CONCLUSION GENERALE
Cette étude circonscrite aux associations de
pères militant pour l'égalité parentale, sans
représenter la situation générale des pères,
soulève le problème dans un contexte d'éclatement de la
cellule familiale, d'une revendication de la place paternelle. Il
s'avère que le conflit conjugal est au premier plan quand il s'agit du
mode de garde des enfants dans les séparations des couples. En effet,
quand ils se présentent aux permanences des associations, les
pères sont en demande d'aide dans les cas suivants : ils sont
passés devant le juge et ne comprennent pas pourquoi ils sont
relégués à une place secondaire, la séparation
conjugale s'étant passée à l'origine dans le conflit. Ou
bien après une période de séparation organisée
à l'amiable, et après avoir bénéficié d'une
période de résidence alternée, cette situation est remise
en question par la mère. Elle peut en effet avoir décidé
d'un déménagement, en général consécutif
à une nouvelle vie de couple. Elle peut souhaiter aussi reprendre une
place maternelle auprès des enfants, car davantage disponible dans sa
vie professionnelle par exemple, ou par culpabilité, influencée
en cela parfois par son entourage familial ou amical. D'autres pères se
présentent victimes, quand ce n'est pas d'éloignement
géographique, de non présentation d'enfants, voire même
d'accusations mensongères. Dans la majorité des cas quoiqu'il en
soit, le conflit conjugal est bien le moteur qui alimente le conflit parental.
Le problème à observer par ailleurs, comme le souligne le
sociologue Claude Martin, ne serait pas tant celui des effets du divorce ou des
séparations, mais celui posé par la question du traitement du
conflit. (Martin, 1997)
Les couples de parents séparés, face au
traitement juridique de la question de résidence des enfants, sont ainsi
confrontés à une surenchère des conflits par avocats
interposés, d'autant plus quand les pères revendiquent leur place
auprès des enfants. Aussi il en résulte que dans ces situations
conflictuelles, les enfants restent majoritairement confiés à la
mère par les juges, en raison même de ce conflit. En effet dans ce
cas, le doute étant posé, c'est la place maternelle qui est
privilégiée, car estimée plus sûre, la
représentation demeurant celle d'une place paternelle incertaine. On se
retrouve donc face à ce paradoxe qui est que plus les pères sont
en revendication d'une place auprès des enfants au même titre que
les mères, moins ils obtiennent la garde en cas de séparation, la
position de revendication laissant supposer un conflit de départ. En
effet, les couples parvenant à gérer ces situations, soit
organisent une garde alternée à l'amiable qui fonctionne tant que
la mère l'accepte, et les juges dans ce cas entérinent ces
situations. Soit ils se trouvent dans la configuration classique d'une
résidence principale chez la mère avec un droit de visite
classique pour le père, accepté par celui-ci. Le lien avec le
père étant dans ce cas malgré tout maintenu, dans la
mesure où il se satisfait d'un droit de visite, et dans la mesure aussi
où le conflit conjugal apaisé permet la qualité de ce
lien. D'où la difficulté pour ces pères en revendication
d'une place à se situer, et se faire entendre dans ce contexte de
tensions, alors que la société moderne demande justement aux
pères de s'impliquer, d'être présent. Face à ces
obstacles, les pères accueillis dans ces associations, s'orientent
autour d'un travail d'apprentissage à la négociation afin
d'apaiser au maximum le conflit, auprès des juges, et auprès de
leur ex femme. Le but étant finalement de parvenir à voir leurs
enfants, et éviter le risque le plus redouté, celui de
l'éloignement de la mère avec les enfants, qui contribue avec le
temps à rompre progressivement le lien du père avec les
enfants.
