites n'ont jamais servi à rien.
Il y a un moment où on démissionne. »
(Léon)
Les pères attendent un soutien de l'institution, qu'ils
n'obtiennent pas, et sont effondrés de cela. Ce sont autant de
situations qui viennent interroger la place du père dans la
société dans le sens où le père qui fût un
temps, devait symboliser la loi, se trouve trahi par l'institution judiciaire
qui représente la loi :
« Et puis j'ai fais en partie, en tout cas j'ai
commencé à faire mon deuil de la République. Parce que
moi, vous savez, j'ai en 1986 travaillé aux Etats unis, ça s'est
super bien passé, j'ai un esprit qui s'adaptait bien aux entreprises
américaines, et on m'a fait des offres qui étaient très
intéressantes, et je n'ai pas voulu. Et vous savez pourquoi, parce que
je voulais offrir mes talents à la France, parce que je voulais
travailler pour la France, alors je peux vous dire que ce que m'a fait la
justice, ça c'est une blessure qui ne se refermera pas. »
(Léon)
Leur espoir déçu, leur colère
revendicative, se transforment ainsi en amertume et en lassitude, et le travail
des associations va alors se situer à ce niveau, à partir duquel
selon leur expression, il va falloir « redescendre sur
terre », se ressaisir ou « reprendre la main »,
en préparant un dossier positif : « Déjà en
fait ils ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas voir leurs enfants.
Donc à partir du moment où on va leur expliquer pourquoi la
justice leur met des bâtons dans les roues pour pouvoir voir correctement
leurs enfants, là ils vont comprendre, malheureusement quand je dis
qu'ils vont redescendre sur terre, c'est ça, c'est-à-dire
qu'effectivement c'est là qu'ils vont comprendre que ça va
être beaucoup plus difficile que ce qu'ils avaient en tête. Et donc
il y a un gros travail de remise en question, il faut replonger dans ses
souvenirs, essayer de voir où est ce qu'on a été un bon
père ; il faut démontrer qu'ils ont été un bon
père, ça ils ont du mal à le comprendre, alors qu'une
mère n'a pas à démontrer qu'elle est une bonne
mère, donc il y a une espèce de discrimination sur le sexe, qui
est inacceptable. »
« J'étais très correctement
indemnisé par le chômage, et je voulais trouver un travail bien,
et je vois l'avocate cet après midi, elle me dit vous êtes au
chômage, il faut travailler pour prouver que vous êtes
bien.. » (Léon)
Ainsi ces pères se trouvent dans la situation
paradoxale à devoir prouver qu'ils sont de bons pères en
démontrant leur capacité à tenir leur rôle de
pourvoyeurs de revenus, ou tout au moins d'hommes s'accomplissant
professionnellement.
Parallèlement à une posture de
résignation, alors qu'ils disent démissionner après avoir
lutté dans l'espoir d'une reconnaissance de leur place de parent
à part entière, les pères interrogés et
observés au cours des permanences, s'inscrivent en se projetant dans
l'avenir pour leurs enfants. Confrontés ainsi à la
réalité, pour justement éviter la démission, qui
peut aller jusqu'à une rupture totale des liens parent/enfant pour les
pères qui ne parviennent plus à voir leurs enfants, ils vont
grâce à l'aide proposée et aux échanges qui
s'opèrent dans les associations, apprendre à se repositionner
à leur place de parent par l'apprentissage à la restauration d'un
dialogue avec leurs enfants et avec la mère de leurs enfants.
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