La motivation des mères dans ces cas
d'éloignement, aux dires des pères, pourrait relever parfois
d'une volonté à mettre fin à la relation conjugale, faire
« table rase du passé », au risque de priver ses
enfants de leur père, pour éventuellement le remplacer par un
beau père. Les pères quant à eux, semblent
installés dans une stupeur indécise. Ce comportement de la part
des femmes pourrait alors témoigner en quelque sorte de la
difficulté pour ces dernières à se séparer de leurs
enfants pour les laisser à un homme qu'elles n'aiment plus. Et si au nom
de l'émancipation des femmes, il avait été question
d'échapper à l'emprise des maris tout en gardant les enfants
auprès d'elles, les hommes de leur côté, parviendraient
difficilement à assumer leur rôle de père seuls, sans
autorisation. Ainsi des pères rencontrés dans les associations
relatent qu'ils ne peuvent accueillir leurs enfants un week end, ou une
journée, par exemple, au motif d'un désaccord de la mère,
ou quand le juge n'a pas encore statué sur la question. Face à ce
déséquilibre, les conseils techniques donnés par les
associations sont alors de l'ordre de l'information sur leurs droits, et d'une
stratégie de défense afin de perdre le moins possible, au niveau
des enfants. Se dévoilant maltraités psychologiquement, ils sont
dans une posture d'apprentissage, d'aide à la négociation, pour
trouver une place de parent à part entière. Leur combat porte sur
le manque de soutien de la part des institutions, de reconnaissance, dans leur
statut de parent.
Tous les sociologues s'accordent à dire que le grand
bouleversement du XIXè siècle, aura été la
libération des femmes, le changement révolutionnaire de la
condition féminine. « les femmes étaient esclaves de la
procréation, elles se sont affranchies de cette servitude
immémoriale » ( Lipovetsky, 1997). A leur tour mais dans une
démarche inverse, les hommes ont à s'affranchir de leur statut de
procréateur tout puissant, par la paternité ; Dans la
même logique que celle utilisée par Jack Goody pour expliquer
l'évolution de la famille,( Goody, 2001) il n'y aurait pas une
transformation linéaire d'un père autoritaire à un
père relationnel (aimant, paternant), mais le modèle du
père tout puissant fait place aux pères multiples. Dans le
modèle du père autoritaire qui préexistait, des
pères relationnels et affectifs, prodiguant des soins aux
bébés, pouvaient exister. L'époque industrielle a aussi
érigé la norme d'une division sexuelle des rôles, et
pourtant le féminisme faisait son chemin. Le problème posé
par la société de la nouvelle modernité, c'est non pas
l'absence mais la multiplicité des modèles. Les pères ont
ainsi la tâche à se chercher un rôle qui leur est propre,
sans référence normative, à s'émanciper. Ainsi,
contrairement aux femmes qui ont eu à s'émanciper de leur statut
de mères et d'épouses, pour exister en tant que femmes libres et
indépendantes sur la scène publique, l'enjeu pour le sexe
opposé serait de s'émanciper en tant que pères, de leur
statut d'hommes éloignés de la sphère privé,
perçus comme seuls pourvoyeurs de fonds.
Si l'émancipation des pères peut être
perçue alors comme une impasse au regard des pratiques individuelles et
institutionnelles, marquées par la permanence des représentations
traditionnelles des places parentales situant le père comme secondaire,
il n'en demeure pas moins que la démarche de pères en situation
de conflit conjugal, dans les associations, révèle,
au-delà d'une revendication d'égalité, une dynamique
d'apprentissage à un nouveau positionnement parental et à de
nouvelles représentations, par l'expérience, la connaissance, et
autour d'une quête de reconnaissance.
Ainsi dans cette optique, l'observation faite du nombre
sensiblement en augmentation de séparations de couples avec des
nourrissons, dès l'arrivée d'un enfant, voire avant la naissance,
apparait me semble t il une entrée pour la poursuite de l'analyse.
L'intérêt à poursuivre cette étude, au regard de
l'évolution des rapports sociaux de sexes, serait d'analyser les
nouveaux comportements qui s'opèrent à partir de ces situations
de jeunes pères séparés. Eloignés de la mère
et du bébé, il semblerait selon les témoignages
relevés dans les associations, que des pères revendiquent leur
place auprès du nourrisson. J'envisagerais donc dans cette optique pour
approfondir la recherche de m'intéresser cette fois non pas aux
pères des associations militant pour l'égalité parentale,
mais élargir le terrain et circonscrire l'étude au public de
pères séparés au moment de la naissance d'un premier
enfant. Il s'agirait d'observer les nouveaux enjeux d'une évolution qui
aurait enterrée l'époque des « filles
mères » pour faire place aux pères, seuls, absents ou
présents auprès de leur nouveau- né.
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